Interview

Vishal Ragoobur : «Il y a trop de ‘hype’ autour du discours du budget»

Vishal Ragoobur

L’économiste Vishal Ragoobur revient sur le Budget 2017-18 de Pravind Jugnauth. Selon lui, on accorde trop d’importance à cette prestation orale. Il estime qu’on a encore du chemin à parcourir avant de devenir un pays à revenus élevés.

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« Rising to the challenge of our ambitions. » Sommes-nous sur la bonne voie pour atteindre notre objectif de pays à revenus élevés d’ici 2023 ?
D’abord, je pense qu’il faudrait plus qu’un budget pour mettre le pays sur cette voie. Il faudra une continuité  dans les différents budgets qui seront présentés. Il y a eu des budgets, il y en aura encore. Ce qu’il faut, ce sont des stratégies économiques favorisant la croissance pour passer le cap de pays d’upper middle income à pays à revenus élevés. On peut dire qu’on est sur la voie, mais reste à voir si les mesures annoncées seront mis à exécution et généreront davantage de croissance. Il faut plus de dynamisme.

Ce budget relancera-t-il la consommation ?
Chaque année, la croissance concernant la consommation se situe entre 2 et 3 %. Il y a des mesures par rapport à la fiscalité, comme l’augmentation du seuil de déduction de la taxe. De même que la Negative Income Tax. Le but, c’est d’améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs. Cela dit, il ne faut pas qu’il y ait davantage de flambées des prix. Sinon, cela n’aura pas l’effet escompté.  Si les prix sont stables, une amélioration du pouvoir d’achat se fera certainement ressentir.

Peut-on parler d’un « turning point » pour nous propulser vers une nouvelle phase économique ?
Il n’y a rien dans le budget qui l’atteste. Toutefois, il y a une stratégie économique étalée sur trois ans. Le budget annonce la  mise sur pied de l’Economic Development Board, qui permettra une meilleure planification du développement. C’est assez nouveau. Les gens au ministère pourront réfléchir et planifier des stratégies économiques et de développement. Le Board regroupera, sous le même toit, différentes institutions comme le Board of Investment et Entreprise Mauritius. Il y aura une meilleure synergie concernant la promotion et la facilitation d’investissements étrangers, de l’exportation et des services financiers. Sur le plan économique, c’est la mesure qui se démarque du passé. Sur le plan social, c’est la Negative Income Tax pour aider ceux au bas de l’échelle. Toutefois, ce n’est pas suffisant. Il faut désormais pouvoir mettre en œuvre ces mesures. Les objectifs sont connus. Si on arrive à planifier le processus pour les réaliser, ce sera un point positif.

Le ministre des Finances annonce une croissance de 4,1%. Est-ce réalisable ?
Cette année on est à 3,9%. Si les mesures annoncées se concrétisent et si  l’environnement économique mondial est favorable, je dirais oui, on pourrait l’atteindre.

«C’est de façon progressive que les choses s’améliorent»

Plusieurs mesures ont été annoncées pour les Petites et moyennes entreprises (PME). Est-ce qu’elles sont un vecteur important dans le paradigme social et économique ?
Bien évidemment, les PME sont importantes à travers leur contribution pour l’embauche  et la croissance. C’est un secteur important pour le pays. Il y a des mesures fiscales pour les encourager à s’orienter vers l’exportation. Toutefois, il leur faut un encadrement. Elles sont peu nombreuses à se tourner vers l’exportation. Puis, il y a les Rs 100 millions pour la réalisation du Master Plan, qui préconise l’accès aux marchés, la formation, et tant d’autres choses. Aussi, la réforme de la SMEDA aidera ce secteur.

Les mesures sociales annoncées, ainsi que la « solidarity levy », vont-elles aider à réduire l’écart entre  les riches et les pauvres ?
Déjà, ils ne sont pas nombreux, ceux qui obtiennent cette somme. Or, cette mesure vient ajouter de la progressivité dans notre système. Actuellement, la taxe est uniforme à 15 %.  Est-ce que la solidarity levy aura un impact sur l’inégalité ? Si les revenus des personnes riches continuent à augmenter rapidement, alors qu’elles investissent ou possèdent des compétences leur permettant de toucher un salaire premium, et que ceux des salariés moins riches continuent à baisser ou ne progressent pas, l’inégalité continuera. Cette mesure ne va pas forcément réduire cette inégalité.

