Maurice importe une grande partie de ses denrées alimentaires, notamment des produits de base comme le riz, les légumes et les fruits. Cependant, cette dépendance expose le pays à des fluctuations des prix internationaux et à des perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Comment assurer notre sécurité alimentaire et devenir plus autosuffisant. Le point.
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Depuis plusieurs années, l’autosuffisance alimentaire est au cœur des débats à Maurice, principalement en raison de notre dépendance massive aux importations. En effet, plus de 75 % de ce que nous consommons est importé, alors que nous produisons moins de 25 % de nos besoins alimentaires. Cette situation fragilise notre sécurité alimentaire et nous expose aux aléas externes, comme en témoignent les perturbations causées par la pandémie de Covid-19 et les répercussions de conflits internationaux, comme celui entre l’Ukraine et la Russie.
Depuis des années, les alarmes ont été sonnées concernant la vulnérabilité de l’île vis-à-vis de ces risques externes. Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il est grand temps pour le pays de se concentrer sérieusement sur ce dossier afin de ne plus subir passivement les effets néfastes de notre dépendance excessive aux importations. On estime qu’en investissant dans la production locale, en encourageant l’agriculture durable et en soutenant les initiatives visant à renforcer notre autosuffisance alimentaire, notre pays pourrait assurer une meilleure résilience face aux défis futurs et garantir une alimentation stable et sécurisée pour la population.
Kreepalloo Sunghoon, de la Small Planters Association, Salil Roy, président de la Planters Reform Association, ainsi que Soorajen Manikon, secrétaire général de l’Association des Planteurs Indépendants, évoquent les problèmes existants et proposent des solutions.
Kreepalloo Sunghoon : «un plan stratégique est nécessaire pour revitaliser le secteur agricole»
Production locale en déclin
La production locale a baissé à moins de 20 %, entraînant une dépendance accrue aux importations de produits comme les pommes de terre, les oignons, l’ail et le lait. Les légumes verts sont encore produits localement, mais les volumes ont chuté et les prix ont augmenté. On consomme 24 000 tonnes de pommes de terre, mais on n’en produit que la moitié. Idem pour l’oignon avec une consommation de 17 000 tonnes et une production de 7 000 tonnes seulement. Selon moi, les efforts pour assurer la sécurité alimentaire sont présents, cependant ils demeurent insuffisants. Pour les produits de base comme le riz, la farine et l’huile, on n’a pas d’autre choix que de continuer à importer. Maurice ne produit pas de viande et dépend donc des importations. Pour le poulet et les œufs, le pays est autosuffisant. En revanche, à mon avis, pour les légumes, une stratégie doit être développée pour maintenir et augmenter cette autosuffisance.
Absence de stratégie
Je déplore le manque, voire l’absence, d’une stratégie claire pour la production agricole. Il est essentiel de déterminer la quantité à produire et les capacités locales pour éviter une pénurie. Des terres agricoles, autrefois utilisées pour des cultures comme les pommes de terre, sont maintenant bétonnées pour le développement immobilier.
Plusieurs solutions ont été proposées pour développer des clusters agricoles sur environ 500-600 arpents avec toutes les infrastructures nécessaires pour le tri, le stockage et le traitement des produits. Je suis d’avis qu’une provision adéquate en eau et un changement vers des modes de production modernes comme l’hydroponie ou les cultures sous abri sont également indispensables.
Problèmes structurels
Il faut savoir qu’une grande partie des terres agricoles (60 à 70 %) est louée par le gouvernement ou des propriétaires privés, rendant l’investissement incertain pour les planteurs. Pour moi, la formation d’entrepreneurs agricoles et la mise en place de systèmes de stockage pour les produits périssables sont importantes pour assurer la continuité de la production, surtout en période de climat défavorable.
Manque de suivi
Il y a 15-20 ans, le ministère de l’Agro-industrie, via le National Monitoring Committee pour le secteur non-sucre, résolvait efficacement les problèmes de production. Or, aujourd’hui, ce type de support est absent, ce qui a conduit à une augmentation des importations de produits agricoles.
Revitaliser
Je plaide pour un plan stratégique, qui, selon moi, est nécessaire pour revitaliser le secteur agricole et atteindre une autosuffisance alimentaire de 40 %. En guise de conclusion, je dirais qu’il est prépondérant de valoriser les agriculteurs et de leur fournir des assurances et des plans de pension pour sécuriser leurs investissements et leurs retraites.
Bon À savoir
118 632 tonnes de nourriture gaspillées chaque année
Alors même que les prix des produits alimentaires ne cessent de grimper et exacerbent le problème de la précarité, le gaspillage est toujours là. Maurice ne fait pas exception. Il est estimé que 118 632 tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année au pays. Un chiffre élevé compte tenu de la taille du pays et de la population. Cela implique également que 225,7 kilos de nourriture sont gaspillés chaque minute à Maurice.
