L’ancien secrétaire aux Affaires étrangères Vijay Makhan aborde les élections en Grande-Bretagne et en France, ainsi que celles qui auront lieu à Maurice. Sur les Chagos, le pays a, selon lui, été berné par les Britanniques, mais il considère l’arrivée du nouveau gouvernement comme un signe positif.
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Il a fallu que les grands partis français fassent barrage pour que le Rassemblement National ne remporte pas une majorité aux législatives de dimanche dernier. Comment expliquer cette montée de l’extrême-droite dans un pays pourtant réputé pour son mélange ethnique ?
Plusieurs facteurs ont contribué à la montée de l’extrême droite. Les politiques publiques, qui ont désindustrialisé des régions entières au nom de la mondialisation, ont visiblement échoué. Cela a entraîné la suppression de nombreux services publics de proximité, avec la rationalisation et l’économie comme paravents. En conséquence, ces territoires se sont sentis abandonnés par le pouvoir public, et leurs habitants se sont perçus comme des citoyens de seconde catégorie. Par exemple, le problème de l’accès aux structures médicales dans les zones périphériques ou rurales dépourvues d’autres services publics.
Il y a aussi le problème de repli communautaire qui met à mal le système républicain… sans oublier ce sentiment diffus d’impuissance européenne et occidentale face aux crises globales comme le réchauffement climatique et les guerres, notamment celle en Ukraine sur le sol européen. Tout cela, mêlé à l’inflation et aux images de réfugiés arrivant sur les côtes européennes ou périssant en mer, contribue à créer des sentiments de frustration, d’abandon, de déclassement, de peur, qui sont savamment exploités par l’extrême droite… donnant ainsi les résultats qu’on connaît.
La situation actuelle est que le président Emmanuel Macron devra très probablement composer avec un gouvernement majoritairement de gauche. Est-ce une situation gouvernable ?
Ce ne sera certes pas facile, mais faut-il encore que les factions de la gauche s’entende entre elles et ensuite avec la mouvance présidentielle. Mais il y a bien eu la cohabitation dans un passé pas trop lointain, non ?
Les politiciens de la droite ont exploité, sans états d’âme, le phénomène de l’immigration qui a même mené à des actes de xénophobie»
En Grande-Bretagne, on note une tendance inverse. Les conservateurs, qui prônaient, entre autres, une politique de l’immigration stricte, ont concédé une défaite historique, la plus lourde de leur histoire, après 14 ans au pouvoir. Les travaillistes ont raflé 411 sièges sur 650. Qu’est-ce que cela traduit ?
À première vue, c’est comme un raz-de-marée travailliste qui a déferlé sur la Grande-Bretagne. Mais en scrutant de près les résultats issus des urnes, on constate que les vainqueurs n’ont été plébiscités que par un peu moins de 34 % des suffrages exprimés, qui se situent à 59,9 % seulement comparés aux 67,3 % enregistrés en 2019. Le décompte final montre que le Labour a toutefois raflé 64 % des sièges ! C’est dire que le système First past the post a ses caprices.
Le parti Reform de Nigel Farage, de la droite dure, a fait élire cinq députés tout en obtenant 14 % des votes, et s’est retrouvé en deuxième position dans plus de 100 circonscriptions. Cinq indépendants, incluant l’ami Jeremy Corbyn, se sont faits élire aux dépens du Labour à cause de la position de Starmer sur le conflit à Gaza et la question palestinienne.
L’électorat britannique avait déjà fait son choix de se séparer des conservateurs, comme prédit par divers sondages bien avant la date des élections. Après 14 ans de cruelle austérité, un Brexit néfaste, le Partygate de Boris Johnson en pleine Covid-19 avec sa dose de corruption dans l’approvisionnement des matériaux pour combattre le virus, l’immigration non contenue, et le déclin économique, entre autres, le défi de se maintenir au pouvoir était quasiment impossible pour les conservateurs.
Le boulevard de redresse-ment qui s’ouvre devant le nouveau gouvernement est énorme, et les défis sont majeurs. Le Labour aura à faire face aux pressions pas seulement de la droite combinée, mais aussi venant des libéraux démocrates, qui ont 71 sièges.
Au fait, la question qui se pose en finalité, c’est est-ce que les Britanniques ont voté pour le Labour ou contre les Conservateurs ?
De l’autre côté, on assiste à la montée de l’extrême-droite, notamment aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, de même qu’en Italie, où elle est au pouvoir depuis octobre 2022. Aux États-Unis, Donald Trump a toutes ses chances pour redevenir président. Comment interpréter tout cela ?
Je pense qu’il y a une certaine dose de nationalisme qui s’installe dans ces pays et que les politiciens de la droite ont exploité, sans états d’âme, le phénomène de l’immigration, qui a même mené à des actes de xénophobie.
