Le Metro Express est sur les rails pour les essais (Trial Run), mais le Soft Launch tant annoncé pour ce lundi 30 septembre n’aura finalement pas lieu. La date du 3 octobre est désormais avancée. Les travaux n’ayant pas été complétés à 100 %, la firme italienne ITALCERTIFIER n’a pas délivré le certificat de sécurité. D’après notre enquête, le retard dans l’achèvement des travaux est attribuable à de multiples facteurs.
Le 30 septembre 2019 n’entrera pas dans l’histoire comme étant la date du lancement symbolique (Soft Launch) du Metro Express par le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Le gouvernement semble avoir été mal conseillé par certains qui avaient proposé cette date uniquement en se basant sur le contrat de Larsen & Toubro qui prévoyait la fin des travaux le 11 septembre. Ils n’avaient toutefois pas tenu compte du fait que des imprévus pouvaient surgir à n’importe quel moment.
Les certificats d’opération constituent l’un des imprévus. Le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, l’avait d’ailleurs évoqué dans sa Private Notice Question du 17 septembre 2019. Il avait fait ressortir que la firme italienne ITALCERTIFIER n’avait pas encore remis le certificat de sécurité. Le ministre des Infrastructures publiques et du Transport, Nando Bodha, avait donné l’assurance que tant que ce certificat ne serait pas reçu, le Soft Launch n’aurait pas lieu. « Je tiens à rassurer le Parlement et le public que sans ce certificat, le Metro Express ne sera pas mis en opération », avait-il déclaré.
Le ministre avait précisé que l’équipe d’assesseurs se trouvait alors déjà à Maurice. « Ils sont déjà en train d’évaluer les composantes du système », avait dit Nando Bodha avant d’ajouter : « D’ici le 25 septembre, un certificat pour le système tout entier sera délivré. »
Les assesseurs avaient déjà soumis un Draft, selon le ministre. « Cependant, j’attends d’obtenir le certificat final avant d’aller au Cabinet pour demander l’approbation pour la tenue du Soft Launch fin septembre », avait déclaré Nando Bodha.
Confusion sur le certificat
Pourquoi le certificat d’ITALCERTIFIER se fait-il attendre alors que la date du 25 septembre avait été annoncée par le ministre Bodha ? Selon nos recoupements, les autorités avaient cru que la firme italienne délivrerait un certificat pour une partie du trajet, soit entre Richelieu et Rose-Hill. D’où l’idée de faire un Soft Launch symbolique le 30 septembre entre Richelieu et Rose-Hill seulement pour sauver la face. Or, d’après les procédures d’ITALCERTIFIER, le certificat ne sera délivré qu’à la fin des travaux sur le trajet Port-Louis/Rose-Hill. « Cela coule de source car la demande pour un tel certificat n’a pas été faite seulement pour une partie des travaux de la Phase 1. Tout organisme de certification, surtout de sécurité, ne délivrera un certificat que lorsque le client aura pris possession du site de la firme de construction », explique un consultant mauricien spécialisé en certification.
Au rythme où vont les travaux, tout laisse croire qu’ITALCERTIFIER ne sera pas en mesure de délivrer son certificat avant la mi-octobre. D’où l’idée de reporter le Soft Launch. Ce certificat est vital pour la mise en opération de Metro Express. Aux dires d’un consultant opérant dans le domaine de l’assurance, le Metro Express ne peut pas embarquer un membre du public ni un VIP sans ce certificat pour la simple et bonne raison que l’assurance des passagers dépend de ce certificat.
Tous les efforts consentis par Larsen & Toubro pour achever les travaux à temps, soit le 11 septembre 2019, se sont avérés vains, compte tenu des imprévus sur certains sites. À vendredi soir, ses employés s’échinaient à placer une partie des rails à Port-Louis. Des ingénieurs de cette firme indienne ont confié au Défi-Plus que « des directives ont été données de se concentrer seulement sur un rail afin de le rendre opérationnel ».
« Operationally Ready »
Le deuxième rail sera placé dans le courant de la semaine prochaine. « Cet empressement et cette pression exercée sur notre firme ne visent qu’à répondre à l’échéance fatidique du 30 septembre. Les autorités veulent coûte que coûte que le Metro Express fasse le trajet complet entre Rose-Hill et Port-Louis ce lundi. Mais c’est impossible ! », font ressortir les ingénieurs.
