Interview

Veekram Bhunjun, directeur de Betamax : «Je suis disposé à discuter si le PM m’appelle»

Le patron de Betamax est amer. Il dit ne pas comprendre pourquoi le gouvernement refuse de lui verser une garantie bancaire mais dépense davantage pour s’approvisionner en carburant ailleurs qu’à Mangalore. Il révèle que nul au sein du gouvernement ne l’a contacté depuis que le Pacific Diamond est bloqué en Inde.

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Vous venez de faire bloquer 40 000 tonnes de carburant en Inde. Est-ce que vous avez constitué des réserves pour votre BMW Série 6 et vos camions-bétonnières au cas où le pays se retrouve face à une pénurie ?
Loin de nous l’idée de vouloir créer une pénurie de carburant à Maurice. Si nous avions réellement de tels desseins, nous aurions bloqué un deuxième tanker, le Blue Sky, qui a quitté le port de Mangalore le 5 décembre. À la suite de la décision du gouvernement de résilier son contrat de transport de produits pétroliers de manière unilatérale, Betamax a eu recours au Centre d’arbitrage international de Singapour qui lui a accordé des indemnités de 120 millions de dollars. La State Trading Corporation (STC) conteste cette décision devant la Cour suprême mauricienne. En attendant que l’affaire ne soit tranchée, nous devons nous assurer que la STC soit en mesure de nous payer. Le dernier bilan financier de la STC, qui remonte à 2015, démontre qu’elle en sera incapable. Nous avons agi en vertu des conventions de l’arbitrage pour nous assurer que nous aurons notre dû.

Pourquoi avoir choisi la Haute cour du Karnataka et non pas la Cour suprême mauricienne pour réclamer cette garantie bancaire ?

J’ai la conviction que le GM ne veut pas payer ces indemnités »

Chaque juridiction signataire de la Convention de New York a ses particularités. À Maurice, c’est à nous de prouver que la partie adverse est en train de dilapider nos richesses. En Inde, c’est différent : le simple fait de déplacer un bien permet de réclamer une garantie. Nous aurions pu agir dans n’importe quel autre pays où la STC dispose de biens, mais la procédure est plus facile dans la Grande péninsule.

Ne pensez-vous que les Mauriciens vont vous en vouloir si leurs fêtes de fin d’année sont gâchées par une pénurie de carburant ?
Les ministres Gungah et Sinatambou ont tout faux en affirmant que je veux mettre le pays à genoux. Avec une flotte de plus de 100 véhicules, j’aurai été le plus grand perdant d’une telle situation. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement s’obstine à ne pas nous fournir cette garantie bancaire. J’ai la conviction que le gouvernement ne veut pas payer ces indemnités. Au lieu de verser cette garantie qui tourne autour de Rs 24 millions, il préfère dépenser des centaines de millions de roupies pour s’approvisionner en carburant ailleurs. Nos avocats en Angleterre, en Inde et à Singapour n’arrivent toujours pas à comprendre la logique du gouvernement mauricien. Ils contestent la juridiction de la décision du centre d’arbitrage mais ont été présents à Singapour ! La norme veut qu’une garantie soit déposée lorsque vous faites appel. Ou swa ou dir ou pena kass.

La famille Bhunjun est davantage connue dans le bâtiment et les travaux publics. Comment vous-êtes vous retrouvé propriétaire d’un tanker ?
Il y a 11 ans, la Chambre de Commerce et d’Industrie a convié ses membres pour leur annoncer que le gouvernement compte recourir aux services d’un tanker appartenant à une société majoritairement détenue par des Mauriciens pour le transport de carburant. Je ne sais si cela a été une coïncidence, mais je me suis retrouvé face à un armateur lors d’un dîner en Inde sept mois plus tard. L’ex-président du groupe Tata m’a présenté à Teeka Singh qui gère une flotte de tankers. Je lui ai parlé de ce projet et l’ai invité à investir à hauteur de 49 %. Il a accepté de participer à hauteur de 15 %. Le groupe Bhunjun, ayant toujours pris des risques par le passé, s'est lancé dans l’aventure.

J'aurai été le plus grand perdant en cas de pénurie »

Est-ce que ce n’est pas votre beau-frère, Rajesh Jeetah, qui vous a soufflé l’idée de ce projet alors qu’il était ministre du Commerce ?

Absolument pas. Le projet avait été initié bien avant qu’il ne soit au Commerce. Il était piloté par Rashid Beebeejaun, alors ministre du Transport maritime. Notre projet a été retenu, car les autres Mauriciens qui ont participé à l’exercice avaient moins de participation que des étrangers au sein de leurs sociétés respectives.

Le contrat étant de 15 ans et l’accord avec Mangalore étant de trois ans, n’était-ce pas trop risqué pour vous ?
Le contrat prévoyait que nous devions nous ajuster pour opérer vers n’importe quel port où nous devions nous fournir en carburant. Le tout au même coût.

