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Violence domestique : un fléau en hausse

La violence conjugale est en hausse. 2 077 plaintes ont été enregistrées en 2016 contre 1 626 l’année précédente. La plupart des victimes sont des femmes. Elles étaient 1 852 l’année dernière et 1 452 en 2015. Malgré le renforcement des lois l’an dernier, force est de constater que les coups continuent à pleuvoir sur les victimes...

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«La dernière fois qu’il est venu rendre visite à notre fille, il m’a encore battue, étranglée, écrasée… » Cette phrase reste en suspens. Céline, 42 ans, semble être marquée à vie par les nombreux coups reçus de son ex-concubin. Le 22 janvier, cette mère de deux enfants, issus de sa première union, s’est réfugiée dans un centre d’aide aux femmes battues, après avoir été frappée à coups de brique par son ancien conjoint. « Il parlait toujours du passé et ça dégénérait à chaque fois. Je crois même qu’il cherchait des excuses pour me battre », confie-t-elle.

Me Indranee Boolell-Bhoyrul.

Des amendements ont pourtant été apportés à la Protection from Domestic Violence Act en mai 2016, afin de renforcer les lois pour protéger les victimes de violence domestique. La violence verbale est désormais considérée comme une forme de violence domestique et, subséquemment, comme un délit, explique Me Indranee Boolell-Bhoyrul. « La loi prévoit ainsi une amende ne dépassant pas Rs 50 000 lors de la première condamnation et une somme pouvant aller jusqu’à Rs 100 000 pour une deuxième, ainsi qu’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas deux ans. »

Pas d’amende pour une troisième fois, voire pour toute condamnation subséquente : le coupable sera sous le coup d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans, soutient l’avocate. Dans la foulée, le non-respect d’un protection order verra le doublement des peines prévues par la loi par rapport aux première et deuxième infractions. « Une peine de prison est aussi prévue en cas de récidive. Le terme spouse a aussi été revu. Il ne fait plus référence uniquement au couple marié, mais aussi à tout individu qui vit, ou pas, avec une personne du sexe opposé. La police peut davantage agir. »

« Les lois ne changent rien »

La loi peut servir à faire peur aux agresseurs, mais pas à diminuer le fléau, lance pour sa part Ibrahim Koodoruth. Pour le sociologue, « les lois ne sont pas la solution mais dans l’éducation, l’accompagnement, le soutien et le suivi. Cela ne concerne pas uniquement les victimes, mais aussi les bourreaux. Les campagnes de sensibilisation sont importantes mais ne négligeons pas les valeurs d’une bonne formation ». Notre interlocuteur estime aussi qu’il est trop tôt pour faire un constat car les amendements n’ont pas encore fait leurs preuves.

Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links Mauritius, abonde dans le même sens. « Les lois ont changé, c’est une bonne chose. Ce sont les mécanismes qui existent qui posent problème. Ils ne sont pas assez solides, il y a un gros désordre et un manque d’organisation », déplore-t-elle. Elle soutient qu’avec les révisions de la loi, les policiers ont suivi une formation pour pouvoir gérer les victimes de violences. Or, ajoute-t-elle, « les victimes ont rarement le service attendu et se plaignent de l’attitude de certains policiers ».

Parfois, pour les démarches, poursuit la directrice de Gender Links Mauritius, « elles doivent aller et venir sans personne pour les guider. À force, elles finissent par laisser tomber et retournent avec leur conjoint violent. C’est un cercle vicieux. C’est comme si elles subissaient une deuxième violence ». Du côté du Police Press Office, un responsable soutient que la formation a bien été effectuée, l’année dernière.

Hommes battus : plus nombreux qu’on ne le pense

Les hommes victimes ont honte de parler de leur situation.

Alors que les violences faites aux femmes font – à raison – l’objet de plans et de campagnes très médiatisées, il existe peu de structures d’aide aux hommes battus, regrette Darmen Appadoo, de l’association SOS Papa. « C’est ce qui encourage les femmes à dénoncer les abus, mais décourage les hommes à en faire autant. Les mentalités sont modelées de cette façon. Les hommes victimes de violence conjugale se sentent humiliés et ont honte de parler de leur situation. »

Virginie Bissessur, psychologue, est du même avis : « En raison des stéréotypes liés aux différents rôles dans la société des hommes et des femmes et de la supposée puissance du genre masculin, il est extrêmement difficile, voire honteux, pour un homme de parler ouvertement de ce qu’il subit. »

De plus, explique-t-elle « les femmes utilisent peu la violence physique et quand elles le font, elles frappent plus souvent avec les mains qu’avec des objets, laissant moins de traces. Elles se servent plus de violences psychologiques, de manipulation ou de chantage. Les hommes victimes subissent de nombreuses attaques portant sur leur virilité ».

