Débat

Sécurité routière : ce qui freine la culture de la conduite responsable

Les dispositions du Road Traffic (Amendement No 2) Bill préconisent un durcissement de la loi afin de développer une nouvelle culture de conduite. Les autorités ont sorti l’artillerie lourde pour qu’il y ait moins de morts que l’an dernier.

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129. C’est le nombre de personnes qui ont trouvé la mort sur nos routes depuis début 2016. Le ministre des Infrastructures publiques, Nando Bodha, dit craindre que nous ne dépassions le nombre des 139 morts enregistrés l’an dernier. Pour freiner l’hécatombe, des ammendements ont été apportés à la Road Trafic Act mardi dernier, 22 novembre. À quel point ces nouvelles dispositions aideront-elles à diminuer le nombre d’accidents ? Pour avoir quelques éléments de réponse, Le Défi Plus a sollicité l’avis de deux personnes concernées par ce qui se passe sur nos routes.

Manoj Rajcoomar, secrétaire de l’Association des moniteurs d’auto-école, accueille favorablement les nouvelles dispositions. Toutefois, il remet en question la stratégie adoptée pour la campagne de sensibilisation. Selon lui, les autorités doivent revoir leur stratégie de communication. Il se demande si « les autorités ont entrepris une étude avant d’entamer une campagne de sensibilisation  et si les 128 victimes étaient toutes sous l’influence de l’alcool ».

Attention à la corruption

Le moniteur considère cependant que l’augmentation des amendes risque de donner lieu à davantage de corruption. «En augmentant les amendes jusqu’à Rs 25 000, cela risque de pousser certains conducteurs à la corruption. Ils seront tentés de soudoyer des policiers en leur refilant Rs 2 000 à Rs 5 000 pour éviter une contravention assortie d’une forte amende », souligne Manoj Rajcoomar.

En ce qui concerne les moyens de freiner le nombre d’accidents sur nos routes, notre interlocuteur indique avoir quelques propositions qu’il compte évoquer prochainement lors d’une conférence de presse. « Le ministre Nando Bodha et son conseiller Daniel Raymond ont de bonnes intentions. Toutefois, le ministre doit revoir l’attitude de certains de ses techniciens. Il faut également se demander comment certains moniteurs ont obtenu leur permis. Ensuite, les autorités devraient utiliser des techniques modernes pour améliorer leur campagne de sensibilisation. »

Par ailleurs, les membres de l’association Prévention Routière Avant Tout (PRAT) soulignent l’importance de ces nouvelles mesures sur la sécurité routière. Un de ses porte-parole, Me Robin Appaya, explique qu’il faut éduquer les jeunes et qu’il faut introduire le permis de conduire provisoire.

Il est d’avis que de telles mesures sont susceptibles de toucher davantage de gens, notamment à l’approche de la période festive. Une campagne agressive, peut, explique Me Appaya, sensibiliser les gens aux dangers de la conduite en état d’ébriété. Il suggère également l’extension du service de transport en commun jusqu’à tard la nuit. « Il faut mettre des taxis et des autobus à la disposition des gens qui sortent la nuit. On doit mettre en place un système de transport en commun comme en Angleterre, à Hongkong ou à Singapour », souligne-t-il.

Selon lui, la campagne de sensibilisation doit se faire sans interruption, car il y a certains automobilistes qui ont pris de mauvaises habitudes et qui sont difficiles à changer du jour au lendemain.

« Certains vont toujours continuer de conduire en état d’ébriété, de doubler sur les lignes blanches… Alors il faut les sensibiliser perpétuellement », précise-t-il.

Robin Appaya explique l’importance de mettre l’accent sur les jeunes. « L’éducation sur la sécurité routière doit débuter très tôt, à l’école primaire, et se poursuivre au secondaire. Une fois que ces jeunes réussissent leur test de conduite, il faut leur donner plus de formations. Il faut leur inculquer comment on peut éviter un accident car les auto-écoles ne l’enseignent pas », dit-il. Ce dernier affirme que les tests pour l’obtention du permis de conduire doivent être plus rigoureux.

Me Appaya faitressortir l’importance d’avoir un permis de conduire provisoire. « Le permis provisoire doit être sur une année ou deux comme c’est le cas dans certains pays », dit-il.


