L’hécatombe sur nos routes poursuit sa course effrénée. Rien que la semaine dernière, cinq personnes ont été cruellement arrachées à la vie. Des décès qui portent le nombre total de victimes enregistré depuis le début de l’année à 53. À fin mai 2023, on comptait 18 morts de plus sur nos routes par rapport à 2022. La situation est alarmante.
Chaque mort sur nos routes est un décès de trop. Au cours des cinq derniers mois, 53 personnes ont perdu la vie dans des accidents routiers. Ces chiffres font mal, mais pas que. Ils soulèvent également de sérieuses préoccupations. Pour plus d’un, il est temps d’agir collectivement pour mettre un frein à ce fléau. Mais comment y parvenir si la sécurité routière n’est pas ancrée dans nos mœurs ?
Alain Jeannot, président de Prévention Routière Avant Tout (PRAT) et du National Road Safety Council, ne baisse pas les bras. Il continue de plaider pour une sécurité routière renforcée. « L’année dernière, nous avons enregistré 108 victimes sur nos routes. Durant cette période, il y avait encore des restrictions en vigueur, ce qui a entraîné une diminution de la circulation routière et des activités récréatives nocturnes. Cette baisse d’activité a eu un impact direct sur le nombre d’accidents et de décès, car il y avait moins de circulation et donc moins de prévalence de l’alcool au volant », explique-t-il.
Il affirme qu’il est également important de souligner que le volume de véhicules circulant sur nos routes augmente de manière constante, avec une moyenne de 4 % par an. « Cela signifie qu’il y a un risque accru de collisions. Il est impératif que chacun s’aligne pour éviter ces accidents », souligne Alain Jeannot.
Pour lui, il est aussi crucial de tenir compte de l’expérience des conducteurs. « Le fait que certains en aient moins, surtout les jeunes, contribue à accroître le nombre d’accidents de la route. Le président de PRAT avance qu’il est essentiel de continuer à sensibiliser la population aux dangers de l’alcool, de la drogue et de l’excès de vitesse, en particulier chez les jeunes qui sont les plus concernés par ces comportements à risque. »
Alain Jeannot met aussi l’accent sur la sécurité des personnes âgées qui se déplacent à pied. Il fait ressortir que beaucoup d’entre elles dépendent des transports en commun et passent beaucoup de temps sur la route. « Il est essentiel de s’assurer que les conditions de circulation leur sont favorables. Il faut également prendre en compte leurs réflexes et leurs capacités physiques. Une vigilance particulière doit être accordée à leur égard », préconise-t-il, en s’appuyant sur le fait que de nombreuses personnes âgées ont péri dans des accidents de la route.
Il plaide aussi pour un changement de mentalité afin que chacun soit plus respectueux du code de la route et de la vie des autres. « Nous devons revenir à une mentalité où la protection de la vie est primordiale, en posant des questions légitimes sur la consommation d’alcool et de drogue », dit-il.
Le président de PRAT avance qu’il y a déjà une tendance inquiétante vu que notre pays consomme 60 millions de litres d’alcool chaque année. « Les publicités sur l’alcool, associées aux festivités, ont de graves conséquences. Bien qu’elles soient réglementées, les médias sociaux échappent souvent à ces règles. Il est nécessaire d’attirer l’attention du public sur ce problème », soutient-il.
Il évoque aussi la prévalence de la fatigue qui est un sujet important. « Les vendredis après le travail, les soirées du samedi qui s’enchaînent, le manque de sommeil et l’utilisation du téléphone portable au volant sont des sources de distraction courante qui mettent en danger la sécurité routière. Sans compter les infrastructures qui doivent être améliorées. »
Alain Jeannot préconise une hiérarchisation, comme c’est le cas en France où les piétons sont plus vulnérables que les motocyclistes ou les cyclistes, lesquels le sont plus que les automobilistes. « Il faut prendre le taureau par les cornes. Un malheur peut arriver n’importe où et n’importe quand. »
Barlen Munisami, expert en sécurité routière, tire la sonnette d’alarme face à l’augmentation préoccupante du nombre d’accidents de la route. Selon les récentes statistiques, on constate une augmentation de 23,9 % du nombre d’accidents sur nos routes en 2022, ce qui représente 6 853 cas supplémentaires par rapport à 2021.
Le nombre de décès s’élevait à 108. Depuis le début de l’année, on déplore déjà 53 décès. Barlen Munisami est convaincu que cette tendance à la hausse se poursuivra. Il ajoute que si on examine les statistiques, on constate que 108 décès ont été recensés en 2021, soit le même nombre qu’en 2022.
