Près de 3 000 cas de violence domestique sont enregistrés chaque année. La grande majorité des victimes détient un « protection order ». Vu qu’il y en a toujours qui succombent sous les coups de leur bourreau, on en vient à se demander si ce morceau de papier agit vraiment comme un rempart. Des changements en profondeur s’imposent. Il est clair qu’à elle seule, l’ordonnance de protection ne suffit pas.
À chaque cas de violence domestique ou à chaque féminicide, le débat revient sur le tapis. Le Protection Order est-il vraiment efficace ? Certaines victimes de ce cercle vicieux dans lequel elles s’étaient embourbées y laissent la vie. Pourtant, certaines parmi détenaient une ordonnance de protection. Rien ne semble y faire, pas même l’arsenal légal introduit dans la lutte contre la violence domestique. Comment mieux protéger les victimes ?
Anushka Virahsawmy, Country Director de Gender Links, estime que le Protection Order a toute sa raison d’être. « Il a son utilité. Ce n’est pas pour rien que les autorités sont venues avec cette mesure qui existe dans plusieurs pays », dit-elle.
Là où le bât blesse, selon elle, c’est au niveau des victimes elles-mêmes qui, dans de nombreux cas, ne savent pas s’en servir. « Il y a une méconnaissance de la loi. Les victimes ne savent pas quoi faire », indique-t-elle.
Choix personnel
Anushka Virahsawmy ajoute que souvent la victime, par remords, décide de renouer avec son agresseur. « C’est certes un choix personnel, mais il comporte des risques. Même si une femme se remet avec son agresseur qui a promis de changer, elle doit rester sur ses gardes. Elle doit immédiatement chercher de l’aide s’il recommence à avoir un comportement violent », souligne-t-elle.
La Country Manager de Gender Links déplore le fait que des victimes ne sachent pas faire bon usage d’une ordonnance de protection. « Déjà, si l’une d’elles va rencontrer son ancien partenaire alors qu’elle détient un Protection Order contre lui, cela constitue une violation de ce document légal. Dans de tels cas, chacun doit assumer ses responsabilités. »
Éducation
Elle estime aussi que les victimes manquent souvent d’informations. « Il est impératif de leur donner tous les détails sur ce que dit la loi et sur les recours dont elles disposent, entre autres. Il y a un manque d’éducation. C’est souvent à cause de l’ignorance que des femmes meurent entre les mains de leur bourreau. Il est impérieux d’éduquer les victimes », préconise Anushka Virahsawmy.
Ambal Jeanne, responsable de SOS Femmes, a un avis mitigé sur l’ordonnance de protection. « Dans des cas, elle a son utilité et le partenaire arrête toute violence physique envers la victime bien que la violence verbale se poursuive. Il y a un sursis. Mais ce répit qui ne dure jamais bien longtemps », se désole-t-elle.
Précaution
Ambal Jeanne ajoute qu’elle est forcée de se rendre à l’évidence que la loi a ses limites. D’où son appel pour que les victimes prennent leurs précautions. « Si le partenaire est violent, c’est assez rare qu’il change. Le mieux est de prendre ses distances. Souvent la femme pense que son conjoint changera dès qu’elle sera en possession d’une ordonnance de protection et qu’il aura peur de ce bout de papier. Ce n’est pas le cas », prévient-elle.
La responsable de SOS Femmes déplore le fait que dans plusieurs cas de violence domestique, ce soit la victime qui doive déserter le toit familial. « La cour doit ordonner aux agresseurs de s’en aller et non aux victimes. C’est aux bourreaux de payer pour les conséquences de leurs actes », estime-t-elle.
Ambal Jeanne évoque aussi le harcèlement dont sont sujettes les victimes car des agresseurs n’arrivent pas à digérer le fait que la relation est terminée. « Il y a des cas où ils harcèlent les victimes ou usent de prétextes, comme le souhait de voir les enfants, pour mieux s’approcher d’elles. Il appartient aux femmes de redoubler de vigilance. »
Elle leur conseille de ne pas rencontrer leur agresseur seules et surtout pas dans un lieu isolé. « Si elles doivent le rencontrer, il vaut mieux qu’elles soient accompagnées. »
Autonomisation
Elle plaide pour offrir un meilleur encadrement et des formations aux victimes afin qu’elles soient autonomes. « Il faut offrir aux victimes des soutiens financiers, des facilités de logement et des services de surveillance des enfants après les heures de classe pour qu’elles puissent travailler et sortir de cette spirale infernale. Souvent c’est parce qu’elles sont financièrement dépendantes de leur bourreau que les femmes retournent sous le toit conjugal », explique Ambal Jeanne.