Darmen Appadoo ajoute que les cas d’hommes battus ou maltraités sont moins exceptionnels qu’on pourrait le croire. « Les femmes restent, de loin, les premières victimes de violence conjugale, mais nous ne devons pas nous focaliser uniquement sur elle. Il faut une structure adéquate pour venir en aide et encadrer les hommes qui subissent de diverses formes de violence également. » Par ailleurs, bien qu’il ait favorablement accueilli les amendements à la  Protection from Domestic Violence Act, il déplore le fait qu’« aucune sanction ne soit prise contre ceux qui font de fausses allégations. »

« Il y a des abus de cette loi ! Dès que quelqu’un porte plainte, il y a arrestation. Le gouvernement vient avec une loi amendée pour la quatrième fois mais, une fois de plus, pas de la bonne manière », s’acharne-t-il à dire depuis mai.

Questions à…Virginie Bissessur, psychologue : « Les victimes sont préalablement préparées à subir »

Y a-t-il un profil type de personnes qui infligent la violence conjugale ?
Parmi les agresseurs, on peut distinguer deux tendances, les personnalités narcissiques et les personnalités rigides. Les narcissiques ont besoin d’être admirés. Ils sont mégalomanes et intolérants à la critique. Peu empathiques, ils sont très moralisateurs et pour se maintenir dans la toute-puissance, ils passent leur temps à critiquer et à rabaisser les autres. Ils sont aussi très peu tolérants à la frustration. Les rigides sont obsessionnels ou paranoïaques. Leur violence est avant tout une lutte de pouvoir, ils ont un besoin impérieux de dominer/contrôler l’autre. Ce sont des personnalités exigeantes et égoïstes, qui ont une vision précise du rôle de la femme, celle-ci se limitant à la soumission généralement.

Pourquoi des victimes de violence ont-elles du mal à dénoncer leur agresseur ?
Ces personnes sont tellement habituées à subir que le système d’alarme et de vigilance interne est diminué. Elles ne réagissent plus, d’où la grande difficulté à se protéger. De plus, elles sont sous emprise, c’est-à-dire qu’elles sont empêtrées dans l’influence et la domination psychologique de leur agresseur. Avant d’en arriver aux coups, il y a tout un travail de destruction psychologique de l’autre. Le fait de ne jamais reconnaître ses responsabilités et de toujours rendre l’autre coupable de ses mauvaises actions prépare les victimes à subir car elles sont persuadées d’en être à l’origine.

Qu’est-ce qui explique que beaucoup de femmes retournent vivre avec leur agresseur ?
Partir est un grand cap à franchir. Tant qu’on reste sous l’emprise de l’autre, il est difficile de penser par soi-même et de s’aimer assez pour enfin se protéger. Il y a aussi la fragilité économique des femmes avec des salaires plus bas, le manque de structures d’accueil à Maurice, la quasi-absence de campagne de prévention efficace, la méconnaissance des lois et surtout le fameux « ki dimounn pou dir ». Elles pensent aux enfants, ne voulant pas les priver de la présence d’un père. Il y a l’influence de la famille ou de la belle-famille, inexorablement dans le registre de la culpabilisation voire de l’accusation. Les stéréotypes ont la dent dure à Maurice.

En Russie : les hommes ont le droit de frapper leur femme

Le 25 janvier, à une écrasante majorité, les députés russes ont adopté un projet de loi controversé visant à dépénaliser les violences commises dans le cercle familial. Le texte avait été voté en deuxième lecture avec 385 voix pour et seulement deux contre. Elle doit encore être votée par les sénateurs puis promulguée par le président Vladimir Poutine.

Cette loi prévoit de changer en peine administrative des actes de violence n’entraînant pas d’hospitalisation. Des actes qui, jusqu’alors, étaient considérés comme un délit pénal passible de deux ans d’emprisonnement. La raison principale de ces amendements est de protéger les valeurs familiales.

Nisha, 23 ans : « Il m’a humiliée devant toute sa famille »

Elle s’est sauvée du toit conjugal avec son fils de deux ans, en décembre 2016. Son mari l’avait battue presque à mort devant sa belle-famille, malgré le renforcement des lois. « Il était irritable sans raison apparente et avait de nombreuses sautes d’humeur. Ce jour-là, il m’a tirée par les cheveux dans la cour et m’a donné plusieurs coups au ventre et au visage. Quand je suis tombée, il a continué à me donner des coups de pied. Puis, il m’a laissée là, par terre… devant toute sa famille. C’était comme s’il se sentait plus fort à ce moment-là. » Trop diminuée pour rester, Nisha a fini par se sauver, avec son fils, un soir où son mari n’était pas encore rentré.

 

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