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Sheila Bappoo, ancienne ministre : «Le Parlement est devenu un enfer»

Ancienne ministre sous divers gouvernement, Sheila Bappoo dénonce les dérapages au Parlement. Pour elle, c’est « grave » que le Premier ministre Pravind Jugnauth ait brandi une photo de la chanteuse Jasmine Toulouse, alors qu’elle ne siège pas au Parlement. Il a voulu marquer des points politiques contre un adversaire aux dépens d’une femme, déplore-t-elle.

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Ce n’est pas la première fois que le Premier ministre fait mention d’une femme alors qu’elle n’est pas présente au Parlement. Selon vous, mesure-t-il la gravité de ses propos ?
J’ai suivi cet épisode où le Premier ministre a brandi la photo de la chanteuse Jasmine Toulouse alors qu’elle ne siège pas au Parlement. En prenant en considération la séquence des événements, je crois que la situation est très grave.

Il faut garder à l’esprit que les politiciens des deux côtés de la Chambre sont élus grâce aux votes des électeurs. Les élus ont des responsabilités envers leurs mandants et envers le pays dans son ensemble.

Après avoir passé 22 ans au Parlement, je connais bien les rouages de l’hémicycle qu’il faut savoir respecter. Il y a la démocratie, mais aussi les Standing Orders. On ne peut pas utiliser l’immunité parlementaire comme un paravent pour brandir une telle photo.

Pourquoi fallait-il faire cela ? Ce qu’a fait le Premier ministre, avec la complicité du ministre Alan Ganoo qui plus est, est très grave. Cela a été fait uniquement pour des gains politiques, alors que cette chanteuse n’est même pas membre du Parlement et n’avait aucun rapport avec la question principale qui avait été posée.

J’estime que c’est de la bassesse politique. Au lieu de répondre directement à la question, le Premier ministre a cherché à détourner l’attention en brandissant cette photo que d’autres membres de la majorité parlementaire détiendraient, selon le ministre Ganoo. Il est évident que c’était une action préméditée pour attaquer le Mouvement militant mauricien (MMM), car Jasmine Toulouse a été candidate pour ce parti lors des dernières élections.

Je pose donc la question à M. Ganoo : n’a-t-il pas bénéficié des votes des électeurs de ce parti pour se retrouver au Parlement ? Il n’est pas acceptable de faire de la politique avec autant de bassesse pour des gains politiques.

S’attaquer de cette manière à une femme qui n’est pas membre du Parlement peut expliquer pourquoi il y a si peu de femmes en politique, car elles sont découragées par de tels comportements. On évoque parfois la timidité des femmes pour expliquer leur faible engagement en politique, mais Jasmine Toulouse est loin d’être timide.

Brandir sa photo, alors qu’elle n’est même pas membre du Parlement et donc incapable de se défendre, dans le but de nuire à un adversaire politique, est une atteinte à sa profession et à sa source de revenus pour nourrir sa famille. Nous en connaissons tous les conséquences : la perte d’un contrat pour participer à un concert.

C’est vilain et bien décevant de la part d’un gouvernement d’en arriver à une telle situation. Je suis bouleversée par le comportement de certains membres de l’Assemblée nationale, en commençant par le Speaker qui, dans ce cas précis, n’a rien dit au moment des faits. 

Ce n’est pas possible de faire de la politique avec autant de bassesse pour des gains politiques»

Le Premier ministre a clairement voulu marquer des points politiques, aux dépens d’une femme. Pourtant, lui-même et des membres de son gouvernement ont été photographiés avec des personnes soupçonnées d’être impliquées dans un réseau de blanchiment d’argent, voire de trafic de drogue. N’y a-t-il pas là une politique de deux poids deux mesures, en sachant qu’il ne s’expose à aucune poursuite, étant donné qu’il bénéficie de l’immunité parlementaire ?  
C’est clair que c’est un jeu politique. Alors que le Parlement est censé être un lieu pour débattre de projets de loi et des problèmes du pays afin de les résoudre, certains viennent uniquement pour régler des comptes politiques. Ce n’est pas acceptable !

Le Premier ministre a annoncé des poursuites contre ceux qui ont publié une photo de lui avec un des suspects dans l’affaire Franklin. Qu’en pensez-vous ? 
On va voir. Beaucoup de photos circulent sur les réseaux virtuels où on peut voir des élus du Parlement. C’est étonnant. 