Vous étiez payés pour une course à Grand-Baie mais vous étiez en train d’effectuer le trajet vers Port-Louis ?
Pas du tout. Le prix aurait été le même si nous devions nous rendre à Singapour. Le contrat de 15 ans était connu avant la soumission des offres.

À combien se chiffrent vos profits durant vos six ans d’opération?
Les intérêts étaient élevés au départ. Le projet était profitable, mais ce ne sont pas les chiffres avancés par Roshi Bhadain. Quand le gouvernement dit nous avoir payé Rs 3 milliards, cela ne représente pas nos profits. Nous avons été victimes de persécutions politiques.

Pourtant, la perception est que vous avez été favorisés par l’ancien Premier ministre chez qui vos contributions ont été retrouvées...
Bizin fer la diferans ant kontribision ek donn kass.

Des commissions ?
C’est vous qui utilisez ce terme. Je peux vous donner la garantie que, si notre groupe existe depuis ces 60 dernières années, ce n’est pas à travers le paiement de commissions mais grâce au dur labeur, la méritocratie et la compétence. Bien sûr, nous avons contribué à chacune des élections au Parti travailliste comme au Mouvement socialiste militant (MSM). Sir Anerood Jugnauth m’a même tenu la main lors de mon mariage. Quand Navin Ramgoolam m’a tenu la main quelques années plus tard, cela a dû faire des jaloux. Sir Anerood a dit à mon père : Ou pli Ramgoolam ki Jugnauth aster ?

Quand avez-vous contribué pour la dernière fois au MSM ?
Aux dernières élections législatives.

Combien leur avez-vous remis?
Un peu plus que ce que j’ai donné au Parti travailliste.

Vous aviez prédit que le favori allait mordre la poussière ?
Cela dépend plus de l’appétit de l’un et de l’autre.

Sir Anerood avait annoncé début 2015 que le gouvernement allait renégocier le contrat de Betamax. Pourquoi avoir refusé de le faire ?
La vérité est tout autre. Je suis rentré de vacances tard un soir de janvier. Une voiture attendait devant ma résidence. Une lettre m’a été remise, m’informant que j’ai été convoqué avec mon avocat à l’Hôtel du gouvernement le lendemain matin pour renégocier le contrat de Betamax. Tout le gratin de l’Alliance Lepep était présent, de même que les photographes de presse. J’avais l’impression de me retrouver face à un tribunal. Le gouvernement voulait qu’on revoie nos tarifs à la baisse. Roshi Bhadain, à qui j’ai déjà donné du travail, parlait de discount. J’ai dit que si vous trouvez un transporteur alternatif avec un prix moindre, je suis disposé à faire un effort. J’ai proposé d’investir Rs 100 millions pour des bras robotisés pour le débarquement des produits pétroliers. Depuis 60 ans, c’est fait avec des tuyaux. Nous avons aussi offert de construire des cuves additionnelles au coût d’un milliard de roupies en deux phases, car le gouvernement disait n’avoir pas les moyens de le faire. Maurice aurait alors été un petroleum hub. Lors de la deuxième réunion, je n’ai même pas eu le temps de m’asseoir sur ma chaise qu’on m’a annoncé que le contrat avait été résilié.

Le gouvernement avait évoqué des économies de Rs 10 milliards en résiliant ce contrat. Que vous étiez payés 42 500 dollars par jour, alors que la norme était de 14 000 dollars. Qu’en est-il exactement ?
Est-ce que le prix à la pompe a baissé depuis ? Pourtant, le cours sur le marché mondial a plongé. Le Red Eagle a été construit sur mesure pour transporter deux types de carburant en même temps. Entre Mangalore et Port-Louis, il n’y a pas de grand trafic et pas beaucoup d’opérateurs. Contrairement entre Singapour et Tokyo. Le contrat entre le gouvernement mauricien et Betamax était basé sur le tonnage. C’est à peu près 20 dollars par tonne. Notre tarif était très compétitif.

Qui vous a contacté au gouvernement depuis ce bras de fer ?
Personne. Si Ashit Gungah ou Pravind Jugnauth m’appelle à l’instant, je suis disposé à discuter.

Pourquoi vous en veulent-ils ?
Nous vivons à une époque où les gens préfèrent vous voir faillir. Pour certains, le succès est suspect. C’est plus facile de vous descendre que de vous féliciter.

Quels sont vos autres projets auxquels le gouvernement vous a mis les bâtons dans les roues ?
Il y en a plusieurs. Nous nous apprêtions à lancer une cimenterie début 2015 qui allait permettre aux Mauriciens de faire des économies de 10 %. Nous avions même obtenu notre certificat EIA. Pour une histoire de portail qui s’ouvrait à l’intérieur au lieu de l’extérieur, nous avons perdu le bail pour un terrain dans le port. Nous réclamons des dommages de Rs 800 M au gouvernement. Il y a aussi un projet de marina à Petite Rivière-Noire qui est victime du red tapism. Sans compter un projet de villas sur les flancs de la montagne de Tamarin dont le Certificate of investment tarde.

 

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