Il fait ressortir qu’avant la COVID-19, entre 140 et 150 décès en moyenne étaient enregistrés sur nos routes. « La pandémie et les restrictions de circulation ont contribué à un changement de comportement. Ce qui a entraîné une baisse du nombre d’accidents en 2021 et 2022. Il aurait été souhaitable que cette tendance se maintienne. Or, nous sommes seulement en mai et nous avons déjà dépassé la barre des 53 décès. Si nous continuons sur cette voie, nous risquons de franchir le cap des 125 à 130 décès d’ici la fin de l’année », prévient-il.
Le nombre de délits de fuite en hausse
En 2022, il y a eu 132 délits de fuite causant des victimes, contre 116 en 2021. Parmi ces 132 cas, il se trouve que 58,3 % (soit 77) concernaient uniquement des véhicules, tandis que les 41,7 % restants (soit 55) impliquaient à la fois des véhicules et des piétons.
Il avance que deux périodes particulièrement meurtrières restent à venir : l’hiver, caractérisé par l’obscurité et les conditions météorologiques difficiles qui réduisent la visibilité, ainsi que la période des festivités de novembre à janvier. Ces deux périodes sont propices aux accidents et entraînent de nombreux décès.
Selon Barlen Munisami, il n’existe pas de cause unique provoquant des accidents. Il cite l’erreur humaine, notamment l’excès de vitesse qui est clairement responsable de 90 % des accidents. L’alcool, le manque de discipline et de courtoisie, le non-respect du code de la route, ainsi que la négligence des piétons, entre autres, sont d’autres facteurs. « N’oublions pas que l’état des infrastructures publiques est également responsable d’un grand nombre d’accidents », précise-t-il.
L’assistant surintendant de police (ASP) Ashok Mattar souligne, pour sa part, que la police a récemment intensifié ses opérations afin de maintenir un meilleur contrôle de la situation sur nos routes. « C’est indéniable que les chiffres sont alarmants, avec un nombre croissant de piétons impliqués dans des accidents. Il est impératif de faire de notre mieux pour prévenir de tels incidents. Dans le cas des personnes âgées, il est particulièrement important de veiller à ce qu’elles ne se retrouvent pas seules lorsqu’elles se déplacent », recommande-t-il.
Il ajoute que le paysage routier a subi de nombreux changements récemment, notamment avec la construction de ponts. Il constate cependant qu’il y a eu des problèmes d’adaptation. « Sans compter ceux qui ne respectent pas le code de la route, dont les motocyclistes et les cyclistes qui font l’objet d’une surveillance accrue de la part des autorités, à travers des opérations de répression quotidiennes. »
En ce qui concerne l’alcool et la drogue, des contraventions et des tests sont régulièrement effectués. Pour l’ASP Ashok Mattar, il est préoccupant de constater que de nombreux parents ne montrent pas l’exemple en matière de conduite responsable à leurs enfants. « Cette responsabilité incombe à tous les citoyens, pas seulement à certains. Les médias et les organisations non gouvernementales ont également un rôle crucial à jouer dans cette lutte », déclare-t-il.
5 000 contrôles au quotidien
L’inspecteur Shiva Coothen indique que les statistiques sont éloquentes. « Près de 5 000 véhicules sont contrôlés quotidiennement, ce qui se traduit par environ 1 500 contraventions délivrées chaque jour. En moyenne, 100 personnes sont verbalisées chaque jour pour excès de vitesse grâce aux radars », met-il en lumière.
Il souligne que le nombre de conducteurs sous l’influence de l’alcool et de la drogue augmente, ce qui est préoccupant. « Rien que le week-end dernier, 11 472 automobilistes ont été contrôlés, dont 1 881 ont reçu une contravention. Parmi : 135 ont été épinglés pour excès de vitesse, 27 pour conduite en état d’ivresse et trois pour conduite sous l’influence de drogues », se désole-t-il.
Durant la semaine du 24 au 30 mai, la police a dressé 2 780 contraventions lors des contrôles routiers. Parmi les contrevenants, 2 495 ont reçu une amende. De plus, 42 conducteurs ont été testés positifs à l’alcootest au volant, tandis que 348 autres ont été verbalisés pour excès de vitesse. Nos intervenants concèdent que la sécurité routière est une responsabilité collective. Les conducteurs, les piétons et les autorités doivent tous travailler ensemble pour inverser cette tendance mortelle.
Bon à savoir
- 42 % des décès sur la route ont lieu la nuit
- 50 % des victimes décédées étaient sur des deux-roues
- 30 % étaient des piétons
- Selon le dernier rapport de Statistics Mauritius publié en mars dernier, en comparaison avec 2021,
- en 2022 :
- les accidents causant des blessures ont augmenté de 24 %.
- les accidents causant des blessures graves ont crû de 11,1 %.
- les accidents causant des blessures légères ont augmenté de 29,5 %.
- les accidents mortels ont diminué de 4,8 %.
