La polémique enfle depuis quelques jours autour d’une chanson jugée « sectaire » entonnée par des élèves du collège Royal de Curepipe le 10 février 2023, lors de la proclamation des lauréats.
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«Mo pas lari Big Ben, mo zwenn enn ti angle… Mo demann li ti potis dir mwa ki to vande ayo… » Voici les premières paroles de « Salam Alekum » du GRUP KILTIREL IDP. C’est cette chanson, qui remonte à des décennies, qui a été détournée et entonnée pendant plusieurs années par des collégiens.
Si des années durant elle avait été fredonnée dans un cercle fermé, ce n’est que depuis quelques jours qu’elle a été étalée sur la place publique. Des vidéos montrant des élèves du Royal College Curepipe (RCC) scandant des paroles jugées sectaires, le 10 février 2023 à la proclamation de la liste des lauréats, sont en circulation. Ce qui a suscité la polémique car elles visent une composante de la population.
Dans un communiqué émis dans l’après-midi du mardi 7 mars (voir encadré), le RCC indique que cette chanson revisitée existe depuis plus d’une soixantaine d’années et qu’elle a été entonnée dans le passé sans aucune intention de blesser qui que ce soit. « Les chansons avec des injures et des insultes parmi les élèves ont toujours existé », s’accordent à dire plusieurs personnes interrogées par Le Défi Quotidien.
Or, « ce qui s’est passé au RCC est condamnable et ne peut être justifié… C’est un dérapage qu’il faut immédiatement arrêter. Il faut agir. D’autant que nous sommes dans une société multiraciale où il y a des susceptibilités », souligne Jacques Malié, ex-recteur du collège St-Esprit et lui-même un ancien élève du RCC.
Il ajoute que le recteur doit pouvoir se faire respecter par les élèves. Selon lui, le comportement des élèves concernés s’explique par une attitude de « démesure » sur laquelle malheureusement des autorités fermeraient les yeux.
Jacques Malié est toutefois d’avis que la discipline n’est pas uniquement l’affaire du recteur. « Tout le corps professoral doit participer. Il ne doit pas se contenter de dire ‘mo fer mo klas, mo ale’. Il ne faut pas se dédouaner de ses responsabilités. »
Pour Jacques Malié, lorsque ce sont des personnes considérées comme faisant partie de « l’élite » qui font preuve d’un tel comportement, cela tend à démontrer une érosion des valeurs. Ce comportement est le reflet de la société : « Peut-être que c’est à l’image des manifestations que nous voyons après des élections dans le pays qui donnent parfois lieu à des débordements, voire à des agressions. Les personnes impliquées n’en tirent aucun bénéfice, mais c’est aussi, pour ainsi dire, ‘enn mank lokipason’. »
« C’est un reflet de notre société, de la façon dont on s’exprime et de la manière dont on interagit. Nou servi li, nou tann li », indique, pour sa part, le sociologue Ibrahim Koodoruth. Il dit ne pas être choqué. « Ce type de chansons a toujours existé, sauf que cette fois, elle a été tirée de son contexte. Il ne faudrait surtout pas qu’on fasse preuve de fausse pudeur, que nous soyons tout d’un coup devenus une nation arc-en-ciel, alors que dans la vie de tous les jours, les réflexions, les paroles et les actions qui pourraient être qualifiées de ‘communal’ sont légion », dit-il.
Le Senior Lecturer en sociologie à l’université de Maurice estime que cela ne veut rien dire que ce type de comportement émane de l’élite. « À mon avis, l’élite ne se trouve plus exclusivement dans les établissements tels que Royal ou autre. Elle se trouve aussi dans des collèges privés », conclut-il.
Le RCC fait des excuses publiques
La chanson controversée avait été « bannie » par le recteur plusieurs jours avant la proclamation de la liste des lauréats. C’est ce qu’affirme le Royal College Curepipe School Community, le signataire du communiqué en date du 7 mars 2023. Des instructions, poursuit-il, avaient été données en ce sens durant l’assemblée du matin et à travers les « prefects ». « However, theses instructions were not followed by a few students », peut-on lire dans le communiqué.
Le Royal College Curepipe School Community se dit « ashamed of these actions » de la part de ceux ayant participé à cet incident. Dans le communiqué, le collège fait des excuses publiques : « The entirety of the RCC family would like to present its most sincere apologies to all those who have been affected by this incident. »
Des sanctions « with upmost severity » sont annoncées contre ceux qui s’aventureraient à entonner cette chanson au sein du collège. Le Royal College Curepipe School Community annonce aussi une campagne de sensibilisation parmi les élèves.
Recadrer et enseigner
Jacques Malié est d’avis que le ministère se doit d’agir. Selon lui, il faut « recadrer » tout en enseignant aux élèves que de tels propos constituent une atteinte à la liberté d’autrui. Estimant qu’il y a aussi une érosion des valeurs, l’ancien recteur du collège St-Esprit recommande l’organisation d’activités telles que les inter-collèges. « C’était un moyen pour les élèves de se sentir valorisés. »
Réactions
Michael Atchia : « Ce chant n’a pas sa place au RCC »
Faisant partie des Alumni du RCC, Michael Atchia a réagi à la polémique. « Ce chant monté par des semeurs de trouble n’a pas sa place au RCC. » Il insiste que les Alumni n’ont rien à voir avec cela. « C’est une honte de vouloir associer la communauté des anciens élèves du collège, tels que sir Seewoosagur Ramgoolam, sir Gaëtan Duval, des ingénieurs, des médecins, des scientifiques et des politiciens, qui ont fréquenté le RCC, à ce chant. »
Angelo Mars, lauréat du RCC : « Ces paroles blessantes renforcent les préjugés racistes »
Angelo Mars, lauréat de la cuvée 2022 du RCC dans la filière économique, trouve dommage qu’on en soit arrivé là. Cet habitant de Résidence Barkly qualifie les paroles de cette chanson de « déplacées » et de « blessantes ». « Le recteur du collège l’a souligné dans les médias. Il a aussi tenu une assemblée pour défendre aux élèves de chanter cette chanson. Les paroles sont blessantes et renforcent les préjugés racistes qui existent à Maurice. » Le motif derrière cet acte n’est pas la provocation, dit-il. « C’est davantage de l’immaturité de la part des élèves concernés qui ne mesurent pas les conséquences des paroles qu’ils ont prononcées. Dommage qu’à cause d’une poignée d’élèves la réputation du collège soit entachée. Mais je pense aussi que devant les menaces dont font l’objet des élèves, la violence ne résoudra rien. »
Girish Coomar Greedharry, lauréat du RCC : « Cette chanson existait déjà avant que je n’intègre le collège en 2015 »
Girish Coomar Greedharry, lauréat du RCC dans la filière scientifique, précise qu’il est entré en Form I au collège en 2015. « Cette chanson existait déjà bien avant que je n’intègre le collège. Elle ne reflète pas la mentalité du RCC. Au collège, nous sommes une communauté soudée et solidaire. Nous sommes issus de différentes cultures. »
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