Il faut que les dirigeants trouvent les moyens de composer avec cette nouvelle configuration de la démographie dans leurs pays. Qu’ils se rendent compte que ces millions d’immigrés installés légitimement ont contribué de façon indélébile au progrès de leurs pays d’adoption.
Il faut tout faire, d’autre part, pour rendre les pays de source d’immigration clandestine, stables et viables économiquement. Si l’on ne fait rien, bonjour les dégâts !
Il y a comme une maladie politique qui ronge certaines personnes cherchant désespérément un ticket électoral»
Y a-t-il un ras-le-bol dans le monde par rapport à la politique « traditionnelle » ? Sommes-nous à la fin d’un cycle ?
Vous savez, je ne suis ni politologue, ni expert avisé en la matière, et donc je m’abstiendrai de faire des analyses et de me prononcer sur la fin d’un cycle ou pas, gardant à l’esprit l’énoncé controversé de Francis Fukuyama sur la fin de l’histoire, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique après la fin de la guerre froide. De mon point de vue, il n’y a pas de politique traditionnelle ou conventionnelle, et je n’oserais pas m’aventurer dans une quelconque définition académique de ce terme qui, je constate d’ailleurs, est à la mode, surtout dans le contexte mauricien.
La déclaration d’une candidate à la partielle, que le parti qu’elle représente n’a rien à voir avec les « partis traditionnels » m’interpelle. En scrutant les antécédents politiques des dirigeants de son parti, on constate qu’ils sont presque tous issus de ces mêmes partis. Allez comprendre !
C’est la façon de faire la politique que l’on qualifie de « traditionnelle », ou alors, comme clamé par certain(e)s en quête de virginité politique, de faire de la « politique autrement », alors que, finalement, ce ne sont que des paroles qu’ils énoncent pour faire croire qu’ils sont moulus différemment, « autrement » animés et motivés. Pourtant, ils s’adonnent à la distribution de molletons, de micro-ondes, de bouteilles de vin, de gâteaux Marie, de karchers et autres casseroles aux mandants, ainsi qu’au placement des banderoles à leur gloire et louange.
En fin de compte, la politique c’est la politique, point. Les enjeux restent pratiquement les mêmes, c’est la façon dont elle est pratiquée, et les outils dont on se sert pour promouvoir son objectif et sa vision politiques, qu’on peut qualifier de « traditionnelle » ou « autrement ».
Peut-on transposer un éventuel ras-le-bol à Maurice où, sondage après sondage, les Mauriciens affichent de plus en plus leurs doutes par rapport aux partis traditionnels ?
Le Mauricien est de nature très critique. Il est friand de politique qui, peut-être après le football, est le sujet le plus débattu à tout niveau et en toutes occasions. Quand quelqu’un vous demande « ki pozision ? », il cherche, la plupart du temps, votre avis sur la situation politique dans le pays et il vous donnera le sien généreusement. Il vous sortira des clichés comme « zot tou parey » ou « y en a marre ». Or, un relevé des taux de participation au vote lors des élections vous donnera la preuve que ce sont ces mêmes partis que vous qualifiez de traditionnels qui sont favorisés.
S’il y a effectivement un ras-le-bol des Mauriciens, on constate que d’autres partis ne parviennent pas à émerger jusqu’ici. Pourquoi ?
À Maurice, il existe un folklore bien enraciné dans nos mœurs politiques. Ainsi, à la veille de chaque scrutin national, on constate une prolifération de partis politiques qui sortent de terre comme des champignons après chaque grosse averse. Pour l’aspect folklorique, c’est bien, c’est même amusant, mais ça fait désordre dans l’ensemble. Ajoutez à cela, les candidats dits indépendants.
Il y a comme une maladie politique qui ronge certaines personnes cherchant désespérément un ticket électoral. Et pourtant, il y a bien d’autres façons de contribuer à l’avancement de son pays.
Mais le Mauricien est fondamentalement conser-vateur, ou plutôt traditionaliste. Il aime bien donner de l’espace à tous ceux qui veulent affronter l’électorat, mais une fois l’échéance fixée, il retombe sur les partis que vous appelez traditionnels pour faire son choix.
Toutefois, les partis dont on parle, et qui ne parviennent pas à émerger, croient dur comme fer qu’ils formeront le prochain gouvernement. Ils ne prennent pas conscience du fait que les élections ici se gagnent parfois sur le fil et, en se jetant dans la joute, ils font le jeu de ceux-là même qu’ils veulent déloger en grappillant quelques poignées de vote au détriment surtout des partis qui ont une histoire et une expérience vécue, tant au gouvernement que dans l’opposition parlementaire.
Ils auront à assumer les conséquences de l’action qu’ils envisagent de prendre lors du prochain scrutin, surtout dans notre système incongru du first past the post. La responsabilité leur incombe, à eux seuls.
