Interview

Shakeel Mohamed: «Le pays est plus communal qu’il ne l’a jamais été»

Le chef de file du PTr à l’Assemblée nationale revient sur les sujets d’actualité et la décision de son parti de ne pas tenir de meeting le 1er mai. Serez-vous présent aux côtés des syndicats le 1er mai ? Non. J’ai rendez-vous avec une jolie femme (mon épouse) et trois bandits (mes enfants). C’est une journée que je conseille de passer en famille. Quand j’étais ministre du Travail, j’encourageais cette pratique à travers des activités organisées ce jour-là, mais aussi des tarifs réduits dans les hôtels et autres attractions. J’en ai marre de cette culture qui résume le 1er-Mai à une comparaison pour savoir qui a les plus gros muscles ou le plus beau plumage. D’ailleurs, beaucoup ne viennent pas écouter les politiciens. La décision du PTr de ne pas tenir de meeting ce jour-là est-elle la bonne ? Je ne comprends toujours pas pourquoi les politiciens essayent de « squatter » cette journée normalement dédiée aux travailleurs. Dans le passé, j’ai demandé à l’état-major rouge de ne pas organiser de meeting. Le leader était sur la même longueur d’onde. Nos adversaires ont alors soutenu que nous avions peur. C’était enfantin. Je suis constant sur ce sujet. Le 1er-Mai, jour de gloire, n’est pas encore arrivé.
Que voulez-vous dire par là ? Que pour le moment, c’est davantage d’un rassemblement citoyen dont nous avons le plus besoin. Il faut condamner les agissements du gouvernement. Quand le PTr était au pouvoir, le chômage chez les jeunes de 18 à 25 ans était de 23 %. Ce chiffre a presque doublé. C’est une raison de manifester. Dans tout pays, cela aurait beaucoup offusqué les gens. La jeunesse est impatiente et j’ai peur de sa réaction, mais je la comprends, en même temps. Il faut un rétablissement de la balance de la justice sociale. Les jeunes ne se retrouvent plus dans la classe politique. Ils ont même un dégoût pour la chose politique. Certes, la population a voté contre l’Alliance PTr-MMM, mais le réveil a été brutal. Elle ne se reconnaît plus dans l’Alliance Lepep.
[blockquote]«Il faut apprendre de ses erreurs. Dans le précédent gouvernement, je n’étais pas dans une position à pouvoir influencer les décisions de façon marquante.»[/blockquote]
Le dégoût de la politique n’est pas le seul fait de l’Alliance Lepep… Tous les partis politiques promettent le monde, le paradis and beyond, mais au final, ils ne réalisent que 10 % des promesses. Maurice en a marre de rêver. Il faut un changement radical, même chez les syndicalistes, qui font indéniablement un travail noble, mais qui sont trop éparpillés. Quelque part, la politique vient diviser la cause syndicale. Il faut réellement commencer à faire les choses autrement. Tout nouveau gouvernement a le devoir de le faire… L’Alliance Lepep n’avait-elle pas promis cela ? Elle avait promis que les recrutements et les nominations seraient effectués sur la base du mérite. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe à l’Independent Broadcasting Authority, avec le cas Choomka (ndlr : Youshreen Choomka, chairperson de l’IBA, a été nommée directrice du même organisme après un appel à candidatures et une sélection). Ce n’est plus rigolo. Le PTr parlait d’égalité des chances. Au final, ce ne sont que des proches qui en ont bénéficié. Désormais, il faut faire de sorte que ce genre de choses n’arrive jamais plus. Si c’est bonnet blanc, blanc bonnet, la population va s’asphyxier. Il faut secouer les habitudes pour fonder une nouvelle île Maurice. Et vous dans ce processus… Il faut apprendre de ses erreurs. Dans le précédent gouvernement, je n’étais pas dans une position à pouvoir influencer les décisions de façon marquante. Désormais, avec les trois autres députés rouges, nous avons acquis ce droit légitime. Certains au PTr ne vont plus reconnaître le parti. Vous qui avez été ministre, comprenez-vous ce qui se passe actuellement avec le conflit Lutchmeenaraidoo-Bhadain ? Cry, oh my beloved country! Certains diront que le peuple a le gouvernement qu’il mérite, mais on ne peut blâmer la population pour avoir voté l’Alliance Lepep. Elle a simplement été trahie. Honnêtement, je crois que Lutchmeenaraidoo et Bhadain devraient tous deux être virés. Le SAJ des grands jours l’aurait fait. Force est de constater que, pour la première fois, le leader du parti majoritaire n’est pas Premier ministre. C’est le poison dans le système. SAJ doit avoir la permission de Pravind Jugnauth. C’est compliqué. Et entre les deux, il y a beaucoup d’entremetteurs qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts. Xavier-Luc Duval se dit pour un recensement sur une base ethnique. Vous aviez déjà fait une proposition similaire. Quelle a été votre réaction ? C’est rare que Xavier-Luc Duval exprime son opinion clairement et sans ambigüité. À Maurice, ça paie de ne pas avoir d’opinion. Sir Anerood Jugnauth, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam sont contre un recensement sur une base ethnique. Dans une société qui prône l’égalité des chances, ce genre de recensement est nécessaire. C’est se voiler la face que de croire que la population n’est pas divisée. Il faut attaquer le problème sur le fond et pas que dans la forme. Le communalisme est tabou, alors que notre diversité est un atout. Nous sous-estimons notre diversité. Sommes-nous réellement prêts, comme vous disiez, à « regarder nos démons en face » ? L’île Maurice d’aujourd’hui est beaucoup plus communale qu’elle ne l’a jamais été. En 2016, nous devrions pouvoir faire face à nos démons et non continuer à colmater les brèches. De plus, métissage ne signifie pas seulement mariage entre différentes ethnies. C’est connaître, comprendre et embrasser la différence des autres. Selon le dernier sondage DCDM, Arvin Boolell est le dirigeant du PTr le plus apprécié. Est-ce un atout de plus dans sa quête du leadership ? On rigole ou quoi ? Pour moi, ce sondage n’est pas fiable. L’échantillon est subjectif et les réponses ne peuvent qu’être biaisées. Je ne dis pas qu’Arvin Boolell n’est pas populaire. Xavier-Luc Duval, Arvin Boolell et moi-même avons plusieurs fois brillé dans les sondages. Ce n’est pas pour autant que nous devrions être Premier ministre. Il ne fallait pas d’un sondage pour réaliser que les choses vont mal. Vous disiez que les Mauriciens ne sont pas prêts à avoir un musulman à la tête du PTr. Aspirez-vous à ce poste ? J’y crois toujours. Toutefois, deux facteurs importent. D’abord, il y a l’aspect communauté, mais pas parmi les jeunes. Ensuite, il faut une révolution que nous n’avons pas encore eue à Maurice. Chez nous, on continue de se faire attaquer pour son point de vue. Je suis de ceux qui croient que les gens ont droit à une opinion différente que la mienne. Il faut reconnaître que la culture du débat n’existe pas à Maurice. Même à l’Assemblée nationale, il n’y a plus de débats, mais une compétition de discours. Révolue est l’époque des grands tribuns qui débattaient âprement. Le département d’État américain pense que les arrestations sont motivées politiquement à Maurice. Et vous ? Le silence du gouvernement en dit long. C’est une honte. L’image du pays en a pris un coup.
Publicité
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !