Interview

Vinod Appadoo, Commissaire des prisons : «Les informations menant aux saisies de drogue émanent de la prison»

Nombre de renseignements sur les affaires en cours ont été fournis à la brigade antidrogue et à la commission anticorruption par l’administration pénitentiaire. Vinod Appadoo dit négocier pour que ceux qui ont communiqué de telles informations soient récompensés.

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« Désormais, les prisonniers étrangers ne pourront accepter de l’argent remis par des Mauriciens. »

Vous êtes à la tête de l’administration pénitentiaire depuis neuf mois. Avec le recul, pensez-vous, en tant qu’ex-directeur de l’Anti-Drug and Smuggling Unit, qu’il faut un « outsider » pour faire régner l’ordre dans les prisons ?
Vous me mettez dans l’embarras. C’est difficile pour moi de répondre à cette question… Je ne suis pas en mesure de commenter la politique de l’État. Cependant, je tiens à faire ressortir que je suis satisfait de la collaboration des officiers de la prison. J’ai appris beaucoup de choses sur l’univers carcéral en peu de temps. Sans eux, cela aurait été difficile pour moi de comprendre certains détails.

La prison a longtemps été perçue comme une centrale d’achats de stupéfiants. Qu’est-ce qui est mis en œuvre pour limiter les appels téléphoniques et autres types de communication ?
Nous venons de prendre livraison d’un certain nombre d’équipements sophistiqués qui nous permettront de détecter des téléphones portables même s’ils sont éteints ou dissimulés dans un matelas, voire dans un mur. Nous venons aussi d’accueillir deux chiens renifleurs d’Afrique du Sud qui peuvent non seulement déceler des stupéfiants mais nous mener à des batteries de cellulaires et à d’autres accessoires.

Ces chiens renifleurs sont sollicités tous les jours. Ils sont derrière la saisie de plusieurs téléphones portables. Nous multiplions les patrouilles chaque matin dans les cours communes pour vérifier si des appareils ont été lancés par-dessus le mur d’enceinte des prisons la veille au soir. C’est souvent le cas à la prison centrale de Beau-Bassin, situé en plein quartier résidentiel.

Rien que ce jeudi, huit téléphones portables ont été récupérés. Ils vont du téléphone basique aux smartphones. De temps en temps, nous procédons à fouilles surprises dans les cellules des caïds soupçonnés de s’adonner au trafic de drogue.

Ne serait-il pas temps d’utiliser les caméras de vidéosurveillance et des drones pour avoir tout ce beau monde à l’œil ?
Les caméras ne couvrent pas tout. Notamment quand les détenus se mettent à l’ombre dans les Association Yards. Pour ce qui est des drones, nous allons en acquérir deux pour aider nos équipes lors des patrouilles. Ils seront aussi nécessaires pour la surveillance des murs d’enceinte.

L’ombre de Peroomal Veeren, que vous avez arrêté en 2002, plane sur l’importation des 157 kilos d’héroïne saisis le mois dernier. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne sais pas comment l’expliquer. La brigade antidrogue et la commission anticorruption mènent chacune une enquête. Nous serons bientôt fixés. En ce qui concerne Peroomal Veeren, je vous rassure qu’il ne peut passer aucun appel téléphonique depuis le 30 mars. Il a été placé en isolation dans l’aile de la prison réservée aux pirates somaliens.

Ses messages ont même été interceptés dans une bouteille de lait. N’a-t-il pas de complices parmi les gardiens pour qu’il soit en mesure d’opérer en toute impunité ?
Je l’ignorais jusqu’à présent. Toutefois, il faut souligner qu’il n’y a qu’une poignée de gardiens qui ont accès à Peroomal Veeren. Pour ce qui est des messages qui sont transmis par d’autres moyens, je ne sais pas comment il fait. Le condamné reçoit aussi régulièrement des visites de plusieurs avocats.

De combien d’avocats dispose Peroomal Veeren pour sa défense ?
Ils sont nombreux. Ils vont des ténors du barreau aux nouveaux venus de la profession.

