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Transactions boursières de NMH : le rapport Taukoordass décortiqué

La plage devant l’hôtel Royal Palm, l’un des fleurons du groupe NMH. La plage devant l’hôtel Royal Palm, l’un des fleurons du groupe NMH.

Le special investigation report de Kriti Taukoordass sur la vente des actions de New Mauritius Hotels (NMH) en février 2016 est très attendu dans le secteur des services financiers. Commandité par la Financial Services Commission (FSC), le rapport a été remis le 19 mai dernier.

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La Financial Services Commission (FSC) veut tirer au clair les transactions effectuées par Rogers, ENL et Swan au sein de l’actionnariat de New Mauritius Hotels (NMH) en février 2016. L’acquisition des actions est contestée à la fois par l’actionnaire minoritaire de NMH, Sunnystars Holding- compagnie appartenant à l’avoué Robin Mardemootoo- ainsi que par les animateurs du mouvement de gauche, Rezistans ek Alternativ. Un communiqué officiel avait été émis par le régulateur des services financiers le 20 avril 2017, indiquant qu’il n’y avait aucune infraction des ‘securities takeover’ et que cette affaire avait été suivie depuis février 2016. Une investigation spéciale a toutefois été instituée le 31 mars 2017, en vertu de l’article 44A de la Financial Services Act.

Le mandat de Taukoordass

Le partenaire de la firme Mazars, Kriti Taukoordass, avait pour tâche d’établir la chronologie des événements liés aux transactions de NMH, ainsi que les faits entourant les parties impliquées, le nombre d’actions en jeu et les prix retenus. Mais il devait aussi éclairer la FSC sur les intentions et les objectifs des acquéreurs en identifiant les infractions potentielles, commises sous la Securities Act et les Securities (Takeover) Rules lors des transactions boursières de NMH en février 2016.

Les ‘findings’ de l’investigation

ENL, Rogers, Swan Life et Swan General ont pris contrôle de NMH à partir de septembre 2015. Ils possédaient collectivement 30,66 % du paid-up share capital de la société hôtelière. Le rapport Taukoordass met en perspective « l’action de concert » pour l’acquisition de 9,40 % d’actions en février 2016. Selon l’investigateur, il y a des preuves concernant six infractions, notamment :

1. Breach of the mandatory offer rule, Rule 33 of the Securities (Takeover) Rules, « whether read on its own or in conjunction with section 94 of the Securities Act », par Rogers, ENL et Swan;
2. Breach of Rule 11 of the Securities Takeover Rules, avec cinq protagonistes impliqués;
3. Breach of section 111 (1)(b) of the Securities Act (insider dealing);
4. Breach of section 111 (1)(c) of the Securities Act (insider dealing);
5. Breach of section 114 of the Securities Act (market rigging), par Rogers, ENL et Swan Securities;
6. Breach of section 116 of the Securities Act (false and misleading conduct in relation to securities) par les membres du conseil d’administration de NMH.

Toutefois, le rapport indique que ses découvertes sont partielles et que les protagonistes doivent être confrontés aux éléments qui y figurent. Une situation provoquée, selon le rapport de Taukoordass,  par le fait que « Rogers, ENL and Swan are, at this stage, refusing to collaborate in the investigation without a response from the FSC ». Selon l’investigateur, « les conclusions de cette enquête peuvent être différentes à la lumière des versions des parties visées  ».

Il a, par ailleurs, expliqué dans son rapport « although the acquirers, and in particular Swan Life, have stated that they would collaborate with the investigation, there have been various legal challenges to the investigation to date». C’est pour cette raison que l’investigateur précise que ces « findings »sont intérimaires et peuvent changer avec la version des groupes concernés.

Enter Swan Life

Les Swan managed funds ne sont pas contrôlés par Swan Life Limited qui, en tant qu’assureur, a des investissements dans NMH. Le conseil d’administration de Swan Life, à travers son investment committee, a le contrôle des droits de vote par rapport à ces actions considérées comme des life assets. Alors que Swan General se qualifie pour être un associé de Rogers, Swan Life, par contre, n’est ni un associé de Rogers ni celui d’ENL. Selon Kriti Taukoordass, les acquisitions des actions de NMH, effectuées par Swan Life avant 2016, ont été faites indépendamment d’ENL.

Mais le 15 février 2016, à la veille des transactions boursières, un comité d’investissement s’est réuni pour considérer une offre de 3,69 % de Taylor Smith Group. Louis Rivalland, CEO de Swan, était présent et a participé aux délibérations. Lors de cette réunion, l’investment manager, Nitish Benimadhu, avait affirmé que Taylor Smith Group avait fait une offre. Mais, selon Taukoordass, les preuves réunies démontrent que PAD avait donné son accord à ENL-Rogers. Swan Life s’est impliqué après que Philippe Espitalier-Noël, CEO de Rogers, ait agréé l’acquisition de toutes les actions à un agreed price.

