Le détournement de médicaments et le trafic de drogue sont monnaie courante dans certains établissements hospitaliers. Cela dure depuis plusieurs années, mais le sujet est tabou. Nombreux préfèrent fermer les yeux sur ce qui se passe, pour éviter des représailles.
Un patient qui s’injecte un produit dans les veines. Cette scène ne se déroule pas dans la rue, mais dans les toilettes de la salle où le patient avait été admis. « Ce produit ne peut être que de la drogue », selon le témoin de la scène. Au cas contraire, l’action ne se serait pas déroulé dans les toilettes. Cela s’est passé un matin, et nul ne sait comment le patient a pu se procurer cette drogue.
Des pratiques louches se déroulent depuis plusieurs années à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo, à Port-Louis et à celui de Victoria, à Candos, selon différentes sources. Pour les membres du personnel, il est difficile de surveiller tout le monde, particulièrement à l’heure des visites. Des mesures ont aussi été mises en place pour le contrôle des médicaments, mais cela n’a pas empêché qu’ils soient détournés « en toute discrétion ». Les plus prisés sont ceux utilisés comme antidouleurs à l’issue d’une intervention chirurgicale. L’astuce est simple pour en obtenir.
Détournement
Après une intervention chirurgicale, des antidouleurs puissants, généralement de la Péthidine, sont prescrits au patient. Le médicament doit être administré chaque huit heures ou à la demande. Mais si le patient n’en demande pas, le formulaire de contrôle est néanmoins rempli à son nom pour « attester » qu’il a reçu sa dose. Le produit est alors transféré dans une seringue et la fiole du médicament est retournée à la pharmacie comme pour certifier qu’il a bien été utilisé pour le patient à qui il avait été prescrit. « Officiellement, le médicament a été utilisé pour le patient, mais en réalité, il a été recueilli pour être vendu », explique un membre du personnel d’un des établissements concernés.
Il arrive aussi que certains médicaments soient détournés depuis la pharmacie de l’hôpital avant même d’arriver à la salle. Ils sont alors vendus dans des pharmacies du privé à un prix dérisoire. Selon une source, le réseau est bien organisé. « Les pharmaciens préparent les boîtes de médicaments, qui sont alors pris en charge par des hospital attendants, qui vont se charger de les faire quitter l’hôpital et d’effectuer la livraison. »
Contraintes
Si des membres du personnel sont impliqués dans certaines combines, dans d’autres circonstances, ils sont contraints de le faire. à l’hôpital Victoria comme à celui de Dr A. G. Jeetoo, des patients semblent régner en maître. Il s’agit particulièrement de ceux qui font de longs séjours et qui finissent par connaître tous les rouages des établissements concernés et surtout le visage des membres du personnel. « Zot gagn grander lakour e zot menas bann personel parfwa si zot pa gagn seki zot rode », s’indigne un infirmier comptant de longues années d’expérience. Et cette situation perdure depuis bien longtemps, mais personne n’ose broncher par crainte de représailles.
Les divers membres du personnel interrogés affirment ainsi que, depuis au moins une dizaine d’années, il y a un trafic de médicaments à l’intention de certains patients. Certains attendants sont ainsi impliqués dans un business lucratif visant à « rendre service » à des patients. Cela en allant leur acheter des cigarettes ou des boissons alcoolisées ! « Zot pa pou fer sa pou narien, zot bizin pe gagn komision pou sa », selon des patients et des membres du personnel des hôpitaux Dr A. G. Jeetoo et Victoria, qui déplorent la quantité de mégots retrouvés par la suite dans les toilettes de certaines salles.