- En 2022, le nombre de décès était de 108, soit le même qu’en 2021. Parmi :
- 53 étaient des conducteurs/passagers de motos ou de cyclomoteurs
- 33 étaient des piétons
Chaque accident coûte en moyenne Rs 105 609 à l’État
Les accidents de la route coûtent Rs 6 milliards au pays chaque année, selon le rapport de « Research on Road Safety in Mauritius » publié par le National Road Safety Observatory du ministère du Transport. Ce qui équivaut à 1,25 % du Produit intérieur brut. Ce chiffre révèle un excès de Rs 4,5 milliards.
Les accidents mortels coûtent Rs 1,1 milliard chaque année alors qu’il est de Rs 26,5 millions pour les accidents qui ont causé des blessures graves. Les accidents mineurs ont été évalués à Rs 18,9 millions, ce qui donne un coût moyen de Rs 105 609 par accident.
Témoignages
S.L, victime d’un accident à Tamarin en février : « Kan ferm lizie, zimaz aksidan-la bat dan latet »
Un violent accident, impliquant trois véhicules (deux voitures et un 2x4), s’est produit en février dans la région de Tamarin.
Un dénommé Claudino, qui se trouvait au volant d’une des voitures, est mort sur le coup. Le véhicule a d’ailleurs été réduit en un amas de ferraille. S.L, qui se trouvait à bord de la même voiture, a été grièvement blessé au niveau de l’arcade sourcilière, des côtes, d’un bras et de la jambe gauche. Il a passé un peu plus d’un mois à l’hôpital et a subi deux interventions chirurgicales majeures, à la hanche et au bras.
Trois mois après l’accident, la victime éprouve toujours des douleurs. S.L se demande s’il pourra récupérer un jour l’usage complet de ses membres. « Je me sens mal à l’aise. Parfwa kan mo asize anba ek kan ler mo leve mo lipie tranble », confie-t-il. La douleur est peut-être due au fait que son fémur de la jambe gauche tient à l’aide de deux vis.
« La convalescence se passe difficilement. Les muscles qui ont été froissés prennent du temps à se remettre. J’ai partiellement perdu l’usage de ma main gauche », poursuit-il. C’est deux jours avant sa sortie de l’hôpital, explique-t-il, que le personnel médical a réalisé qu’il avait le poignet cassé. « Ils ont dû mettre une prothèse car je souffrais trop. »
Sa vie a changé à jamais, selon lui. « Outre mes séances de physiothérapie, je dois prendre beaucoup de précautions en raison de mon état physique. On m’a déconseillé de faire de gros efforts pour le moment. L’accident dont j’ai été victime m’a marqué tant physiquement que moralement. Je suis hanté par les images. Enn kout kan ferm lizie, zimaz aksidan bat dan latet. Et pourtant, je dormais au moment des faits », fait ressortir cet habitant de Rivière-Noire.
Jonathan Cousine, oncle de Josué Benjamin Clair : « C’est la foi en Dieu qui nous permet de remonter la pente »
Josué Benjamin Clair, 24 ans, a perdu la vie dans un accident de la route survenu en octobre dernier dans la région de Grande-Rivière-Nord-Ouest. Il était le passager d’une motocyclette pilotée par son cousin. Une voiture qui arrivait en sens inverse a percuté violemment le deux-roues. Le jeune homme est décédé quelques minutes plus tard. Son cousin, grièvement blessé, a été transporté à l’hôpital Dr A.G. Jeetoo, à Port-Louis. Josué Benjamin Clair, un habitant de Petit-Rivière, a laissé derrière lui son épouse Nandini et un enfant en bas âge.
Huit mois après le drame qui a secoué la famille, la souffrance est toujours palpable. « Son absence est ressentie au quotidien. Lavi inn pran so lavi enn sel kout. Zame ti pou krwar. Tout s’est passé soudainement », déclare Jonathan Cousine, l’oncle de la victime. Au départ, les proches endeuillés ont voulu à tout prix connaître les circonstances ayant mené à l’accident. Des démarches ont été initiées afin de recueillir les images des caméras de surveillance de la région. Mais finalement, les parents n’ont pas voulu « remuer le couteau dans la plaie ».
« Nous nous sommes résignés au fait que Dieu a voulu rappeler Josué dans son royaume afin qu’il puisse mener une vie éternelle. Le deuil est difficile. C’est la foi en Dieu qui nous permet de remonter graduellement la pente », explique Jonathan Cousine. Seule consolation pour les parents : le fils de Josué, qui a 2 ans et s’appelle Nylan Joshua, lui ressemble comme deux gouttes d’eau.
Josué Benjamin Clair était l’aîné d’une fratrie de trois enfants. Il travaillait dans la boutique familiale que gérait son père. C’était un « grand passionné de football », indique son entourage.
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