Ces professionnels notent aussi un changement dans les termes utilisés par les autorités. « Depuis quelques jours, on ne parle plus de Soft Launch mais d’Operationally Ready (opérationnellement prêt ; NdlR). Le directeur de communication de Metro Express Ltd, Dev Beekharry, l’a fait savoir mercredi à la Mauritius Broadcasting Corporation. Il a déclaré que le Metro Express sera operationally ready à cette date. En d’autres mots, le Metro Express ne transportera pas des passagers, même triés sur le volet. Il n’opérera que pour des essais avec le personnel technique de Metro Express Ltd et des consultants », expliquent les ingénieurs.
Il aurait fallu deux mois supplémentaires pour compléter la phase I à 100 % vu les innombrables imprévus."
Cela n’a toutefois rien à voir avec l’événement autour du Soft Launch annoncé en grande pompe pour le 30 septembre et lors duquel il devait y avoir des invités, de même qu’une cérémonie de « koup riban » avec le Premier ministre avant que celui-ci n’utilise sa MECard pour voyager dans le Metro Express. C’est aussi à cette date que les quatre Light Rail Vehicles, qui sont déjà à Maurice et qui peuvent transporter un millier de passagers, devaient être opérationnels.
Aux dires de ces ingénieurs, il aurait fallu deux mois supplémentaires pour compléter la première phase à 100 % vu les innombrables imprévus. « Il suffit de voir l’état des différents chantiers, notamment au niveau des stations, que ce soit au terminal de Rose-Hill ou encore à celui de Caudan, lesquels ne sont pas encore prêts. C’est une évidence pour tout le monde », dit-il. Mais plus important encore, la pose des rails n’est pas encore complétée. C’est le cas notamment à Port-Louis, plus précisément de La Butte au Caudan.
Seule la partie Richelieu/Rose-Hill est, selon eux, quasi achevée, et ce depuis deux semaines. « Pourtant il y a eu de nombreux problèmes techniques sur cette partie. À titre d’exemple, les travaux au rond-point Gool à Beau-Bassin avaient démarré avec plus d’une année de retard alors qu’il était initialement prévu qu’ils débutent en mars 2018 », indiquent les ingénieurs, avant de préciser qu’il ne reste plus qu’à apporter les dernières retouches, donner un coup de balai et procéder à l’embellissement autour de certains sites.
Pourtant, les autorités ont essayé de faire avancer les travaux rapidement. Larsen & Toubro a d’ailleurs mis sur le coup presque la totalité de ses quelque 2 600 ouvriers, mobilisés uniquement sur la phase 1 du projet alors qu’ils auraient dû être au four et au moulin pour la phase 2 (Rose-Hill/Curepipe). « Ces ouvriers se relayent jour et nuit depuis ces quatre dernières semaines sur une base 24/7, avec notamment deux shifts par jour, quelles que soient les conditions climatiques et ce sera ainsi jusqu’à ce que les travaux soient achevés à 100 % », indiquent nos interlocuteurs.
L’aspect sécurité
L’idée de départ, indique un haut cadre de Metro Express Ltd, était de faire voyager les VIP, les invités et la presse, entre autres, dans le cadre d’un événement s’articulant autour du Soft Launch ce lundi 30 septembre. « Mais nous devons aussi tenir compte de l’aspect sécurité », déclare-t-il.
C’est pour cette raison, dit-il, que les Trial Runs se font à vitesse réduite, comme le public a pu le constater lors des sorties récentes du Metro Express jusqu’à Rose-Hill.
Le haut cadre ajoute qu’il faut que les Mauriciens s’habituent à ce nouveau mode de transport jusque-là inconnu pour bon nombre d’entre eux. « Déjà lors de la première sortie vers Vandermeersch, des badauds se tenaient carrément sur les rails pour prendre des selfies. Et ce, malgré les avertissements répétitifs du Train Captain et les signaux sonores. Même si on comprend l’enthousiasme qu’il y
a autour, il faut tenir compte de tout cela », précise-t-il.
Les raisons du retard des travaux
Selon un cadre de Metro Express Ltd, les termes de l’accord avec Larsen & Toubro stipulent que les travaux pour la première phase du projet, qui s’étend de Port-Louis à Rose-Hill, doivent être achevés en 24 mois, la date de soumission étant prévue le 11 septembre 2019. Même si les travaux ont démarré à temps, le calendrier a, lui, été chamboulé à plusieurs reprises. En cause : de nombreux imprévus de nature technique, sociale, politique et environnementale.
Parmi : l’acquisition de terrains. Larsen & Toubro n’a pas pu prendre possession de la totalité du site entre Port-Louis et Rose-Hill pour démarrer les travaux. « Si les terrains de l’État ont été mis à sa disposition assez rapidement, c’était toutefois plus compliqué sur des sites où il y a eu des cas d’empiètement ou encore là où il fallait procéder à une Compulsory Acquisition », explique le cadre.