Mais il faut aussi savoir que quand on fait de la politique, ils sont nombreux à vouloir faire une photo avec vous. Comment faire un tri des personnes qui veulent s’afficher avec vous ? Parmi les photos qui circulent, il y a des VVVIP. Le Parlement n’est pas le lieu approprié pour brandir ce genre de photos. 

Mieux vaut aller faire une plainte à la police ou en cour, mais il ne faut pas utiliser l’Assemblée nationale pour cela, ce n’est pas joli. 
 
Une simple photo avec une personne ne signifie pas qu’on la côtoie ou qu’on est proche d’elle, n’est-ce pas ? 
Pas du tout. J’ai de nombreuses photos de moi aux côtés de différentes personnes que je garde en souvenir, même si mon époux me demande de m’en débarrasser. Comment peut-on savoir quel est le profil des personnes avec qui l’on se fait prendre en photo ? Lorsque l’on est dans le milieu politique, on est souvent sollicité pour des selfies avec des gens qui veulent se faire voir à nos côtés. Il est donc difficile de faire le tri, à moins qu’il n’y ait une loi qui interdise cette pratique. 

Ce qu’a fait le Premier ministre avec la complicité du ministre Alan Ganoo est très grave, car cela a été fait purement pour des gains politiques»

Le député Patrick Assirvaden a écrit au Speaker pour demander que le Premier ministre présente des excuses. Le Speaker devra statuer sur cette affaire mardi. N’aurait-il pas dû agir dès que le Premier ministre a brandi la photo de Jasmine Toulouse, d’autant que c’était en violation des Standing Orders ? 
C’est pénible pour moi de voir l’Assemblée nationale être dirigée par un tel Speaker. C’est triste pour la République de Maurice. Il n’est pas impartial et ne regarde que d’un seul côté de l’hémicycle pour hurler, « attaquer » et expulser des parlementaires. Il faut qu’il soit neutre, indépendant et qu’il n’ait pas de parti pris. Il dirige une Assemblée nationale et doit porter le chapeau d’un Speaker. Or, tel n’est pas le cas. Il peut appliquer les Standing Orders, mais il le fait quand il en a envie et c’est toujours à l’encontre des membres de l’opposition. 

Ce qu’il s’est passé au Parlement n’est vraiment pas correct. Le Speaker n’a pas su intervenir au moment des faits. Il a pour ainsi dire donné le feu vert au gouvernement.  

J’ai connu divers Speakers qui ont bénéficié du respect de tous les parlementaires. Ils avaient une façon d’expliquer leur point de vue, ce qui n’est pas le cas actuellement, où il y a bien souvent des menaces. 
 
Le Premier ministre bénéficie de l’immunité parlementaire. Mais au vu de ses « récidives » au fil des années, ne pensez-vous pas qu’il faudrait que des sanctions soient prises contre les politiciens qui discriminent ou rabaissent les femmes ? 
Il faudrait les ramener à l’ordre quand il y a ce genre de situation. L’homme et la femme ont les mêmes droits pour participer à la politique active et être des candidats aux élections. Il faut un respect mutuel. Il est regrettable qu’on soit encore à la traîne sur le plan politique en termes de participation des femmes.  

Les leaders de tous les partis politiques sont des hommes qui subissent diverses pressions quand il faut allouer des tickets aux femmes. C’est d’autant plus compliqué dans notre île Maurice multiculturelle avec l’influence des associations socio-culturelles et des forces vivres, entre autres. Quand on veut « faire plaisir » pour gagner les élections, cela se fait au détriment des femmes. 

La misère s’est installée dans les familles avec la dévaluation de la roupie»

On remarque que la ministre de la Femme, Kalpana Koonjoo-Shah, n’a pas bronché. Ni les députées issues de la majorité. On se rappellera que, le 27 octobre dernier lors de la PNQ qui lui était adressée sur le bébé de 3 mois du « shelter » l’Oiseau du paradis qui avait dû être hospitalisé d’urgence, la ministre de la Femme n’avait pas hésité à faire le procès de la mère. Qu’est-ce que cela dit de la culture politique à Maurice ?
Les parents des enfants qui se trouvent dans les shelters n’ont pas tous les mêmes problèmes. Le Parlement n’est pas le lieu approprié pour divulguer leurs problèmes ou leur état de santé. Je note qu’il y a une mauvaise gestion de ces abris qui sont devenus des dumping grounds, où on ne fait que placer des enfants sans leur offrir un encadrement adéquat. Dans certains cas, le placement se fait sans un ordre de la cour. 

