C’est un évènement sans précédent qui sera célébré le mercredi 23 décembre chez les jumelles Noélie et Noëlla : toutes deux deviendront centenaires. À Beau-Bassin, dans la cour familiale où elles sont domiciliées, les parents s’apprêtent à organiser une fête à la veille du réveillon de Noël. Même si les jumelles ne sont pas chaudes à l’idée qu’on vienne bousculer leur tranquillité.
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Si Noëlla n’avait pas été contrainte à un fauteuil roulant à la suite d’une méchante chute, ce qui lui a donné une mine flanquée, elle ressemblerait comme une goutte d’eau à Noélie : c’est qu’elles sont de vraies jumelles natives en 1920 et les derniers enfants d’une fratrie qui en comptait, dont trois frères. Noélie a, elle, été mariée et a donné naissance à deux enfants, aujourd’hui disparus. Sa jumelle est restée célibataire.
Ce jeudi 9 décembre, c’est Noélie qui essaie de restituer par bribes les souvenirs lointains où, dit-elle « Nu tibien miser ». Entourée de ses proches, dont Roselyne, Henriette, le jeune Kendy mais aussi de Nathalie, sa garde-malade, elle décrit sa rue « kot tu ti ankor bwa, me lopital mental ti lamemm ».
À la nourriture divine s’ajoutent des plats simples et équilibrés.»
Elle se souvient encore du décès de son mari Raymond, un charpentier qui décèdera à l’âge de 35 ans sur son lieu de travail. « Zot ti met li lo plans », dit-elle. Pour élever ses enfants, Norman et Jaqueline, elle besogne dur, travaillant chez des ‘riches’ afin de leur donner une bonne éducation comme elle. « Li finn al ansien lekol Rivalland, li konn lir, ekrir, me pa li finn gegn travay », raconte Roselyne, qui habite dans la même cour.
Durant les cyclones qui s’abattirent sur Maurice, en ces temps-là, elle et les autres riverains allaient s’abriter dans l’hôpital Brown Sequard. « Kan Lakaz ti kase, mo misie ek bann vwasin rod tol ek dibwa pu rearanze », se souvient.
Très peu de souvenirs remontent chez la vieille dame, aussi Henriette, sa nièce, se charge-t-elle de raconter ce que sa mère lui a confié. « Zot (les jumelles) ti kontan sorti, zot ti konn kud. Kan zot ti pe al maryaz, zot ti met de resanz linz. »
Est-ce que Noélie est-elle consciente de vivre un évènement exceptionnel que l’État s’apprête a célébrer, à un moment ou l’humanité vit sa plus grande tragédie des temps modernes ?
Nathalie : « Isi se impe mo prop fami, kuma mo lakaz mem »
Tous les matins, après que Roselyne leur a préparé le thé et le petit déjeuner, c’est Nathalie, la garde-malade qui prend la relève à 9h pour leur donner le bain, mais aussi une deuxième tournée de thé. C’est la première fois, dit-elle, qu’elle se voit confier la responsabilité d’une dame aussi âgée. « Travay-la pa konplike, bizin ena buku lakefsion, sinon u fer travay-la kuma enn robo », assure Nathalie, qui a été engagée en octobre. Jusqu’à janvier 2020, les jumelles, elles-mêmes, préparaient le thé, faisaient à manger et nettoyaient la cour, mais lorsque Noëlla a fait une chute, il a fallu engager une assistante spécialisée. Depuis qu’elle est aux services de la famille, Nathalie a fini par devenir un des leurs. « Isi se impe mo prop fami, kuma mo lakaz mem », avoue-t-elle, avant d’ajouter : « Kan tu travay finn fini, mo koz ar zot. Li importan sa dialog-la. »
Prières, repas équilibré, un peu de whisky
Les recettes de cette longévité ont trois noms : des prières régulières, des repas équilibrés et un peu de whisky. Depuis leur adolescence, les prières ont été omniprésentes au sein de la famille des jumelles : aucune messe n’est ratée et aujourd’hui, chapelet à la main, c’est à la télévision qu’elles suivent les prêches. À la nourriture divine s’ajoutent des plats simples et équilibrés. « Zame to ti kontan letalaz, zot bann gou bien simp. Seli pli xtra, se enn cari pwason ek enn ti’ver whisky », confie Roselyne. À ce jour, elles n’ont toujours pas été informées sur la réalité de la Covid-19. « Nou pa’nn truv li neseser pu fatig zot latet ar sa. Zot pu vinn sentener biento, kifer bizin fer zot per ar sa », soutient Roselyne.
La mémoire du siècle
Depuis la chute de Noëlla, les membres de la famille, dont la plupart habite à Beau-Bassin, multiplient les visites chez les jumelles. « On sent encore plus qu’avant la nécessité de se revoir. Alors que chaque jour, nous entendons des nouvelles dramatiques à la radio, nous sommes vraiment privilégiés de compter deux jumelles centenaires dans la famille. C’est un véritable bonheur, une grâce divine. » soutient Henrietta. Le jeune Kendy, 15 ans, qui vit à l’étage de la maison des jumelles, lui-aussi reconnaît ces moments exceptionnels lorsqu’il vient tenir la conversation avec ses arrière-arrières-grand-mères. « Se de jumelles-la, pa tulezur gegn sa sans-la», admet avec un brin d’humour le garçon élève au collège. Avec des parents qui ont connu les deux grandes guerres du siècle passé, ses cyclones dévastateurs, les premiers trains de l’░île et ont voyagé à bord du métro, la famille se dit consciente d’avoir la mémoire du siècle entre les mains, mais surtout un des derniers liens familiaux qui remontent tellement loin.
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