Le Directeur des poursuites publiques propose une remise à niveau de la Prevention of Corruption Act (PoCA), de même que l’adoption d’un régime spécial pour les jeunes arrêtés pour des délits de drogue. Cela afin de leur accorder la chance de se réhabiliter. Il déplore le manque de réactivité de l’Asset Recovery Unit.
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Devant la Commission Lam Shang Leen cette semaine, vous avez abordé l’idée d’une peine de prison avec sursis dans une affaire de drogue. Depuis quand y pensez-vous ?
Prudence ! Il faut qu’on soit clair sur ce que j’ai avancé et le contexte dans lequel je l’ai fait. Avant tout, il faut faire ressortir que la Dangerous Drugs Act (DDA) de 2000 prévoit deux régimes distincts pour les délits liés à la drogue.
L’un s’applique aux trafiquants et l’autre aux consommateurs. En ce qu’il s’agit des trafiquants et autres « dealers » l’article 47(2) stipule clairement que les dispositions légales aux sursis ne s’appliquent pas. Dans le cas des consommateurs, un régime moins rigide est prévu.
Selon les dispositions de l’article 34(2), le consommateur, qui est condamné par une cour de justice, peut opter pour une cure de désintoxication et de réhabilitation. Outre cette mesure, la loi prévoit aussi la possibilité de sursis pour les consommateurs.
Cependant, il faut faire ressortir que toute condamnation pénale pour un délit de drogue serait inscrite au casier judiciaire de la personne selon les dispositions de la Certificate of Character Act. Ce qui est malheureux et extrêmement difficile pour les consommateurs qui ont souscrit aux conditions prévues sous l’article 34 et qui ont en quelque sorte été réhabilités aux yeux de la justice, c’est que la mention d’un sursis faite sur le certificat de moralité réduira indéniablement leurs chances à trouver un emploi.
Le plus vite qu’on corrige cette bavure dans le texte de loi, le mieux ce sera pour ceux qui ont démontré une volonté de suivre une cure et de se soumettre à une réhabilitation.
«L’afflux des drogues synthétiques ne constitue pas une raison pour songer à dépénaliser le gandia. La dépénalisation est un débat de société (…)»
Vous proposez la suspension de poursuites au pénal pour un mineur ou un toxicomane novice contre un programme de réhabilitation. Votre proposition sera-t-elle entendue ?
La Commission d’enquête sur la drogue a été très réceptive à ma proposition d’un Deferred Prosecution Agreement. Le président Paul Lam Shang Leen a été plus loin en invoquant des régimes similaires au Canada.
Le but d’une telle proposition, encore une fois, est d’accorder une chance additionnelle aux mineurs ou autres toxicomanes novices de se soigner et de se réhabiliter. Tout cela devrait être accompagné d’un encadrement, surtout psychologique, et d’un suivi régulier.
Ma proposition invoque que le processus même de la machinerie judiciaire ne soit pas déclenché. Il n’y aurait alors aucune mention sur un Certificat de moralité, même si ce mineur a été impliqué dans un délit de drogue. Pourquoi ne pas préserver son anonymat, car il a vraisembablement commis une erreur de jeunesse…
Nos institutions sont-elles aptes à mener à bien la réinsertion des toxicomanes ? En prison, cela ne marche pas forcément, n’est-ce pas ?
Nous avons l’expertise et l’institution requises, de même que la détermination, à vaincre ce fléau. Au bureau du DPP, nous avons rencontré par le passé des toxicomanes au Centre d’Accueil de Terre-Rouge. Ce type d’institutions, je dois le souligner, fait un travail remarquable. Elles ont besoin de ressources supplémentaires pour un travail plus accru et fructueux. Mon souhait serait la création d’autres centres semblables à l’échelle nationale afin d’aider ces toxicomanes à sortir de cet enfer.
Les enquêtes entreprises par la police récemment ont démontré que, trop souvent, la prison est utilisée par les trafiquants pour perpétuer de plus belle le trafic de la drogue. Ainsi, force est de constater que la réinsertion n’est pas la responsabilité de nos institutions carcérales uniquement.
Face à l’afflux des drogues synthétiques, devrait-on songer à dépénaliser le gandia ?
L’afflux des drogues synthétiques ne constitue pas une raison pour songer à dépénaliser le gandia. La dépénalisation est un débat de société et il faudrait tout d’abord une réflexion mûrie à ce sujet.
Comme, je l’ai fait ressortir devant la Commission Lam Shang Leen, il nous faut trouver des solutions plus appropriées et adaptées au contexte local. C’est-à-dire des solutions mauriciennes aux problèmes mauriciens.
Même pour un usage strictement médical ?
Les situations où les drogues sont requises à l’usage médical sont déjà prévues dans la loi.
Rs 100 millions d’héroïne ont été saisies chez l’épouse d’un trafiquant condamné en mai. Est-ce qu’il faut davantage surveiller les proches de ces trafiquants de drogue ?
Il faudrait surveiller tous ceux impliqués directement ou indirectement dans le trafic de drogue. Une condamnation ne devrait nullement signifier la fin de la vigilance des autorités. Dans le combat contre ce fléau, il est primordial que la surveillance se fasse constamment sur les suspects. Si des preuves commencent à être réunies autour d’un trafic de stupéfiants, les autorités doivent saisir un juge en Chambre dans le plus bref délai afin d’intercepter les communications téléphoniques et électroniques des suspects afin de démanteler le réseau visé. Le recours à ce genre d’enquête n’est malheureusement pas systématique bien que l’article 56 de la DDA le prévoit. L’on constate que c’est le contraire qui est vrai à côté, à La Réunion. Nombre de preuves dans des affaires de drogues sont fondées sur des communications téléphoniques ayant été interceptées.