Pensez-vous que la ministre a cherché à « minimiser » la situation en jetant le blâme sur la maman pour justifier l’action de son ministère ? 
Oui, on peut le dire. Placer l’enfant dans un shelter, c’est un peu comme se laver les mains et jeter tout le blâme sur la mère. Les autres problèmes n’ont pas été pris en considération. Même s’il y a des choses qui ne se disent pas au Parlement, il faut quand même donner les informations adéquates, pour la transparence. 

Le Premier ministre devrait présenter ses excuses et rectifier le tir en faisant son mea culpa et en acceptant qu’il a fauté»

À la suite des commentaires du Premier ministre sur le jugement de la magistrate du tribunal de Moka dans l’affaire Bruneau Laurette, comment pensez-vous que les Mauriciennes perçoivent les actions du Premier ministre et de son gouvernement en matière des droits des femmes ? Pensez-vous que cela peut entamer leur confiance dans la politique et la démocratie ?
La Constitution dit clairement qu’il y a une séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, comprenant aussi le bureau du Directeur des poursuites publiques. Chacun a un travail spécifique à faire. Comme l’a souligné Me Antoine Domingue, on peut critiquer un jugement sans pour autant attaquer la personne qui a donné le jugement.

Là encore, c’est une femme qui est attaquée pour une affaire politique. Il faut ajouter à cela qu’on utilise la plateforme des associations socio-culturelles pour faire des critiques et presque insulter la magistrate pour dire qu’elle est incompétente. Cela ne se fait pas ! C’est étonnant que le président de la République n’ait pas encore réagi face à cette situation.  

Cela nuit à la confiance des femmes dans la politique et la démocratie. Cela crée des doutes et n’incite pas non plus les femmes à s’engager pour faire progresser notre société. 

Le Parlement n’est plus le temple de la démocratie, il est devenu un enfer, avec tout ce qu’il s’y passe. Avec l’influence des proches, les femmes peuvent facilement se laisser décourager de faire de la politique. Cela prendra ainsi encore plus de temps pour avoir davantage de femmes en politique. 
  
Le Premier ministre devrait-il s’excuser publiquement au Parlement ? 
Le Premier ministre devrait présenter ses excuses et rectifier le tir en faisant son mea culpa et en acceptant qu’il a fauté. Même le ministre Alan Ganoo doit s’excuser, car la photo est venue de lui. En brandissant la photo de Jasmine Toulouse, on est venu faire de la politique et attaquer l’adversaire en s’appuyant sur une femme qui n’est même pas au Parlement. 
 
Comment cela pourrait-il aider à réparer les dommages causés ?
À l’avenir, les hommes qui se rendent coupables de tels dérapages et qui manquent de respect aux femmes ou à la condition féminine, y réfléchiront à deux fois avant d’agir et faire les mêmes bêtises. Cela apportera plus de sérénité et de respect. Ce serait triste pour le pays que les acteurs politiques utilisent leur agenda politique pour agir ainsi, au détriment de la démocratie.
 
Quels sont les exemples les plus flagrants de discrimination sexiste dont vous avez été témoin dans la politique mauricienne ?
Quand j’ai quitté le Mouvement socialiste mauricien (MSM) pour un autre parti, j’ai été traitée de tous les noms par sir Anerood Jugnauth. J’ai subi des discriminations sexistes et j’ai été blâmée pour ma féminité. Ce genre d’attitude est condamnable dans une société qui se dit démocratique.  
 
Comment, selon vous, ces problèmes peuvent-ils être résolus ? 
Il y a toute une éducation à faire. Le Gender Bill devrait aider à promouvoir l’égalité entre tous les êtres humains et à mieux protéger les femmes contre les déclarations sexistes. Nous pouvons être différents sur le plan biologique, mais nous avons tous les mêmes capacités et compétences.
 
Que pensez-vous de la situation des familles à Maurice avec la hausse des prix de diverses commodités ?
La misère s’est installée dans les familles, avec la dévaluation de la roupie. Et comme nous importons une grande partie des produits alimentaires que nous consommons et des médicaments, cela n’arrange pas les choses. La classe moyenne s’est appauvrie et tout le monde se plaint de la misère. La vie est devenue très difficile.

Comment sortir de cette situation critique ? On pourrait commencer par enlever certaines taxes sur le prix de l’essence par exemple, d’autant que le prix du baril a grandement baissé ces derniers mois. Tout le monde souffre. Le gouvernement est responsable de cette situation, car sa politique économique est un flop. Ce sont les consommateurs et les familles qui en font les frais.

 

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