Visual Capitalist met en lumière une situation préoccupante à Maurice. Le pays se classe à la 85e place en ce qu’il s’agit du bonheur des jeunes. Il est en 27e position en ce qui concerne le bonheur des adultes âgés. Le rapport indique que la pandémie de covid-19 a eu un impact sur l’emploi des jeunes. Ce qui a exacerbé leur mal-être.
Visual Capitalist note qu’il y a un écart de 57 places entre le bonheur des adultes âgés et celui des jeunes à Maurice. « La nation insulaire, peuplée de 1,26 million d’habitants, a brièvement atteint le statut de pays à revenu élevé en 2020, mais la pandémie a frappé fort. Elle a nui à son secteur clé : le tourisme et elle a affecté l’emploi », peut-on lire.
Visual Capitalist fait ressortir que le taux de chômage des jeunes dans le pays a grimpé à près de 25 % cette année-là. Mais il a depuis été en baisse. « Comme les résidents de nombreuses îles à population similaire, la démographie plus jeune se déplace souvent à l’étranger à la recherche de plus d’opportunités. »
L’anthropologue, Daniella Bastien explique que les données qui sont citées proviennent du World Happiness Report (2024) publié en mars 2024. « Tous les ans, un groupe d’experts indépendants rassemble les données des enquêtes du Gallup World Poll et rédige un rapport sur l’état du bonheur dans le monde. Je lis ces rapports depuis 2020 et ils sont très éclairants pour comprendre l’état émotionnel de la population mondiale. Quand vous analysez les données du rapport, ce qui choque, c’est certainement le fossé entre la perception du bonheur chez les jeunes et les vieux. Un fossé de 57 points est énorme », poursuit notre interlocutrice.
Daniella Bastien ajoute que nous savons que les jeunes sont plus optimistes et ont confiance en l’avenir, du point de vue sociologique. D’ailleurs, on s’entend souvent dire à un jeune « tu as la vie devant toi ». Or, dit-elle, « Maurice se place en pole position par rapport à cette fracture jeunes/vieux ». Elle ajoute qu’on peut lire, ensuite, ce qui pour elle est plus inquiétant : les moins heureux sont ceux qui ont entre 30 et 44 ans. Alors que les adolescents ont une satisfaction de leur vie qui est notée à 6,03, parmi les meilleurs pays.
Il est juste de se demander quelle sera la politique de rétention à adopter pour un pays qui voit ses jeunes partir
« Donc, pour résumer, c’est le fossé qui est inquiétant. Pour répondre à votre question, je prendrai en considération les 30-44 ans. Qu’est-ce qui peut autant affliger ce groupe d’âge quand on fait une évaluation de sa vie ? », avance-t-elle.
L’anthropologue indique que le World Happiness Report analyse le soutien social, la bonne santé et l’espérance de vie, la liberté de faire des choix de vie, la générosité, la perception de la corruption, la parité du pouvoir d’achat et tout ce qu’une personne considère comme positif ou négatif dans la vie.
Daniella Bastien précise qu’en regardant cette liste, on pourrait aisément comprendre le mal-être de ce groupe d’âge. « Imaginez un jeune professionnel, chez ses parents, ne gagnant pas assez d’argent pour s’acheter une maison ou un appartement. Le coût de la vie touche tout le monde. Et je pense que son impact est vécu de manière plus intense chez une personne qui a 30 ans, qui n’arrive pas à avoir une visibilité sur son futur. Il est tiraillé entre le désir de fonder une famille et d’améliorer sa qualité de vie. Je trouve que des mesures réfléchies doivent être prises pour ce groupe d’âge, car il comporte le plus de départs pour d’autres cieux. Émigrer n’est pas facile, mais quand un pays n’arrive pas à rassurer les jeunes professionnels, ces derniers quittent le pays. »
Le coût de la vie touche tout le monde. Et je pense que son impact est vécu de manière plus intense chez une personne qui a 30 ans, qui n’arrive pas à avoir une visibilité sur son futur
Pour paraphraser le titre d’une célèbre pièce de théâtre de Giraudoux, Daniella Bastien pense qu’on pourrait se demander si la guerre des générations aura lieu. Selon elle, elle est en train de se produire. « Nous savons la difficulté des entreprises à attirer et à retenir les employés, surtout ceux ayant moins de 35 ans.» dit-elle.