« La croissance doit être inclusive, pour que tout le monde progresse ensemble »

Certains parlent de budget confetti, d’autres de budget avec des mesures qualifiées de réchauffées. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’il y a trop de hype autour d’un discours du budget. Certes, c’est important que, chaque année, on propose une nouvelle vision. Or, cela ne peut pas changer la vie des gens en une année. Il y a des mesures qui sont prises sans qu’on n’en parle vraiment et qui visent à apporter un soulagement ici et là. C’est de façon progressive que les choses s’améliorent et non pas du jour au lendemain.

Ainsi, comme je le disais, on accorde trop d’importance au discours du budget et cette hype créée une pression. On veut donc présenter les choses comme étant révolutionnaires, mais il ne peut y avoir de révolution chaque année. Et trop souvent, il y a des promesses qui sont irréalisables. Le budget annonce des mesures pour relancer l’économie, créer plus d’emplois, augmenter les revenus des gens et aussi  établir les projets de développement et l’aménagement des infrastructures. C’est de façon progressive que la vie s’améliore et non pas d’un seul coup. Prenons l’eau en exemple. On a promis l’eau 24/7. Ce qui va prendre le temps qu’il faut. On a annoncé qu’on allait mettre des citernes dans les endroits les plus touchés par les coupures. Si elles sont installées, ce sera un soulagement. Par ailleurs, force est de constater qu’on n’arrive pas à dissocier politique et budget. Celui-ci est présenté dans un contexte politique, même s’il n’y a pas d’élections en vue.

Le gouvernement se doit de plaire un peu à tout le monde – secteur privé, investisseurs, hommes d’affaires, pauvres… ce n’est pas facile. Le gouvernement peut ne pas nécessairement être populaire. Cependant, il y a ce souci de montrer qu’on travaille, qu’on a à cœur le développement et qu’on veut un meilleur niveau de vie pour la population. Il  veut démontrer  qu’il assume ses responsabilités avec sérieux et qu’il est en train de tout mettre en œuvre pour assurer la prospérité du  pays. Bien que certains émettent des doutes sur la compétence du gouvernement, celui-ci veut prouver qu’il est à la hauteur des responsabilités qui lui incombent. Il veut démontrer qu’il est là, qu’il gouverne et qu’il  fait ses preuves. Cela, budget après budget.

Il semble que l’emploi soit l’un des grands oubliés de ce budget…
On ne peut pas affirmer qu’il n’y a rien. Davantage de croissance ne veut pas nécessairement dire création d’emplois. Il faut une croissance inclusive, développer des secteurs qui sont porteurs d’emplois. Bien sûr que le gouvernement va recruter, mais c’est au secteur privé de créer de l’emploi. Or, pour cela, le secteur privé doit avoir confiance et une visibilité dans l’économie. Le gouvernement doit ainsi rendre l’environnement local plus propice. Il y a des incitations. Aux opérateurs d’en tirer profit, d’investir et par la suite, de créer de l’emploi. Le gouvernement ne peut que faciliter ce processus.

On affirme encore une fois que la classe moyenne est l’enfant pauvre de ce budget. êtes-vous de cet avis ?
Les salaires ou la répartition des revenus nationaux ne progressent pas assez pour lui procurer une vie bien meilleure. Ce qui fait que la classe moyenne a tendance à reculer, avec le risque de tomber dans la pauvreté. La croissance doit être inclusive, pour que tout le monde progresse ensemble. Certes, il faut protéger les vulnérables. Toutefois, il est nécessaire qu’ils deviennent autonomes. Et cela passe par l’éducation. Aussi, quand l’économie progresse, on doit pouvoir mieux rémunérer nos salariés et assurer qu’ils aient un meilleur niveau de vie.

Est-ce que l’introduction de la « negative Income Tax » est une bonne chose ? Certains syndicalistes soutiennent que ce sera dans l’intérêt du patronat ?
L’année dernière, on a introduit l’allocation de subsistance. Cette année l’introduction de la Negative Income Tax,  dans le cadre d’une meilleure protection sociale. C’est une aide pour améliorer les revenus de ceux au bas de l’échelle. Or, ce budget n’a même pas évoqué la question du salaire minimum. Et on ne sait pas comment va opérer la Negative Income Tax. J’estime néanmoins que la meilleure façon de protéger les salariés, c’est à travers l’introduction du salaire minimum.

 

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