Interview

Shafick Osman : « Pravind Jugnauth, Premier ministre, devrait apaiser bien des clameurs »

Dans cet entretien, le docteur en géopolitique commente ce qui se passe sur l’échiquier politique. Depuis l’annonce de sir Anerood Jugnauth que c’est son fils, leader du parti majoritaire de l’Alliance Lepep, qui lui succédera en tant que Premier ministre, les instabilités commencent à se dissiper.

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La scène politique est en proie à une certaine agitation. Qu’est-ce que cela implique ?
On ne s’attendait pas à ce que 2016 soit une année aussi dominée par la chose politique, beaucoup plus que les deux dernières. Force est de constater que c’est le cas avec l’annonce du Premier ministre (SAJ) qu’il se retire bientôt pour céder la place au leader du MSM, parti majoritaire de l’Alliance Lepep. Il y a eu une certaine confusion au sein du gouvernement ces derniers temps, mais je pense qu’une fois Pravind Jugnauth installé au bâtiment du Trésor, les choses se calmeront et les indicateurs seront plus clairs. Avec l’annonce de SAJ, les instabilités commencent à disparaître.

L’opposition critique la moralité du remplacement éventuel de SAJ par Pravind Jugnauth. Partagez-vous cette opinion ?
Je peux comprendre ces critiques, car une telle éventualité n’avait pas été évoquée auparavant. SAJ, lui-même, a déclaré l’année dernière que Pravind Jugnauth deviendrait Premier ministre seulement après avoir été plébiscité par élection et qu’il tiendrait jusqu’au bout de son mandat. Un homme de son âge sait mieux que quiconque ce qu’il peut endurer ou pas. S’il a finalement décidé de se retirer avant la fin de son quinquennat, c’est qu’il doit avoir de bonnes raisons. Dans cette conjoncture, le poste de Premier ministre revient automatiquement à Pravind Jugnauth et cela en vertu de la Constitution.

Ne faut-il pas que la population plébiscite Pravind Jugnauth ?
On n’est pas dans un système présidentiel, où le peuple vote pour un chef d’État, mais plutôt pour un parti ou une alliance. C’est le propre du système de  Westminster, que Maurice a hérité des Britanniques. C’est un héritage colonial, mais qui peut être revu.

Pensez-vous qu’il faut une campagne marketing pour vendre Pravind Jugnauth comme Premier ministre ?
Peut-être, mais si j’ai bien compris, le MSM est déjà en campagne post-budget. Et maintenant, ils plébicitent Pravind Jugnauth comme Premier ministre.

À quoi, selon vous, ressemblerait le primeministership du leader du MSM ?
Il n’y a aucune certitude, mais si on considère son Budget 2016-2017 et sa personnalité, je dirais plutôt rassembleur, conciliateur, à l’écoute, moderne, innovant, mais ferme quand il le faut.

Le gouvernement est secoué par des tiraillements internes. Est-ce une bonne chose que Pravind Jugnauth entre en scène ?
Comme je vous l’ai dit précédemment, Pravind Jugnauth, en tant que Premier ministre, devrait apaiser bien des clameurs et instaurer discrètement une discipline qui faisait défaut jusqu’ici. Son plus grand défi sera la réélection de son équipe en 2019, avec la création d’un maximum d’emplois et le sentiment de bien-être.

Diriez-vous que le gouvernement actuel est hétéroclite au lieu d’être homogène ?
C’était le cas pendant de longs mois, mais il faut reconnaître aussi que le gouvernement est passé par un moment difficile. Il y a eu la démission de Pravind Jugnauth en juin 2015, avant que celui-ci ne gagne en appel devant la Cour suprême et se voit offrir le poste de ministre des Finances presque une année plus tard. Il est le leader du parti majoritaire au gouvernement et son absence a, dans une large mesure, déstabilisé le pouvoir. Cependant, depuis l’annonce du passage du témoin par le Premier ministre, les choses semblent être devenues plus calmes au gou­vernement.

Que pensez-vous de la proposition visant à limiter à deux le nombre de mandats de chef du gouvernement ?
Personnellement, je suis contre. Pourquoi deux et pas trois, par exemple ? Il ne faut pas nécessairement imiter les états-unis ou la France. En proposant cela, Navin Ramgoolam s’est pris à son propre piège, car il en compte déjà trois à la tête du gouvernement. Donc, techniquement, il ne sera pas qualifié au poste de Premier ministre, à moins qu’il ne nous prépare un coup avec un titre présidentiel auquel seraient rattachés les pleins pouvoirs ou des pouvoirs exécutifs additionnels.

