Interview

Sonia Chebbi: «Les autorités doivent créer des espaces de loisirs créatifs»

Spécialiste des jeux et des loisirs éducatifs pour les enfants, Sonia Chebbi était à Maurice cette semaine à l’invitation du CEDEM. Elle situe la place du loisir dans l’éducation de la personne. Je ne vais pas vous apprendre quelque chose de nouveau: à Maurice, l’enfant est tellement pris par l’école qu’il n’a pas le temps de jouer... Je pense que l’éducation, c’est quelque chose de global. Cela ne se passe pas qu’à l’école. L’éducation comporte trois natures : l’éducation formelle (l’école), l’éducation non formelle (accompagnée dans des structures offrant des loisirs) et l’éducation informelle (à travers la rencontre avec l’autre). Il faut vraiment prendre ces trois aspects en compte. L’éducation ne peut s’appréhender que dans une perspective globale, pas selon une petite lisière qu’est l’éducation par l’école. C’est un réel combat que de faire connaître cette éducation globale, soit apprendre de tous les instants à travers les autres et à travers la connaissance de soi-même. L’éducation doit être vraiment pensée de manière globale, sinon on met de côté toute une population et cela est dramatique. Pourquoi est-ce important pour l’enfant de jouer ? Les loisirs sont l’espace de la découverte du monde, de la découverte de soi, de l’apprentissage, de la construction de la personne. Et de la citoyenneté, bien sûr. Ils permettent de se construire hors de la pression scolaire, de la pression familiale, de faire ses propres choix, de développer sa conscience du monde, sa conscience des autres. Au sein de la CEMEA*, nous parlons ‘d’éducation nouvelle’. Dans cette construction large que nous avons de l’éducation, les loisirs éducatifs ont une place prépondérante. Nous travaillons en dehors de l’école, mais en lien avec l’école. Il est important pour les pouvoirs publics de s’intéresser aux loisirs. Dans une société, s’il n’y a pas une prise en charge par les pouvoirs publics de la question de loisirs, les classes défavorisées n’y ont pas accès. Et ça, c’est une donnée fondamentale. Les loisirs ne peuvent pas être réservés à l’élite. Il faut voir les choses en termes de progrès social. L’éducation doit permettre le progrès social et émancipateur, elle doit permettre de sortir de cette assignation de classes sociales. Y a-t-il des jeux plus recommandés que d’autres ? Je pense que la question de l’appropriation du milieu est cruciale. Il s’agit de chercher les moyens d’utiliser la ressource de chaque pays, de chaque culture, la transformer et construire des jeux, pour la transformer. Ici, vous avez un environnement marin extraordinaire, une végétation magnifique. Travaillez avec cela, voyez comment créer des espaces, faire l’enfant partir à la découverte de ce milieu. Les jeux traditionnels, dans la mesure où ils font partie du patrimoine culturel et matériel, sont très importants. L’idée est que l’enfant puisse être dans un processus de création, dans la découverte tout le temps, pas dans la consommation de loisirs. Il faudrait donc des parents créatifs... Tout à fait. L’implication des parents dans tout le processus est fondamentale. Il est important que les enfants soient accompagnés. Ce n’est pas évident d’emblée. On n’a pas forcément les idées, les outils. Les pouvoirs publics peuvent aider à ce niveau, créer des lieux où enfants et parents peuvent être accompagnés par des animateurs qui sont formés pour ouvrir toutes ces possibilités de création. Est-ce qu’ils prennent en compte cette dimension-là ? Des jeux selon la tranche d’âge des enfants, est-ce important ? Oui, bien sûr. Il faut adapter les jeux à la tranche d’âge des enfants. Et puis en fonction de leurs envies aussi ! Il ne faut pas leur imposer des choses, mais les accompagner. On doit prendre en compte le besoin individuel de chaque enfant, ses possibilités, ses capacités, ses envies. Tout ce qui puisse favoriser la créativité. Qu’en est-il des jeux violents ? C’est un réel problème. Je pense que la construction de l’esprit critique est fondamentale pour accompagner les enfants. Comment arrive-t-on à déconstruire des images avec les enfants ? Comment parvient-on à porter un regard critique sur ce qu’on regarde ? Je pense qu’en développant son regard critique, après, il n’a plus envie de regarder. Le travail de déconstruction est fondamental pour accompagner et pour la réflexion sur ce qu’est la violence. On doit accompagner la réflexion à la déconstruction. Auparavant, les jeux consistaient à courir, à faire le tour de la maison. Aujourd’hui, ça s’arrête aux manettes et aux écrans… Le défi est de sortir de cette consommation de loisirs et de voir comment on peut développer une réelle politique de loisirs dans un pays. Si l’enfant ne sait pas qu’un jeu existe, il ne l’adoptera pas. Donc, il faut l’exposer au maximum aux possibilités de jeux, accompagner son ouverture vers d’autres choses. Vous avez une tradition de contes ici. Il s’agit de voir comment réinvestir cette tradition dans des activités éducatives, dans les milieux de loisirs. Cela passe par le travail des animateurs, par les acteurs sociaux qui travaillent avec les enfants. On peut penser aussi au monde des marionnettes. On en revient à la question des moyens donnés aux associations. Les enfants jouent, crient, se chamaillent, se taquinent, avant de rejouer ensemble. Faut-il intervenir pour les séparer ? C’est une question que posent beaucoup de parents. Je pense qu’il faut créer des endroits où les parents puissent élaborer collectivement des réponses en fonction de leurs expériences. Ce serait super intéressant d’avoir des lieux de discussions, accompagné par quelqu’un au fait des questions éducatives. Ce serait un peu la formation entre pairs. On pourrait construire des réponses, s’inspirer des méthodes que certains parents ont, être en désaccord sur d’autres. Des espaces comme cela peuvent être des espaces ressources pour les parents. Idéalement, quels sont les loisirs que vous préconisez pour les enfants ? L’ouverture sur le monde. C’est la donnée fondamentale. Pas forcément sur ce qui se passe ailleurs, mais autour de soi. Après, c’est comment on ouvre le maximum de perspectives pour que les personnes aient la liberté des choix, comment on s’ouvre à toutes les diversités du monde. Sans oublier la question de la créativité. Avec la créativité, on peut être acteur de son histoire, de sa vie, et après être acteur du monde.

C’est à l’occasion du Teacher's Day que le CEDEM a accueilli Sonia Chebbi, la déléguée permanente de CEMEA-Paris. Les CEMÉA sont des associations prônant des méthodes d’éducation active. Créées il y a 70 ans, elles sont reconnues d’utilité publique.  La responsable océan Indien du CEMEA est Rita Venkatasamy, du CEDEM. Le CEMEA est présent aux Sey-chelles, à Madagascar, à la Réunion et à Mayotte.

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