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Tabagisme : quand la jeunesse part en fumée

La prévalence du tabagisme chez les adolescents augmente, c’est ce que démontre le Global Youth Tobacco Survey 2016, rendu public en juin. 28,5 % des garçons et 10,2 % des filles de 13 à 15 ans fument à Maurice, ce qui représente 19 % de la population. Dossier.

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Le ministère de la Santé a mené une étude auprès de 2 072 élèves de plusieurs établissements scolaires et 13,7 % de ceux dans cette tranche d’âge sont des fumeurs. Il y a eu une hausse du pourcentage de fumeurs chez les garçons, de 2008 à 2016, passant de 20,3 % à 21,4 %. Le pourcentage de filles qui achètent des cigarettes a aussi augmenté pendant la même période, passant de 37,3 % à 39,5 %.

Il est 14 h 15 et nous sommes à la sortie d’un établissement secondaire de la capitale. Les collégiens s’empressent de rentrer ou de se rendre à leurs cours particuliers. Dès que nous abordons le sujet du tabagisme avec un groupe d’élèves âgés de 13 ans, il y a une certaine hésitation.

Après les avoir assurés que leur identité resterait incognito, ils commencent à se confier. « Ena al fim dan twalet, nou trouv zot cigaret dan zot plumie », lance Keshav (prénom modifié), 13 ans. Selon lui, plusieurs élèves de son établissement fument dans l’enceinte de l’école et évitent les caméras de surveillance. Certains, dit-il, fument après les heures de classe avec les élèves des autres collèges sur la gare.

« J’ai déjà essayé. Je ne savais pas trop comment il fallait procéder. Je ne sais pas si je vais continuer », explique-t-il. Mervin, pour sa part est catégorique. Il affirme que ses parents ont abordé le sujet avec lui et qu’il ne compte jamais essayer.

« Le tabac est mauvais pour la santé. Je ne veux pas tout gâcher à cause des cigarettes. Chaque chose en son temps et à cet âge, nous ne devons pas fumer, mais plutôt nous consacrer à nos études », indique-t-il.

À la gare du Nord, nous rencontrons plusieurs jeunes qui sont très relax. Ils n’ont pas l’air d’être pressés. Assis sur les bancs, ils bavardent avec leurs camarades de classe et ceux d’autres établissements. Certains ont leur cigarette à la main. Ils confient que fumer leur permet d’être in.

« C’est tout à fait normal qu’on fume, car c’est la tendance. La majorité de nos amis fument. Une fois qu’on commence, c’est difficile d’arrêter », fait observer l’un d’eux. Manuella, 14 ans, fume depuis plus d’un an. Elle grille trois à quatre cigarettes par jour et les achète avec son argent de poche.

« Je suis un social smoker et je n’en suis pas accro. Je le fais pour me détendre ou pour avoir l’air cool. Mes parents ne sont pas au courant. Sinon, ils me puniraient », relate-t-elle.
Dépendance

Le rapport indique que la consommation de cigarettes commence lorsque les enfants et les adolescents ignorent les méfaits du tabagisme sur la santé et l’effet addictif de la nicotine.
À la gare de Rose-Hill, Ashwin, 16 ans, confie qu’il en est accro. « Je le faisais parfois pour impressionner les filles ou tout simplement parce que j’éprouvais une sensation de plaisir. J’ai la tête qui tourne et cela me fait oublier mes problèmes. J’ai commencé quand j’avais 14 ans et je ne peux plus m’arrêter. De plus, c’est encore plus difficile quand tous nos amis fument autour de nous. Je fumais une ou deux cigarettes au quotidien et maintenant, je suis arrivé à huit. »

Deborah, 15 ans, fume avec ses amis. Ses premières bouffées étaient lors d’une soirée en boîte avec eux. « Comment faire autrement maintenant ? La cigarette est dans nos mœurs. Tous mes amis fument. Quand on est en train de parler, on fait le tour avec la cigarette et sans qu’on le réalise, on finit par fumer pendant la conversation. La pression de groupe est définitivement une des causes. Toutefois, j’en achète rarement, car ce sont mes amis qui m’en donnent. Aujourd’hui, je fume uniquement quand je suis avec mes amis et je ne sais pas si le nombre de cigarettes augmentera dans les prochaines années ». 