Réaction citoyenne
Elle souhaite également davantage de réactions citoyennes face à ce problème. « Si vous savez que votre voisine est une femme battue et qu’elle a une ordonnance de protection, appelez sur la hotline. Nul ne doit cautionner la violence. C’est souvent après le décès de la victime que des personnes de son entourage viennent dénoncer ces actes de violence. Certains vont jusqu’à dire qu’elle l’a mérité parce qu’elle avait un amant. Rien ne justifie la violence », martèle Ambal Jeanne.
Proactivité
De plus, Ambal Jeanne est d’avis que la police doit faire preuve de plus de proactivité quand il est question de cas de violence domestique. « Si une victime appelle à l’aide, il ne faut pas tarder. Si un agresseur a décidé de s’en prendre à cette dernière, il va le faire et sera même prêt à aller jusqu’à la tuer », dit la responsable de SOS Femmes.
L’inspecteur Shiva Coothen, responsable de la cellule de communication de la police, indique que l’objectif de Brigade pour la protection de la famille, qui est une unité créée en début d’année, est de protéger des victimes de violence domestique et de maltraitance.
Il explique qu’un Protection Order est un rempart contre la violence. Évoquant les cas de féminicide, l’inspecteur Shiva Coothen rappelle que c’est souvent dû au fait que le couple arrive à trouver une entente à un moment donné. « Souvent il y a un semblant de réconciliation à cause des enfants et parce que la femme n’est pas financièrement indépendante. La situation finit toutefois par dégénérer. Il y a aussi des cas où les agresseurs agissent par vengeance parce que les victimes ont osé demander de l’aide », constate-t-il.
Il explique que dans certains cas, les autorités essaient de jouer la carte de la médiation pour préserver la cellule familiale. Il lance un appel à toute personne témoin d’un cas de violence domestique de dénoncer l’agresseur afin d’éviter des tragédies.
50 % des victimes optent pour le divorce
Selon nos recoupements auprès des autorités concernées, 50 % des victimes qui détiennent une ordonnance de protection optent pour la séparation ou le divorce.
Les aides disponibles
Après avoir obtenu une ordonnance de protection, certaines victimes essaient de tourner la page, même si elles se font harceler par leur agresseur. Il y a des cas où elles succombent et se retrouvent en détresse si elles renouent contact avec leur partenaire ou si elles vont à la rencontre de leur ex qui use souvent de prétextes ou qui a recours au chantage émotionnel.
Il existe plusieurs avenues pour obtenir de l’aide :
- Les Family Support Bureau répartis à travers le pays
- La police
- L’application mobile Lespwar
- La hotline 139
Bracelets électroniques
Pour une meilleure surveillance des agresseurs, la responsable de SOS Femmes suggère d’introduire le port de bracelets électroniques. « Une victime ne peut pas rester cloîtrée à l’intérieur et vivre dans la peur. Les autorités doivent appliquer cette mesure qui permettra de mieux surveiller l’agresseur et s’assurer qu’il ne s’approche pas de sa proie qui est détentrice d’un Protection Order. »
Qu’est-ce qu’une ordonnance de protection ?
Une ordonnance de protection, appelée Protection Order en anglais, est une solution immédiate au problème de la violence domestique. C’est un ordre, généralement temporaire, émis par une cour de justice et interdisant à l’agresseur de harceler physiquement, moralement et émotionnellement la victime, et ce même s’ils cohabitent.
Avec une ordonnance de protection, l’agresseur a l’obligation de se tenir à distance de la victime. C’est ce qu’on fait ressortir au niveau du ministère de l’Égalité des genres. « Dès qu’une victime rapporte un cas dans un de nos Family Support Bureau, nous analysons le cas. Nous cernons d’abord la gravité du cas. Nous informons ensuite la victime de ses droits et nous l’accompagnons pour rédiger l’ébauche de son affidavit en sus de l’accompagner à la cour pour sa demande de Protection Order », précise-t-on.
Un magistrat écoute ensuite l’affaire avant d’émettre un Interim Protection Order, lequel est valable pendant 14 jours à compter de la date de son émission. Durant ce laps de temps, l’agresseur est appelé à donner sa version.
Le 14e jour, l’accusé et la victime sont tous deux appelés à s’expliquer. Cette dernière a droit à un représentant légal du ministère sans avoir à encourir de frais à payer. Si l’accusé accepte les charges portées contre lui, le magistrat accorde à la victime une ordonnance de protection pour une période ne dépassant pas deux ans.
Si l’agresseur dit qu’il ne va plus recommencer et qu’il va bien se comporter, le cas peut être « set aside ». S’il rejette les accusations portées contre lui, il doit trouver un avocat pour se défendre.
Les officiels du ministère font un suivi du cas. « C’est pour voir si la situation se décante ou si elle dégénère », indique-t-on. En ce qui concerne un abri temporaire pour les victimes, le ministère ne dispose d’aucun centre et travaille en collaboration avec des organisations non gouvernementales pour offrir un toit temporairement aux victimes et à leur(s) enfant(s).
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