Va-et-vient incessant
Parfois, certains patients profitent de l’agitation qui règne pendant les heures de visite pour s’éclipser au nez et à la barbe du personnel. Pour certains, c’est du « bon débarras », mais il échoit à la police par la suite de devoir partir à leur recherche. Mais ce n’est pas que pendant les heures de visite que les patients arrivent à quitter l’hôpital. Et cela ne concerne pas que la salle des hommes, mais aussi celle des femmes. Certains le font même le soir « pour aller s’acheter à manger » et revenir quelques heures plus tard. D’autres reçoivent la visite de leurs proches en dehors des heures autorisées sous prétexte qu’ils viennent leur apporter « à manger ». « Sur une base humanitaire, nous les laissons entrer », reconnaît un infirmier. « Mais ce n’est pas souvent que cela arrive », s’empresse-t-il d’ajouter. Pour les autres patients, ce n’est pas gage de sécurité. Ils trouvent, en effet, inadmissible qu’il puisse y avoir un va-et-vient incessant dans un établissement de santé, à des heures où nombre d’entre eux requièrent du calme et du repos.
Comme des bonbons
Le repos, nombreux sont ceux qui arrivent à en trouver, surtout s’ils ont eu leur dose de « calmants » pour la nuit. Selon certains patients, des médicaments psychoactifs sont administrés comme des bonbons à ceux qui sont agités ou font semblant de souffrir. Selon différentes sources, ils se bagarrent pour avoir leur dose de médicaments tels la Péthidine. « Si les infirmiers refusent, ils sont maltraités », disent-ils.
Pourtant, du côté de la direction de l’hôpital Dr A. G. Jeetoo, un membre de la direction assure qu’un contrôle strict est exercé quant à l’administration des médicaments, particulièrement ceux tombant sous la Schedule II de la Dangerous Drug Act. Ainsi, il ne croit pas en l’existence d’un quelconque trafic ou détournement de médicaments. Un membre du personnel du même établissement n’en démord pas. Il explique que certains arrivent à s’approprier les médicaments psychoactifs qui n’ont pas été administrés à un patient. « Certains patients ne prennent pas des antidouleurs quand ils arrivent à la supporter. Mais au lieu que le médicament soit retourné à la pharmacie, il est subtilisé pour être vendu par la suite », confie notre source.
Des patients exigeants
Un infirmier soutient que certains patients, particulièrement les usagers de drogue, viennent chercher à l’hôpital ce qu’ils n’arrivent pas à avoir ailleurs. Ainsi, s’ils sont en manque lors d’un traitement quelconque, ils font du désordre afin que les membres du personnel accèdent à leur requête. Ces derniers, « pour avoir la paix » et afin qu’ils ne dérangent pas les autres patients, se plient à leurs exigences.
Dans un passé pas très lointain, des membres du personnel ont été licenciés, selon nos différentes sources. Mais certains pensent que le problème demeure présent, malgré tout, à différents échelons. Pour eux, il sera difficile de mettre fin aux diverses pratiques malsaines se déroulant dans les hôpitaux. Nombreux sont ceux qui ferment les yeux, car « zot konn nou figir telman zot vinn souvan dan lopital », expliquent nos différents interlocuteurs. Le ministère de la Santé, n’a pas été disponible pour un commentaire.
Y a-t-il eu de complicité ?
Il y a un contrôle strict des médicaments tombant sous la Schedule II de la Dangerous Drug Act. C’est ce qu’affirme un pharmacien qui connaît le dossier. Pour lui, il est difficile, à moins de bénéficier de complicité à divers niveaux, de détourner les médicaments listés. Plusieurs éléments de contrôle ont été établis afin de prévenir le détournement de ces produits. « L’administration des médicaments de ce type doit se faire sous la supervision du responsable de la salle, du médecin qui a prescrit le médicament et du pharmacien qui l’a fourni. La date, le jour, l’heure et le patient à qui il a été administré doivent être notés dans un livre à des fins de vérifications », affirme-t-il. Le pharmacien doit aussi garder ce type de médicament sous clé et doit noter la date, l’heure, la salle et le nom du patient à qui il a livré le produit.
Pour lui, il est impossible que les infirmiers soient « forcés » d’administrer des produits de la sorte sous la menace des patients. Si tel est le cas, cela signifie qu’il y a un maillon faible dans la chaîne de supervision. « C’est l’officier en charge de la salle qui doit s’assurer que chaque médicament va au patient concerné en fonction de ce qui lui a été prescrit, cela afin d’éviter une utilisation irrationnelle », soutient-il.
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