Le prix payé par Swan « does not appear to be economically sound », mentionne le rapport. Toutes les transactions sont passées par Swan Securities. L’investigateur avance « qu’il était important pour ENL et Rogers d’empêcher Sunnystars d’acquérir ces actions en vue d’une takeover ». « Swan Life participated in mopping up the available shares and advancing the cause of ENL and Rogers », peut-on lire dans le rapport.

Kriti Taukoordass précise « qu’en participant avec ENL et Rogers aux transactions de février 2016, Swan Life s’est assemblée avec les autres to frustrate a potential takeover bid et a avancé la cause d’ENL et de Rogers pour acquérir le contrôle de NMH ». Swan, selon Taukoordass, aurait aussi enfreint l’Insurance Act et la Private Pensions Scheme Act. « Les intérêts des life funds ont clairement été négligés », a-t-il conclu. Mais Kriti Taukoordass rappelle encore une fois que les versions de Rogers, d’ENL et de Swan n’ont pas été obtenues.

Sithanen-Rambarassah

Ces deux protagonistes ont rencontré l’investigateur Taukoordass durant son enquête. Tevin Sithanen a agi comme broker au nom des vendeurs des actions de février 2016. C’est lui qui a mené les négociations avec Sunnystars Holdings. En novembre 2015, une offre de Rs 28 l’action de NMH avait été formulée à Sunnystars. Tevin Sithanen allait aussi faire une offre de rachat des 5 % que possèdent le NPF et le NSF au sein de NMH. Mais le NPF n’était pas favorable au prix proposé de Rs 29.

De son coté, Veenay Rambarassah a laissé entendre qu’il a rencontré Hector Espitalier-Noël en compagnie du conseiller en investissement du NPF, Aon Hewitt. Une rencontre qui a eu lieu dans les locaux d’ENL, au Vivea Park, à Moka. Réunion, durant laquelle, selon Veenay Rambarassah, on a encouragé le NPF à s’approprier des actions en jeu. Hector Espitalier-Noël, en tant que directeur, « was insider to NMH », écrit l’investigateur. Il aurait, selon Kriti Taukoordass, « invité le NPF à effectuer des transactions au sein de NMH sur la base des informations fournies par Gilbert Espitalier-Noël ». « This information was in my view clearly inside information », conclut l’investigateur nommé par la FSC.

Veenay Rambarassah et les représentants du NPF devaient toutefois avoir une deuxième rencontre, cette fois avec le CEO et directeur de NMH, Gilbert Espitalier-Noël. Une présentation datée du 19 janvier 2016 avait été remise à l’investment director du NPF. La présentation contenait des informations « non public and price sensitive ». Kriti Taukoordass dit noter que le CEO avait divulgué les « quarterly group results which, as of the date of the presentation, were still unpublished on the SEM website ». Selon l’investigateur, « Gilbert Espitalier-Noël aurait enfreint l’article 111 (1) (c) de la Securities Act ».

Market rigging

Les preference shares se chiffraient à Rs 10,65 le 17 février 2016 jusqu’à 13 h 28 quand ENL Land, à travers Swan Securities, s’est appropriée 64 actions préférentielles à Rs 12,75 de Taylor Smith. ENL Land s’est par la suite appropriée plusieurs actions à différents prix entre Rs 10,65 et Rs 12,75.

Toutefois, à 13 h 30, Swan Securities a effectué une dernière transaction de 1 000 actions à Rs 12,75 qui allait être le prix de référence sur le crossing board le jour suivant. « The price at which the preference shares were transacted with PAD/Taylors Smith was not driven by economic fundamentals », affirme le rapport Taukoordass. La Stock Exchange of Mauritius (SEM) est pointée du doigt « as the securities exchange failed to monitor and identify this instance of market rigging ». Toutefois, la version du broker n’a pas encore été recueillie.


ENL, Rogers et Swan trainent Taukoordass devant la cour

ENL et Rogers ont saisi la Cour suprême pour réclamer Rs 500 millions de dommages à Kriti Taukoordass. Ils soutiennent qu’ils auraient subi de «graves préjudices» lors de l’enquête. Dans la plainte conjointe déposée en Cour suprême mercredi, ENL Land et Rogers clament qu’il y aurait eu une « fundamental breach of fairness and due process » dans la conduite de l’enquête commanditée par le régulateur des services financiers. Ils soutiennent qu’ils ont fait l’objet « d’une procédure pervertie au cours de laquelle l’enquêteur a fait preuve de mauvaise foi à leur égard, en refusant délibérément de les entendre ». ENL Land et Rogers avancent qu’ils « n’ont pas été appelés pour donner leur version des faits ». Selon eux, « les éléments d’informations qu’ils ont fournis à l’enquêteur et les éclaircissements qu’ils lui ont soumis, sur sa demande, n’ont pas été pris en compte ».