Il indique qu’au Caudan, par exemple, la station aurait dû être complétée cette semaine selon le calendrier des travaux. « Mais il a fallu, au préalable, entreprendre des démarches pour reloger à la fois les autobus et les marchands qui opéraient à Decaen. Ce qui n’a pas été fait en un claquement de doigts. Il a ensuite fallu accorder du temps au consortium s’occupant du Victoria Urban Terminal pour qu’il entreprenne les travaux de fouille dans le cadre de la construction de la passerelle piétonnière », ajoute-t-il.
Des ingénieurs de Larsen & Toubro expliquent, pour leur part, qu’à St-Louis, Pailles, il a fallu attendre que le Central Electricity Board déplace une de ses lignes de haute tension pour que la construction d’un fly-over puisse se faire. « À Sir Virgil Naz, Rose-Hill, lorsqu’il y a eu le problème d’eaux usées, la Wastewater Management Authority n’avait pas l’expertise nécessaire pour résoudre ce problème. Il a fallu passer par le Central Procurement Board pour que le travail puisse se faire. C’est ainsi que Larsen & Toubro a mobilisé ses ressources et mis sur le coup ses ingénieurs pour trouver une solution durable au problème », disent-ils.
Flexibilité
À cela sont venus se greffer des problèmes d’ordre social et politique. « Nous connaissons tous l’épisode de la rue Mgr Leen à Port-Louis où certains habitants ne voulaient pas céder leurs maisons ou encore à Barkly où des membres de l’opposition sont venus ajouter leur grain de sel. Il n’a pas été facile non plus d’obtenir la compréhension des habitants dans les zones résidentielles pour entreprendre des travaux la nuit », ajoute le cadre de Metro Express Ltd. Sans compter les problèmes environnementaux, comme à Vandermeersh lorsqu’il a fallu abattre des arbres. « Il a fallu la mobilisation des unités de la police pour que l’abattage se fasse », précise-t-il.
Dans bien des cas, indiquent les ingénieurs de Larsen & Toubro, la société a dû s’adapter aux situations et entreprendre des travaux ne figurant pas dans le cahier des charges. « C’est le cas pour les travaux d’embellissement à Rose-Hill. Idem lorsqu’il a fallu construire un mur pour le compte du poste de police de Barkly, lequel avait été partiellement démoli car il empiétait sur le tracé du Metro Express. Les autorités ne pouvaient se mettre d’accord pour savoir qui allait encourir les coûts de ces travaux. Larsen & Toubro s’est montrée flexible là encore », soulignent-ils.
Retard pour la phase II ?
Se basant sur le retard accumulé dans la phase I du projet et la mobilisation de 2 600 ouvriers, des ingénieurs de Larsen & Toubro se demandent si la phase II du projet, soit de Rose-Hill à Curepipe, sera terminée dans un délai de 24 mois. D’autant que les autorités redoutent plus de problèmes sur cette phase considérée comme une « hot potato », vu que les travaux se feront en pleine zone résidentielle. « Les ouvriers pourront-ils travailler la nuit afin de rattraper ce retard ? » s’interrogent-ils.
Coûts additionnels
En sus du retard, Larsen & Toubro a dû composer avec d’autres imprévus qui ont eu des conséquences financières. Contrairement à ce que la société pensait, les Mauriciens n’ont pas été séduits à l’idée de travailler pour la multinationale indienne. En fait, il était prévu que Larsen & Toubro recrute des Mauriciens pour travailler sur ses chantiers. Sauf que les Mauriciens n’ont pas adhéré à cette idée. « Du coup, il a fallu faire venir plus d’ouvriers indiens. Ce qui implique pas mal de coûts, notamment pour les agents recruteurs, les billets d’avion, le logement et la nourriture », explique-t-on.
Autre imprévu durant les travaux : l’information concernant la vétusté des tuyaux de la Central Water Authority n’aurait pas été communiquée à la firme. « Du coup, Larsen & Toubro ne pouvait pas savoir que ces tuyaux seraient endommagés à la moindre vibration. Il a fallu remplacer ces tuyaux, ce qui représente un coût additionnel », ajoute les ingénieurs.
Une autre information n’aurait pas été communiquée à la firme. Il s’agit de l’état du sol jugé rocailleux à certains endroits, notamment à Richelieu. « Personne ne s’attendait à trouver un sol rocailleux, avec lequel il a fallu composer, et encore moins la présence d’une caverne qui était, semble-t-il, inconnue même des autorités mauriciennes », affirment-ils.
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