Ils ne doivent pas faire dans du bénévolat. Comment sont-ils rémunérés ?
Pour qu’un avocat se déplace jusqu’à la prison, c’est qu’il a bien été payé. Avez-vous déjà vu un homme de loi faire du bénévolat ?

Ne faut-il pas séparer les caïds étrangers des locaux pour mettre un terme au trafic « in-house » et hors des murs de la prison ?
Cette question mérite réflexion. L’idée n’est pas mauvaise. Mais peut-on empêcher deux personnes de communiquer si elles le désirent ? Elles n’ont qu’à échanger leurs numéros de téléphone. Et c’est un gardien qui va jouer au messager. Comment séparer les détenus étrangers et mauriciens à l’heure de la prière ou de la récréation ? L’on ne peut pas avoir d’horaires différents pour eux.

On parle de détenus au service de Peroomal Veeren qui seraient rémunérés par mandats de poste. Est-ce qu’une enquête a été diligentée pour savoir si c’est le cas ?
Une requête a été faite aux autorités concernées pour connaître l’identité de ceux qui envoient de l’argent à ces détenus et de ceux qui en envoient aux prisonniers étrangers. Selon la procédure, un étranger ne peut recevoir de l’argent que des membres de sa famille ou de l’ambassade de son pays.

Cette pratique dure depuis des années. Désormais, les étrangers ne pourront accepter de l’argent remis par des Mauriciens. Une enquête sera ouverte par la brigade antidrogue, la commission anticorruption ou la Financial Intelligence Unit à propos de ces mandats de poste.

Des gardiens sont entendus par la commission Lam Shang Leen. Est-ce normal qu’ils soient en contact téléphonique régulier avec des caïds condamnés ? Seront-ils sanctionnés ?
Ils devront s’expliquer. Mais ils ne peuvent pas être sanctionnés deux fois de suite. Il faudra attendre les conclusions de la commission d’enquête pour déterminer s’ils seront inculpés par la police ou la commission anticorruption. N’oublions pas qu’ils ont droit à la présomption d’innocence aussi longtemps qu’ils ne sont pas déclarés coupables par une instance autorisée.

Chaque cas est différent. Chaque gardien a reçu un avertissement. Ceux qui ont fauté ont été transférés vers une autre prison où ils ne seront pas en contact avec les détenus avec lesquels ils étaient en communication. Quand je suis arrivé à la prison, on m’a averti que certains officiers étaient au service de caïds. Je leur ai proposé un transfert. Certains ont accepté, d’autres pas.

Avant, j’étais de l’autre côté du mur. Quand j’arrêtais un suspect et que je le faisais condamner, je ne m’attendais pas à ce qu’il côtoie un même gardien pendant plus de trente ans. Des liens se créent. Cela ne devrait pas être le cas.

Des gardiens prétendent qu’ils sont « zougader » pour justifier l’argent versé sur leurs comptes bancaires. L’appât du gain ne serait-il pas, après tout, la mère de tous les vices ?
Lorsque vous êtes recruté au sein de la fonction publique, on vous informe que vous n’avez pas le droit de parier. Il en est de même pour les dettes. Au cas contraire, vous commettez un délit.

Les dernières grosses saisies de drogue ont été effectuées en grande partie grâce aux renseignements émanant de la prison. Pourquoi ce grand déballage maintenant ?  
Un nombre incalculable de renseignements sur les affaires en cours ont été fournis par l’administration pénitentiaire. La commission d’enquête sur la drogue fait aussi du bon travail, tout comme la brigade antidrogue et les services douaniers.

Les policiers ayant procédé aux saisies de drogue peuvent prétendre à une récompense. Qu’en est-il des gardiens ayant obtenu ces « tuyaux » ?
Ils ne touchent rien. J’ai fait une demande pour que les officiers qui ont fourni des renseignements ayant mené à des saisies ne soient pas oubliés. Tou seki ou pe tande ou pe trouve, mazorite linformasyon sorte depi prizon…

 

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