Neuf députés au Parlement sont des dissidents du MMM depuis 2014. Qu’est-ce que cela révèle ?
Dix aujourd’hui, si on compte Zouberr Joomaye. C’est assez inédit. Il y a plus de dissidents du MMM à l’Assemblée nationale que de députés mauves. Cela est révélateur de l’effritement inévitable du MMM, de sa forme désuète, de son entêtement et de son incapacité à se repositionner sur la scène politique, pour ne pas dire sur la scène électorale. C’est triste, mais c’est la réalité.

Maintenant avec la démission de Zouberr Joomaye, qui a lui aussi critiqué le leadership de Paul Bérenger, ne faut-il pas que le MMM se sépare de son leader pour pouvoir refaire surface ?
C’est ce que certains disent depuis 1971-72. N’oublions pas que toutes les crises majeures que le MMM a connues ont un dénominateur commun : Paul Bérenger. Cela a mené à la création de plusieurs mouvements dissidents : MMMSP (1973), Lalit (1981), MSM (1983), RMM (1993), ML (2014), MP (2015)... Mais soyons honnêtes, les années bonheur du MMM se sont aussi articulées autour du même Bérenger : 1982 (60-0 MMM-PSM), 1995 (60-0 PTr-MMM) et 2003 (poste de Premier ministre). Cela fait des années que je dis que le légendaire Bérenger doit tirer sa révérence pour le bien même du MMM. Je l’ai répété, avec force, après la double défaite historique de décembre 2014, aux législatives, et de juin 2015, aux municipales.

Le démissionnaire du MMM affirme que les vieux routiers comme Paul Bérenger et Navin Ramgoolam doivent partir pour céder la place aux jeunes. La relève est-elle là ?
Excellente question. Au PTr, je crois que le problème ne se pose pas vraiment. Arvin Boolell est nettement au-dessus du lot, même s’il y aura probablement une réaction « vaish ». Sinon, il y a les Shakeel Mohamed,  Yatin Varma, etc. qui pourront, à terme, prendre la relève. Osman Mahomed fait également son petit bonhomme de chemin.

Au MMM, c’est plus compliqué. Les bérengistes contrôlent bien le parti et c’est pour cela qu’un militant aussi populaire qu’Obeegadoo a été marginalisé ces dernières années. Cela dit, je ne vois ni Pradeep Jeeha ni Ajay Gunness prendre la tête du parti. Valeur du jour, je ne vois que Steven Obeegadoo qui puisse le faire, avec un certain rebranding certes.

Navin Ramgoolam a une fois encore fait son mea culpa. Pensez-vous qu’il signera un retour en force sur l’échiquier politique ?
Il ne faut pas exclure cette option, même si je n’y crois pas vraiment. Je vois mal le peuple mauricien plébisciter une nouvelle fois Navin Ramgoolam. Mais sait-on jamais ? Ce qui est sûr, c’est qu’un « nouveau » Parti travailliste, avec de nouveaux dirigeants — un peu comme au début des années 90 ou mieux, comme en 2005 —, serait bien plus crédible que le travaillisme ramgoolamien usé et fatigué. La politique se joue davantage sur l’émotionnel, l’efficacité de la communication et les gros moyens. Elle est devenue de plus en plus imprévisible.

Venons-en au dossier Chagos. Les Britanniques veulent renouer le dialogue. Cela aboutira-t-il à quelque chose ou les Anglais nous leurrent-ils encore une fois ?
Boris Johnson, secrétaire aux Affaires étrangères britanniques, a sollicité une rencontre officielle avec sir Anerood Jugnauth à New York. C’est une première. Cela prouve que les Britanniques s’inquiètent de cette résolution mauricienne aux Nations unies, surtout si la permission est donnée pour porter l’affaire devant la Cour internationale de justice.

C’est déjà une victoire pour Maurice et on doit saluer l’intelligente stratégie de SAJ sur la question. Il prend ainsi sa revanche sur l’Histoire, car il faisait partie de la délégation mauricienne au Lancaster House, il y a quelque 50 ans. Connaissant SAJ, il ira jusqu’au bout sur la question de la souveraineté de Maurice et le retour des Chagossiens sur leurs îles.

 

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