Damien, 14 ans, a commencé quand il était en Certificate of Primary Education et aujourd’hui, il ne peut plus s’en passer. Il confie même qu’il a essayé les drogues synthétiques pour découvrir la sensation.

« Je ne fume pas à l’école, mais une fois que je sors, je dois fumer. Je pense que c’est trop tard pour arrêter. Mes parents ne sont pas au courant, sinon ils ne me donneraient plus d’argent. Eux ne fument pas. J’ai commencé avec mes amis. On est laissé pour compte, si on ne fume pas. Bien qu’on connaisse très bien les méfaits du tabagisme sur notre santé, on ne peut s’empêcher de fumer. C’est plus fort que moi. Je n’ai aucun stress et je le fais par choix. »

Quand le tabagisme s’installe durant l’adolescence, il est plus difficile à vaincre. Si beaucoup pensent que la meilleure solution est de ne jamais commencer ou bien d’arrêter tout de suite, certains ne parviennent pas à le faire. C’est un cercle vicieux. Comment arrêter ? On ne vend pas de cigarettes aux mineurs et on ne vend pas les patchs non plus.

À Quatre-Bornes, nous rencontrons un groupe de jeunes, garçons et filles, qui sortent des leçons particulières. Ils ont 15 ans et la plupart d’entre eux fument. Certains le font rarement, alors que d’autres le font au quotidien.

Rien de choquant

Pour Javed, un jeune qui fume n’a rien de choquant de nos jours. « Mes grands cousins savent que je fume. Ils me donnent des cigarettes quand nous sommes ensemble. Tous mes amis le font et nous ne pensons pas que nous faisons quelque chose de mal. Je dépense environ Rs 800 par mois. Des fois, je préfère ne pas acheter de Fast Food pour pouvoir acheter des cigarettes. »

Bianca, 14 ans, fume depuis l’an dernier. Elle demande à sa grande sœur de l’argent. « Je dois fumer après chaque repas et dans la soirée. C’est maintenant une habitude et je ne peux pas arrêter, même si je le veux. J’ai tout le temps du parfum dans mon sac pour que mes enseignants et mes parents ne le découvrent pas. On dit que les poumons s’abîment en fumant, mais je suis accro », dit-elle.

Les dangers pour les jeunes

Selon l’Organisation mondiale de la santé, 50 % des fumeurs meurent d’une maladie directement liée au tabac. Quand l’un des parents fume, l’enfant exposé à la fumée fume un paquet de cigarettes en tant que fumeur passif.

La nicotine est la drogue psycho active qui induit une double dépendance : physique et psychologique. Selon le Dr Jude Cuniah, les effets à court terme du tabagisme chez les jeunes sont la mauvaise haleine, la carie dentaire et l’obstruction des voies respiratoires, entre autres.

« Les complications peuvent être la baisse des fonctions respiratoires quantifiables par le spiromètre, la mesure des constantes respiratoires, telles que le VEMS (Volume expiratoire maximal par seconde) et l’augmentation de la fréquence cardiaque. Ces deux facteurs entraînent un essoufflement et une baisse des performances sportives ou simplement dans les activités ordinaires de la vie de tous les jours. »

Selon le médecin, il existe aussi des effets du tabagisme à long terme. Plus l’intoxication débute jeune, plus vite s’installe la dépendance. « La nicotine et le monoxyde de carbone, gaz mortel contenu dans la phase gazeuse de la fumée de la cigarette, provoquent une vasoconstriction des artères. Une diminution de leur calibre favorise le dépôt de cholestérol dans la paroi interne des artères.