« Nous savons aussi que les départs massifs vers le Canada, par exemple, inquiètent les entreprises, notamment du milieu manufacturier. Prenant cette situation en considération, il est juste de se demander quelle sera la politique de rétention à adopter pour un pays qui voit ses jeunes partir. Davantage quand il enjoint ses jeunes à avoir plus d’enfants. Comment donner le goût de l’avenir à un jeune de 30 ans, qui a subi la pandémie, au début de sa carrière professionnelle, qui n’arrive pas à accéder à un bien immobilier, une voiture, un smartphone dernier cri, alors qu’il travaille dur ? Que dire à ce jeune ? » soutient l’anthropologue.
Pour sa part, l’observateur Dharam Gokhool avance que le phénomène des jeunes se sentant mal dans leur peau est un sujet préoccupant. Ce phénomène est mondial. Les jeunes se sentent souvent désorientés et dépourvus de repères.
« En interrogeant les jeunes en Europe, on obtient les mêmes réponses qu’à Maurice : insatisfaction, inquiétude pour l’avenir. Ce qui se passe autour d’eux ne se retrouve pas parmi les priorités de la société qu’ils essaient de réaliser. Par exemple, malgré les discours sur le climat, la dégradation de l’environnement se poursuit. Le développement économique entraîne l’appauvrissement des pauvres, tandis que la richesse s’accumule entre les mains d’une minorité », précise-t-il.
Notre interlocuteur poursuit que les jeunes se sentent fréquemment négligés. Leurs aspirations ne sont pas prises en compte. Ce qui engendre un sentiment de mal-être. « La politique ne les intéresse pas beaucoup, car ils estiment que leurs aspirations ne sont pas prises en compte. En matière d’éducation, il y a un décalage entre le programme scolaire et la réalité de leur vie quotidienne. Ils ne trouvent pas que le système éducatif réponde à leurs besoins, ce qui les fatigue. »
Dharam Gokhool note que les jeunes ont tendance à croire que l’herbe est plus verte ailleurs. Mais la migration vers d’autres régions ne résout pas tous leurs problèmes. « Les solutions doivent être trouvées au niveau national, en prenant en compte les problèmes des jeunes et en faisant de ceux-ci la priorité du pays », préconise notre interlocuteur.
« Au niveau de l’éducation, en dehors des enseignants, les parents manquent de communication. Il est nécessaire de mettre en place un système professionnel de counseling. Ce qui permettra aux jeunes de communiquer et de recevoir l’aide d’experts. Si un jeune a des problèmes, vers qui peut-il se tourner ? L’accès à des conseillers professionnels est devenu une nécessité pour aider les jeunes dans des situations complexes. »
De son côté, le sociologue, Rajen Suntoo, s’interroge sur la méthodologie utilisée pour recueillir des données. « Il est difficile de dire si la méthodologie est correcte sans plus de détails sur la manière dont elle a été conçue et mise en œuvre. Pour évaluer l’exactitude des résultats, il est crucial de comprendre dans quelle mesure la méthodologie a pris en compte les jeunes, selon des critères comme la culture, la région, la religion, l’ethnicité, le mode de vie et la classe sociale », déclare notre intervenant.
Rajen Suntoo explique qu’il est important de reconnaître que le bonheur des jeunes est influencé par de nombreux facteurs, notamment leur milieu social, économique et familial. « Les jeunes issus de milieux défavorisés peuvent éprouver des difficultés et ne pas être aussi heureux que leurs pairs issus de milieux plus aisés. La satisfaction des besoins matériels, comme les voyages, la possession d’objets luxueux ou l’accès à l’éducation, peut également jouer un rôle dans le bonheur des jeunes », dit-il.
Il évoque aussi le soutien familial et l’amour parental qui sont des facteurs importants pour le bien-être des jeunes, tout comme l’intégration sociale et le soutien de la communauté. Il est aussi d’avis que la pratique religieuse peut également influencer le bonheur des jeunes. Elle leur offre un soutien spirituel et une communauté.
Joanna Bérenger interpelle
Sur sa page Facebook, Joanna Bérenger, députée du Mouvement militant mauricien interpelle sur ce sujet. « Ce graphique de Visual Capitalist confirme ce que nous déplorons depuis un moment. Les jeunes ont perdu confiance en l’avenir. Qu’est-ce que les autorités ont entrepris pour essayer d’y remédier ? », demande-t-elle.
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