On s’est servi du temps de l’Assemblée pour essayer de marquer des points politiques et se faire passer pour des grands défenseurs de la démocratie»
Pensez-vous que le retour des travaillistes britanniques au pouvoir permettra une résolution rapide du litige sur l’archipel des Chagos ? Maurice devrait-il revoir ses exigences par rapport à celles qu’il avait lors des négociations du temps des conservateurs ?
Je ne suis pas au courant des axes ou exigences de négociation que nous avons privilégiés. Je pense que, d’une part, nous avons laissé filer certaines opportunités qui s’étaient présentées durant ces négociations et, d’autre part, nous nous sommes laissé mener par le bout du nez par les Britanniques.
Certainement, j’ai plus d’espoir quant à un dénouement satisfaisant avec le nouveau gouvernement qui s’installe à Londres. Mais je garde toutefois en tête que c’est sous des régimes travaillistes à Londres que nous avons subi les frasques les plus amères de ce douloureux épisode de notre histoire, en se rappelant Harold Wilson, Tony Blair et autres Gordon Brown et Milliband.
Les déclarations antérieures faites par Keir Starmer et son ministre des Affaires étrangères, David Lammy, sur la question, mais aussi sur la nécessité de respecter le droit international et promouvoir les droits humains, me laissent croire en une conclusion juste et équitable clôturant enfin cette saga monstrueuse qui perdure depuis plus d’un demi-siècle. Cela dit, je pense qu’il serait plus approprié que les négociations reprennent après nos propres élections ici. Ce sera, peut-être, aussi la position qu’adoptera le nouveau gouvernement britannique.
Le Political Financing Bill et le Constitution Amendment Bill sont passés au vote mardi dernier. Le PTr et le MMM, qui se disent en faveur d’une loi sur le financement politique, ont voté contre le texte de loi, alors que Nando Bodha, Xavier-Luc Duval et Patrice Armance se sont abstenus. Est-ce que le PTr et le MMM n’auraient pas dû voter en faveur du texte avec la précision d’apporter des amendements s’ils viennent éventuellement au pouvoir aux élections générales ?
Mais pas du tout ! Ils ont eu raison de ne pas voter cette loi. D’ailleurs, ils l’avaient déjà fait savoir au tout début. Ne pense-t-on pas qu’une loi de cette importance fondamentale, et le changement constitutionnel y relatif, auraient dû faire l’objet de consultations approfondies entre tous les acteurs de la scène démocratique du pays ? Est-ce sérieux de mettre une telle loi, dont le principe est agréé par tous, sur la table de l’Assemblée, à la veille d’un scrutin national ?
On s’est servi du temps de l’Assemblée pour essayer de marquer des points politiques et se faire passer pour des grands défenseurs de la démocratie, alors que cinq ans se sont écoulés depuis la dernière tentative du même genre, avec quelques ajouts cosmétiques cette fois-ci, et qui avait connu le même échec. On aurait pu mettre sur pied un Select Committee dès le début de la présente législature, qui se serait attelé à la tâche et qui aurait présenté un rapport et un projet de loi consensuel dans le temps.
Mais non, ça c’était la voie trop facile et n’aurait pas permis à ceux qui nous gouvernent de se pavaner comme des chevaliers de la démocratie, n’est-ce pas ?
L’atterrissage d’un premier avion de la navy indienne à Agaléga, mardi, a ravivé les doutes quant à l’utilisation de la nouvelle piste d’atterrissage. Est-ce la preuve qu’attendaient ceux qui disaient que ces nouvelles infrastructures serviraient comme base indienne ?
Tous ceux qui ont suivi ce dossier de près, et qui se sont attardés sur les différentes réponses données par les autorités, ici et à New Delhi, aux interrogations légitimes, et qui ont épluché les articles de la presse indienne à ce sujet, savaient très bien de quoi il s’agissait. Une piste d’atterrissage de cette envergure et un quai en eau profonde à Agaléga n’étaient pas destinés à faire atterrir des Piper Navajos ou autres ATR et des navires de cabotage, sans oublier les hangars et autres infrastructures mis en place sur l’île. C’est dire que l’on savait très bien la finalité de cette entreprise. Tout ce que l’on voulait, c’est que le voile de ce secret de polichinelle et l’opacité entourant cette question soient levés de façon officielle !
Ceci dit, soyons clairs. Notre pays n’a pas la capacité, à lui seul, d’assurer la surveillance et la sécurité de sa zone maritime exclusive contre la piraterie, la pêche illégale, entre autres. L’Inde est un pays ami avec qui nous partageons des liens privilégiés. Il n’est pas exclu que le gouvernement a consenti certaines facilités d’ordre militaire en échange de la coopération maritime dont je fais état. Et là encore, faute d’informations précises, je me laisse aller à la spéculation.
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