Comment un trafiquant, dont les avoirs ont été gelés, peut-il se payer des hommes de loi ? Y a-t-il enquête du côté du bureau du DPP sur les dépenses encourues par ces personnes ?
Je ne suis pas au courant de ces arrangements, mais il n’est pas à écarter que la famille encourt les frais d’un procès. Le bureau du DPP n’est pas habilité à enquêter sur de telles situations. Les dispositions sous l’Asset Recovery Act permettent à l’Enforcement Authority de saisir des biens illicites des trafiquants. Or, force est de constater qu’on n’entend plus parler de l’existence, ni des activités de l’Asset Recovery Unit.
«Le droit à la liberté et la sécurité physique demeurent l’essentiel des valeurs constitutionnelles. Le combat contre le terrorisme ne peut se faire en ébranlant les libertés fondamentales»
Le ‘revenge porn’ est un nouveau type de cyberdélit. Comment remédier à ce phénomène qui prend de l’ampleur à Maurice ?
Selon la Criminal Justice and Courts Act d’Angleterre, le ‘revenge porn’ se résume à la publication de l’intimité privée d’une personne sans son consentement. Il s’agit de la diffusion de photos ou vidéos à caractère sexuel dans le but d’embarrasser ou de provoquer la détresse de la personne figurant sur ces images. Lesquelles sont parfois accompagnées d’informations personnelles, y compris son nom complet, son adresse et des liens vers leurs profils sur les réseaux sociaux.
L’article 46 de l’Information and Communications Technology Act réprime ce genre de délit. Le défi pour les autorités de contrôle demeure la détection du délit bien souvent commis sous couvert d’anonymat. Au bureau du DPP, nous sommes en train de préparer des ‘guidelines’ pour statuer dans quels cas des poursuites sont nécessaires dans l’intérêt général.
Un jeune du Sud s’est donné la mort après la diffusion d’un tel clip il y a quelques années. Qui poursuivre à ce moment-là?
Celui qui a diffusé le clip sera poursuivi sous l’Information and Communications Technology Act, voire la Child Protection d’Act, si des images d’un mineur sont concernées. Mais, on ne pourra dire qu’il a provoqué la mort de celui figurant sur ces images.
Quel recours contre les médias qui publient la photo des mineurs ? Ou qui donnent des détails pouvant l’identifier ?
L’article 15 de la Child Protection Act punit la possession des images d’enfants à caractère indécent dont le but est de les distribuer ou de les publier. L’article 13A interdit également les articles de presse concernant des cas impliquant le trafic d’enfants.
Je considère qu’une telle disposition doit être élargie pour couvrir d’autres situations similaires. En Angleterre, le chanteur Cliff Richard, qui a fait l’objet d’une enquête judiciaire dans le cadre des délits allégués sur les enfants, mène une pétition ces jours-ci auprès des parlementaires britanniques afin que l’anonymat des suspects soit respecté. Lui-même a subi des préjudices quand son nom a été cité.
La Prevention of Corruption Act (PoCA) doit-elle être amendée afin que la gratification sexuelle soit considérée comme une forme de bénéfice ?
La PoCA date de 2002 et plusieurs dispositions sont inadaptées à notre contexte local en raison de la nature évolutive de ces crimes. Des nouvelles dispositions plus adaptées sont vivement souhaitables.
La Prevention of Terrorism Act (PoTA) va être modifiée et permettra à la police d’arrêter tout suspect sans mandat. Y êtes-vous favorable ?
La révision de la PoTA ne doit pas se faire au détriment des droits fondamentaux des citoyens inscrits dans la Constitution. Le droit à la liberté et la sécurité physique des citoyens demeurent l’essentiel des valeurs constitutionnelles de notre pays.
Le combat contre le terrorisme ne peut se faire en ébranlant les libertés fondamentales. Par contre, la consolidation de l’entraide judiciaire et l’adoption de nouvelles technologies de détection de ces crimes peuvent s’avérer beaucoup plus fructueuses.
Qu’est-ce qui doit être fait, selon vous, pour empêcher des Mauriciens à s’embrigader au sein des organisations terroristes ? Y a-t-il suffisamment de collecte de renseignements pour identifier les radicalisés ?
L’accent doit être mis sur l’éducation à l’école et, plus globalement, dans la société. Je pense qu’il y a encore des efforts à faire en ce sens et surtout se dire que nous ne sommes pas à l’abri d’actes terroristes.
Quelle est votre position sur les accusations provisoires ?
Le système d’accusations provisoires existe uniquement à Maurice. Elles deviennent souvent un outil de répression et ont fait couler beaucoup d’encre. Il est grand temps que la loi soit amendée à travers le nouveau Police and Criminal Evidence Bill dans le but pour finir à jamais avec les accusations provisoires.
Êtes-vous satisfait de la manière donc certains avocats traitent leurs dossiers ?
Ce n’est pas à moi de me prononcer. Le Bar Council et l’Attorney General sont là pour veiller au grain et pour sanctionner tout écart de conduite.
Votre fils vient de prêter serment comme avocat. N’y a-t-il pas trop d’hommes de loi pour un territoire aussi exigu que Maurice ?
Je pense qu’il y a toujours de la place pour les bons avocats. « Only the sky is the limit in this profession ». C’est le conseil que je donne à tous ceux qui aspirent à se faire un nom au barreau.
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