La stratégie de Nando Bodha

« L’heure est très grave. » C’est ainsi que le ministre des Infrastructures publiques, Nando Bodha, a commencé son intervention à l’Assemblée nationale, mardi dernier. Il veut prendre le taureau par les cornes pour freiner le nombre d’accidents et le nombre de morts sur nos routes. « J’ai peur de le dire, mais il n’y a pas d’amélioration malgré tous les efforts déployés par le gouvernement pour réduire les accidents de la route et rendre notre réseau routier plus sûr », a-t-il indiqué.

Le ministre a souligné que la sécurité routière nécessite une attention urgente. Les nouvelles dispositions de la loi, dit-il, aideront efficacement à réduire les accidents de la route.

Une arme entre les mains de la police

Selon Nando Bodha, les conducteurs conduisent dangereusement. « La notion de conduite dangereuse est une infraction commise sciemment avec intention de causer un dommage à autrui ou de perturber la conduite normale de son véhicule », a-t-il expliqué. Avant de rajouter : « Avec la nouvelle loi, le gouvernement cherche à instituer une mesure de sureté, de défense sociale et de protection. »

Le ministre Bodha a, de plus, affirmé que « cette loi est une arme entre les mains de la police pour distiller la peur. La crainte de la sanction, de la rétention du permis … Cette peur, c’est ce qu’il faut pour commencer à modifier la perception du risque et ainsi les comportements pour éviter les  accidents ». Le ministre a, par la suite, révélé que les accidents coûtent à l’État environ Rs 120 millions par mois, soit environ Rs 6 milliards annuellement.


Les nouvelles mesures

Conduite dangereuse causant la mort d’une personne
Les nouvelles mesures concernant la conduite dangereuse ayant causé la mort d’une personne prévoient désormais une peine plus lourde. Ainsi, un nouvel amendement est apporté à l’article 123B de la loi cadre qui prévoit une amende variant entre Rs 75 000 à Rs 100 000. La peine d’emprisonnement qui ne dépassait pas trois ans, passe ainsi à un maximum de cinq ans.

Conduite en état d’ébriété
L’article 123D a également été amendée. Ainsi, un chauffeur en état d’ivresse ayant causé la mort d’une personne fera désormais face à une peine d’emprisonnement ne dépassant pas cinq ans au lieu de trois ans. En cas de récidive, il devra purger une peine d’emprisonnement ne dépassant pas huit ans.

Les cyclistes soumis à l’éthylotest
Dorénavant, même les cyclistes sont susceptibles d’être soumis à un alcootest. La police pourra les interpeller au cas où elle les soupçonne d’être sous influence de l’alcool. Au cas où un cycliste refuse l’éthylotest, il sera passible d’une amende variant entre Rs 5 000 et Rs 25 000.

Suspension du permis
Aux termes des nouvelles dispositions de la loi, un magistrat aura la possibilité de suspendre temporairement le permis d’un conducteur ayant été testé positif à l’alcootest. Cela à la demande de la police. Toutefois, le conducteur aura l’occasion de s’exprimer devant le magistrat avant que la
sentence ne soit prononcée.

Parallèlement, le conducteur trouvé en état d’ivresse devra passer la nuit en détention policière jusqu’à ce qu’il se soit dégrisé. Et il sera, par la suite, traduit devant le magistrat pour être fixé sur son sort.

Tout conducteur qui refuse de se soumettre à un alcootest, une analyse sanguine ou urinaire pourrait voir son permis suspendu pour une période de huit mois.

Délit de fuite
Un conducteur impliqué dans un accident ou un délit de fuite ne disposera désormais que d’une heure pour rapporter le cas à la police, au lieu de quatre heures. Si l’amende est maintenue à Rs 5 000, par contre, la peine d’emprisonnement passe de six mois à trois ans.


Barlen Munusami, auteur du «Guide complet du conducteur» : «Il faut un changement radical des mentalités»

Barlen MunusamiQuelques mots sur les nouveaux amendements à la Road Traffic Act…
Le durcissement des lois qui sont déjà en vigueur cadre parfaitement avec les principes de la General deterrence, qui prévoient des amendes élevées, la suspension du permis de conduire et même une peine d’emprisonnement. Mais la mise en pratique de ces nouvelles lois va de paire avec un travail de terrain. Il ne faut pas se limiter à la théorie.