Swan, de son côté, estime que Kriti Taukoordass « a failli dans l’exécution de ses fonctions dans le cadre de cette enquête ». Le groupe est d’avis « qu’il a fait preuve de mauvaise foi, qu’il y a eu abus de droit et que l’enquêteur a commis une faute grave en remettant à la FSC  un rapport biaisé »

Le cours des actions en février 2016

NMH avait enregistré ses pires résultats financiers en 2016. La dette du groupe hôtelier se chiffrait à Rs 14 milliards au 31 décembre 2016. Mais, selon Kriti Taukoordass, en décembre 2015, le cours des actions « showed volatility, possibly as a result of a potential takeover rumour » avec le prix de l’action à Rs 24,90 à la fermeture de la séance du 15 février 2016. Il note que le prix de l’action a chuté depuis la transaction et oscille autour de Rs 21.

La séquence des événements

  • 2 février 2016 :

Le board de NMH émet une annonce pour dissiper les rumeurs d’un « potential takeover » et affirme que « no bid has been received ».

  • 3 février 2016 :

Tevin Sithanen, d’Elysium Capital, a fait circuler un ‘draft irrevocable call option agreement’ à Robin Mardemootoo et ses partenaires. Cet accord avait été avalisé par Me Hervé Duval. 

  • 5 février 2016 :

Le groupe ENL, représenté par Hector Espitalier-Noël, a rencontré le management du NPF. ENL voulait augmenter son « exposure » au sein de NMH. Selon le rapport, Hector Espitalier-Noel « avait aussi révélé que ENL avait discuté avec Rogers et Swan et voulait que le NPF participe à cette transaction ». 

  • 11 février 2016 :

Une présentation formelle avait été faite au NPF par le CEO de NMH, Gilbert Espitalier-Noël, pour justifier « the attractiveness of the offer at Rs 29/share ». Une rencontre qui aurait eu lieu au head office de Rogers. Le NPF avait été mis en présence des ‘unpublished quarterly accounts’ de NMH et de « other sensitive information which were not publicly available ». L’investment director du NPF, Veenay Rambarassah, devait affirmer alors que « si le NPF participait aux transactions, cela consisterait à agir de concert » et allègue que Hector Espitalier-Noël lui aurait dit « que personne ne saura ».

  • 12 février 2016 :

NMH publie ses comptes non-audités pour le dernier trimestre de 2015. Entre-temps, le NPF a reçu un mail de Swan Securities l’invitant à acheter  dix millions d’actions de NMH à Rs 29.

  • 16 février 2016 :

C’est à cette date que Sunnystars Holdings évoque pour soutenir ses allégations l’effet qu’il y aurait eu « action de concert » autour de ces transactions boursières. Le rapport de Kriti Taukoordass note que toutes les transactions du 16 février 2016 étaient exécutées presqu’au même moment, soit entre 13 h 30 et 13 h 31, ce jour-là. Les transactions sur le crossing board représentaient un premium entre 16,5 % et 18,7 % sur le prix de référence du 15 février. Le rapport indique que les actions de Rogers et d’ENL semblaient avoir été structurées pour que le duo ne dépasse pas les 30 %, évitant ainsi une mandatory offer à Rs 29. Swan Life s’est ensuite appropriée 3,58 % des actions à environ Rs 502 millions. Kriti Taukoordass indique aussi avoir observé qu’après l’acquisition des actions ordinaires et préférentielles de PAD et  du Taylor Smith Group, le tandem Rogers-ENL avait augmenté son « effective theoretical holding » de 29,87 % à 32,45 %.

La SEM s’explique

La Stock Exchange of Mauritius (SEM), dans un communiqué émis le mardi 6 juin, affirme que les transactions et mouvements de prix des preference shares de NMH, pendant la séance du 17 février 2016, étaient en conformité avec les limites et cadres légaux, notamment les ATS Schedule of Procedures et la Securities Act 2005. Elle explique aussi que la bourse propose deux  types de plateformes : le normal board, pour les volumes en multiple de 100 et l’odd lot board pour les ordres de moins de 100 titres. Les transactions faites sur le normal board déterminent le prix du marché alors que celles  de l’odd lot board  n’ont aucun impact sur le prix, que ce soit à l’ouverture ou à la fermeture de la bourse.

 

 

 

 

 

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