Ce qui a pour conséquence l’hypertension, la maladie des artères coronaires, des artères du cerveau, des membres inférieures, des artères des reins et des yeux. Les ultimes conséquences sont la crise cardiaque, les accidents vasculaires cérébraux, les attaques et l’artérite des membres inférieurs. L’occlusion des artères peut mener à l’amputation. Ces pathologies se voient de plus en plus chez les jeunes. »

Il précise que les goudrons et les métaux lourds contenus dans la phase particulaire de la fumée du tabac sont responsables de cancers, en particulier du poumon, des lèvres, de la bouche, de la langue, des cordes vocales et de l’estomac. Ces pathologies sont également en augmentation chez les jeunes.

Au féminin

Au niveau de la peau, on constate un teint terne, avec un vieillissement prématuré de la peau. Chez la femme en âge de procréer, il y a une baisse de la fertilité, des avortements prématurés, des grossesses extra-utérines plus fréquentes et des retards de croissance in utero. À la naissance, leurs bébés ont un poids inférieur à la normale.

Après la naissance, on constate plus de morts subites du nourrisson, des troubles respiratoires, auditifs, ophtalmiques, des retards mentaux, des troubles de l’attention, ainsi que des troubles de l’apprentissage. Il y a les infections de la sphère oreilles, nez, gorge et pulmonaires à répétition et cela favorise l’asthme.

Les jeunes de sexe masculin auront, d’une façon plus précoce, des troubles de l’érection, des troubles de fertilité par une diminution du nombre des spermatozoïdes et une augmentation du nombre des spermatozoïdes anormaux.

Selon le médecin, les autorités devraient revoir les lois. « Le respect strict de l’interdiction de la vente aux mineurs, ainsi que les lois d’interdiction à la publicité directe et indirecte, est à revoir. La taxation de plus en plus lourde est un moyen dissuasif. On peut proposer des moyens efficaces au sevrage dans les consultations spécialisées de tabacologie dans les hôpitaux et les dispensaires ».

En chiffres

Selon le Global Youth Tobacco Survey 2016, 30 % de ces jeunes fumeurs disent avoir été exposés à la cigarette à la maison et 30,3 % d’entre eux disent avoir commencé la cigarette avant même d’avoir atteint l’âge de la puberté.

Plus de 6 % des jeunes fumeurs consomment plus de six cigarettes par jour et 10,9 % de ces adolescents utilisent les cigarettes électroniques. La prévalence du tabagisme chez les 13-15 ans est restée la même ces dernières années, malgré les multiples campagnes de sensibilisation. La facilité d’accès est l’un des facteurs encourageant les jeunes à fumer. La moitié de ces mineurs avouent s’approvisionner en tabac dans les commerces et huit jeunes fumeurs sur dix disent acheter leurs cigarettes au détail.

63,3 % des personnes interviewées avouent avoir essayé de cesser de fumer. Seuls 27,2 % ont pu avoir l’aide et le soutien nécessaire pour y parvenir. Le tabagisme affecte non seulement les consommateurs de cigarettes, mais aussi les non-fumeurs. 29,5 % des élèves interrogés ont souligné être exposés à la fumée de la cigarette à leur domicile. Pour 46,1 %, cela se passe dans des lieux publics.

Même si la vente de cigarettes est interdite aux mineurs, de même que la vente au détail, l’accessibilité de ce produit est démontrée dans le Global Youth Tobacco Survey. Ainsi, 51,2 % des élèves ont avoué acheter eux-mêmes leurs cigarettes. Dans 57,7 % de cas, ils ne se sont pas vus refuser l’achat de cigarettes, malgré le fait qu’ils soient mineurs. 40,5 % ont affirmé avoir été initiés à la cigarette avant l’âge de 12 ans.

La vente au détail, quant à elle, a connu une grande hausse, passant de 68,7 % en 2008 à 80 % en 2016. Le rapport préconise le durcissement des lois sur la cigarette, surtout en ce qui concerne la vente au détail et fumer dans les lieux publics.

 

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