Jean Claude de l’Estrac, ancien ministre de l’Industrie, l’a dit, cette semaine, lors d’une émission sur Radio Plus : le pays va cher payer les «bribes électoraux » accordés lors des dernières élections, à savoir une augmentation faramineuse des prestations sociales et des amendements irréalistes et coûteux aux lois du travail.
Il faut dire que Maurice n’est pas le seul pays à faire face à cette problématique du court-termisme. C’est une plaie dans toutes les démocraties. En ayant les yeux rivés sur les prochaines élections, les partis politiques sont incapables de penser au-delà de l’échéance de cinq ans. De fait, ils adoptent des pratiques électoralistes qui ont mieux à faire avec la conquête/préservation du pouvoir qu’avec le développement durable du pays.
En sus de l’innovation, Maurice souffre depuis près de deux décennies de deux problèmes devenus structurels : la baisse constante de productivité à tous les niveaux et l’endettement croissant à tous les étages. Les deux résultent de la politique de faire plaisir plutôt que d’encourager l’effort et l’épargne. Devenu non compétitif, le pays importe davantage qu’il n’exporte, un comble pour une économie censée être «export-oriented». Le déficit commercial est devenu chronique. Alors que le secteur manufacturier bat de l’aile en raison, précisément, d’un manque de compétitivité, ce sont les services dont les activités saisonnières (tourisme) et à haut risque (Offshore Finance) qui nous aident à joindre les deux bouts au niveau de la balance des paiements. Mais ça, c’était avant la Covid-19.
Il a suffi d’un virus pour faire voler en éclats notre illusion de prospérité et nous rappeler combien fragile est notre économie et par conséquent notre modèle de développement. Les magiciens de la politique avaient fini par nous convaincre d’une drôle d’équation, à savoir que deux maux (endettement accru et baisse de productivité) équivalent à un bien (prospérité). Eh oui, on était bien parti pour un «miracle économique», celui d’un pays en voie de développement voulant jouir du niveau de vie d’un pays développé - avec une baisse constante du taux de productivité.
Les beaux parleurs affirment que la dette publique (*) est relative au quantum du PIB (Produit Intérieur Brut) et qu’il suffit d’augmenter ce dernier pour que la première baisse. En théorie, c’est vrai, mais, dans la pratique, ce sont surtout les ménages et les entreprises, déjà fortement endettés (**) qui font les frais de la dette publique. Car, l’État a le privilège d’utiliser ses leviers souverains, notamment les taxes, directes et indirectes, ainsi qu’une politique monétaire inflationniste, afin de faire payer sa dette aux ménages et aux entreprises. Dans les deux cas, taxes et inflation constituent un tribut. Ils renchérissent les coûts d’opération des entreprises et amenuisent le pouvoir d’achat des citoyens.
Pour revenir aux «bribes électoraux», dont parle de l’Estrac, oublions un moment que l’argent dirigé vers la consommation (augmentation des prestations sociales) plutôt que vers la production (infrastructures ou unités de production) augmente la dette publique. Les adeptes de Keynes pourraient toujours arguer que le Disposable Income en stimulant la consommation enclenche à, son tour, la production. Sauf qu’à Maurice, en important pratiquement tous nos biens de consommation, nous encourageons plus l’endettement que la production.
Mais il n’y a pire Cyclope lorsqu’un gouvernement fait payer les frais de ses largesses, en vue de plaire à ses constituants, aux entreprises. Car il réduit leur capacité à maintenir ou à créer de nouveaux emplois. Ainsi, les amendements aux lois du travail passés à la veille des élections dans le but de plaire aux syndicats et aux travailleurs en général ont du bon et du moins bon. Le coût des aspects progressistes de l’Employment Relations Act, notamment le salaire minimum et la pension portable, est plus ou moins soutenable pour les grandes et moyennes entreprises. L’est-il pour les micro et petites entreprises ? Contre les lois de la réalité, on a assumé que «one size fits all».
La frénésie de plaire, sans consultation réelle avec les parties concernées, à en croire Business Mauritius, a résulté en des véritables aberrations. Ainsi en assimilant les commissions (pouvant s’élever à des centaines de milliers de roupies par mois à l’employé individuel dans certains commerces) qui sont un étage supplémentaire aux salaires, la nouvelle loi impose aux entreprises de payer à TROIS reprises les commissions, qui, par définition, sont une « one-off transaction ». L’entreprise paie une première fois à la conclusion d’une transaction, paie une deuxième fois dans le calcul du 13e mois, et paie une troisième fois dans la prime de retraite. Qui fait les frais de telles largesses légiférées? Les autres catégories d’employés, en majorité, de la même entreprise qui, elle, n’aura pas les moyens d’embaucher des travailleurs additionnels.
De rapport en rapport, le Fonds monétaire international (FMI) avait demandé au pays de faire le nécessaire afin d’éviter que notre secteur financier offshore soit ‘blacklisted’. Les gouvernements successifs n’y ont pas prêté l’attention nécessaire, avec le résultat qu’on connaît : la mise en danger de mort d’un secteur représentant 12% du PIB, et quelques 15 000 emplois. De rapport en rapport, le FMI et MCB Focus nous rappellent combien la baisse du taux de productivité par rapport aux coûts d’opération représente une menace pour l’emploi. Dans son dernier rapport, le FMI souligne à nouveau que parmi nos ‘structural challenges’ demeurent les ‘declining competitiveness and productivity’. Continuera-t-on à adopter la politique de l’autruche comme ça a été le cas pour l’offshore?
Les «bribes » électoraux ou budgétaires ne vont pas régler les problèmes d’ordre structurel du pays. Ils vont les alourdir. Seule une politique rigoureuse liant coûts et productivité peut empêcher le pays de se perdre dans une spirale de la dette, accentuée par la baisse de compétitivité. La Covid-19 pourrait être du pain béni si elle peut enfin enclencher un véritable dialogue tripartite de fond autour de l’économie, de l’emploi et de la productivité.
Myth Buster
*La dette publique s’est établie à fin mars 2020, à 65,6% du PIB selon les dernières estimations du ministère des Finances, soit à Rs 329,6 milliards. La ligne rouge pour un pays en voie de développement, ne disposant pas de ressources naturelles, est généralement établie à 85% du PIB. Avec les dettes qui seront contractées pour faire face à la Covid-19 (on parle de 10% à 20% du PIB), la limite sera dangereusement atteinte.
** Selon la Banque de Maurice, la dette des ménages est estimée à Rs 113 milliards et celle des entreprises à Rs 279 milliards, soit au total Rs 392 milliards, représentant environ 80 % du PIB.
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