Je tiens à souligner que cela a des implications avantageuses et désavantageuses. L’un des avantages est le fait que les conducteurs devront adopter un meilleur comportement sur la route. L’un des désavantages sera la nuit en cellule. Je me demande s’il y aura suffisamment de cellules disponibles dans les postes de police pour accommoder les contrevenants testés positifs à l’alcotest. Une telle mesure pourrait également entraîner des détentions injustifiées en relation avec l’élimination de l’alcool dans le corps. Par exemple, un conducteur qui est légèrement au-dessus de la limite peut éliminer 15 mg d’alcool en une heure. Ce qui fait qu’il doit y avoir des évaluations pour vérifier l’état de la personne.

Mis à part un durcissement de la loi, quels sont les mesures qui devraient être introduites ?
Il faut traiter le problème à la source. Et pour l’éradiquer, il faut en connaître l’origine. L’expertise étrangère est caduque dans un certain sens, car le mal se trouve dans le fond et non dans la forme. Un durcissement de la loi changera le comportement des conducteurs à court terme. L’important est de changer définitivement la mentalité des automobilistes et ce n’est qu’à travers une éducation de la masse sur le principe de la sécurité routière que la situation s’améliorera.

Vos attentes par rapport à l’entrée en vigueur de ces nouvelles lois ?
Je m’attends à ce qu’il y ait un changement radical dans le comportement des conducteurs. Il est important de souligner qu’on ne pourra pas changer la donne.

Il y aura toujours des conducteurs qui prendront la route en état d’ébriété. C’est la raison pour laquelle il faut insister pour instaurer une culture de sécurité routière.


Victime d’un violent accident en 2005 - Jean-Patrick Séraphine : la lumière au bout du coma

Jean-Patrick SéraphineIl a repris goût à la vie après des années de souffrance. Jean-Patrick Séraphine a été victime d’un violent accident le 30 août 2005 à Beau-Bois, Saint-Pierre. Il avait alors 22 ans. Le jeune homme était au volant de sa Citroën ZX quand il a perdu le contrôle de son véhicule. Il a passé un mois et sept jours à l’unité des soins intensifs.

« Mo ti ena disan kaye dan latet, mo lipie goss ti anfle, de zenou kase, fraktir lazam et mo le bra drwat pa bouze… » explique cet accidenté de la route.
Si au début, il était alité, aujourd’hui, il arrive à faire quelques mouvements grâce aux séances de physiothérapie.

Sa mère Ivy, est toujours à ses côtés. « Le médecin nous avait dit que les chances de survie de mon fils étaient minces... S’il sortait d’affaire, il risquait de perdre la tête. Par la grâce de Dieu, il est toujours vivant. Ce n’était guère facile de le voir dans cet état. C’est un miracle ce qui s’est produit. »


Des familles dans la douleur

Le samedi 12 novembre, Marco Pierre Louis, un collégien de 15 ans, a succombé à ses blessures après que le 2x4 dans lequel il se trouvait a fini sa course dans un champ de canne à Cascavelle. Ses proches sont inconsolables. « Mon fils m’avait dit qu’il partait à la plage avec ses amis. J’ai eu un choc quand j’ai appris qu’il avait fait un accident. C’est très pénible de perdre son enfant dans des telles circonstances. Je passe par des moments très difficile. Marco était mon fils unique », souligne Marline Pierre Louis.

Chez les Ragoonath, à Camp-Lila, Triolet, c’est le même désarroi. C’est en circulant à moto que le constable Ashwin Ragoonath a trouvé la mort le dimanche 21 août. Il comptait 15 ans de service au sein de la force policière.

« On a appris la nouvelle de l’accident à travers un appel téléphonique. On nous a tout simplement qu’il avait fait un accident. C’est à l’hôpital qu’on nous a annoncé son décès. Il aimait son boulot. Ashwin était apprécié de tous », souligne Sanjay Ragoonath, cousin de la victime. 

 

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