Salil Roy : «le potentiel agricole est là, mais il n’est pas exploité»
Grand ordre
Sans l’ombre d’un doute, je pense qu’il faut mettre un grand ordre dans le secteur qui fait face à de multiples défis, mais qui comporte plusieurs opportunités. Pour le revitaliser et assurer la sécurité alimentaire du pays, il existe plusieurs solutions.
Terres abandonnées
Il y a beaucoup de terres abandonnées à travers l’île. Elles sont fertiles, mais elles ne sont pas exploitées de manière optimale. Au niveau des légumes, cette situation est particulièrement préoccupante. Pour renforcer la sécurité alimentaire, il est essentiel de mettre en place de grands plans agricoles non seulement pour les légumes, mais aussi pour l’élevage.
Importations excessives
Je pense qu’il n’est pas normal que Maurice dispose de tant de terres agricoles et importe une grande quantité de produits alimentaires. Cette situation contribue à la vie chère avec l’inflation et la dépréciation de la roupie. D’ailleurs, cette dépendance excessive aux produits importés a été mise en évidence pendant la pandémie de Covid-19, lorsque le pays était presque fermé et que les gens recommençaient à planter. Le potentiel existe, mais il manque une initiative ferme du ministère et je trouve que c’est désolant.
Pour débuter, il faut créer des semences locales et mettre en place des plans agricoles sur de petites parcelles de terre. Le potentiel agricole est là, mais il n’est pas exploité. Si cette situation persiste, elle aura des conséquences graves.
Préservation des terres fertiles
Je suis d’avis qu’il est important d’arrêter de bétonner les terres fertiles. Ensuite, à mon avis, l’agriculture est importante. Toutefois, il faut aussi se concentrer sur les élevages traditionnels de bœufs, moutons et cabris. Je reconnais qu’il y a un grand problème de forage, mais il faut relancer ces activités.
J’en appelle à une réflexion approfondie et à des actions concrètes pour transformer l’agriculture mauricienne"
Économie circulaire
En intégrant l’élevage d’animaux pour produire du fumier et la culture de légumes, on peut créer une économie circulaire. Il faut réfléchir de manière stratégique et ne pas se contenter d’annonces sans suivi. Par exemple, des produits tels que les carottes, le chou-fleur et les oignons sont importés à 75 %, alors qu’avec une bonne politique alimentaire, Maurice pourrait les produire localement.
Technologie
Au fil du temps, je crains que Maurice devienne une jungle de béton malgré ses nombreuses terres fertiles. J’espère un renversement de tendance avec de nouvelles méthodes de production, y compris l’IA. À la fin de la journée, malgré beaucoup de discussions sur l’agriculture intelligente, il est triste de constater que peu de choses concrètes se matérialisent.
Incitations et politiques
Pour moi, il est indéniable qu’il faut avoir des personnes compétentes à des postes stratégiques. Quelques produits, comme le poulet et les œufs sont produits localement, mais pas à 100 %, car on importe toujours le maïs. Des incitations fiscales pourraient encourager davantage la production locale de plusieurs produits. Il y a un potentiel, mais il n’est pas pleinement utilisé.
Semences et main-d’œuvre
Salil Roy croit par ailleurs que la production de semences locales pourrait bénéficier d’un soutien accru. Une politique agricole solide est indispensable. Il faudrait obliger les propriétaires terriens sucriers à consacrer une partie de leurs terres à l’agriculture et à la culture de légumes, car la main-d’œuvre et les ressources sont disponibles. Ainsi, j’en appelle à une réflexion approfondie et à des actions concrètes pour transformer l’agriculture mauricienne et assurer un avenir alimentaire sécurisé et durable pour le pays.
Soorajen Manikon :
« Il faut des formations motivantes pour inciter les jeunes à s’engager dans l’agriculture »
Motivation
Selon moi, il y a un fort découragement parmi les planteurs ces derniers temps, avec de nombreuses terres laissées à l’abandon. Or, il est impératif d’analyser et de motiver les planteurs pour qu’ils reviennent vers la terre. En guise de motivation, il est nécessaire de leur offrir des incitations appropriées tout en identifiant et en abordant les contraintes auxquelles ils sont confrontés. Le coût élevé des fertilisants et des investissements plus conséquents qu’auparavant sont des obstacles majeurs. De plus, les vols dans les plantations de légumes et d’élevage découragent fortement les planteurs.
La nouvelle génération montre peu d’intérêt pour l’agriculture traditionnelle, ce qui entraîne une pénurie de main-d’œuvre. Pour contrer ce problème, il faudrait des incitations, comme des subventions sur les fertilisants, afin d’attirer de nouveaux planteurs. Des mesures doivent également être prises pour réduire les vols, peut-être en rendant la législation plus sévère.
Formation et services
Pour moi, il est essentiel d’offrir des formations motivantes aux jeunes pour les inciter à s’engager dans l’agriculture. De plus, il faudrait revoir les services offerts aux planteurs, ainsi que les objectifs des institutions agricoles établies depuis des années, afin de mieux répondre aux besoins actuels du secteur.
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