Selon le ministre des Finances Renganaden Padayachy, le salaire de base d’environ 77 % de la population est de moins de Rs 25 000. Il a souligné que c’est pour cette raison que le gouvernement a proposé des mesures de soutien, afin de préserver le pouvoir d’achat. Il a aussi ajouté que, depuis l’année dernière, la stratégie est de préserver l’emploi. Qu’en pensent les économistes et les syndicalistes ? Le point.
Publicité
Lindsey Collen : « Créer de l’emploi dans la production »
Au niveau de Lalit, Lindsey Collen ne cache pas son inquiétude face à l’écart grandissant entre les salaires. « Une grande majorité de Mauriciens est endettée. Cette inégalité a été accentuée par l’effet néolibéraliste du système capitaliste. C’est choquant », fustige notre interlocutrice. Pour cette dernière, il est difficile de vivre avec peu d’argent dans la conjoncture où il y a une baisse du pouvoir d’achat avec l’augmentation du fret et la dépréciation de la roupie. Elle salue le contrôle des prix afin d’empêcher les abus.
Elle regrette que le gouvernement n’ait pas organisé de nouvelles formes de production qui créeront de l’emploi. Selon elle, nos compatriotes possèdent une expérience culinaire assez développée. Le gouvernement pourrait envisager une industrie alimentaire et songer à l’exportation.
Pierre Dinan : « Il faut un nouveau sondage pour déterminer le coefficient Gini »
Pierre Dinan explique, tout d’abord, le concept du coefficient de Gini ou indice de Gini. Cette mesure statique désigne le degré d’inégalité au sein d’une économie. « Si c’est zéro, c’est l’égalité totale, si c’est 100, c’est l’inégalité totale. Maurice est dans la tranche de 40, mais le dernier sondage remonte à quelques années de cela, où cet indice commençait déjà à se détériorer. Il faut donc effectuer une nouvelle étude pour déterminer le coefficient Gini actuel. Cette mesure va indiquer si l’écart s’est accentué davantage, sachant que la Covid-19 a impacté considérablement les personnes au plus bas de l’échelle. »
Selon l’économiste, c’est bien que le gouvernement soutienne la population, mais il faut qu’il ait les moyens de le faire. « Pour terminer, je me permets de poser une question : est-ce le moment d’appliquer le PRB ? ».
Dr Takesh Lucko : « Des cadres ont dû renoncer à une bonne partie de leur salaire »
L’économiste Takesh Luckho pense que cette situation doit effectivement interpeller : « L’écart entre les riches et les pauvres ne cesse d’augmenter. Mais espérons que l’un des objectifs des Sustainable Development Goals (SDG), qu’est la réduction des inégalités, soit atteint d’ici 2030. Il reste un peu plus de huit ans avant la date butoir. » Ensuite, il est d’avis que la baisse des salaires peut être attribuée à la Covid-19. « Un grand nombre des cadres du secteur privé a dû renoncer à une bonne partie de leur salaire pour préserver leur emploi. Il est aussi nécessaire de mener une étude en profondeur pour déterminer pourquoi trois-quarts des employés touchent un salaire de Rs 25 000. Est-ce par manque de productivité, à moins que le système de calcul diffère ? » ajoute l’économiste. Il fait remarquer que, dans certains secteurs, le salaire de base est certes bas, mais augmente avec les allocations.
Selon lui, il est impératif de remédier à la situation, surtout que Maurice a pour objectif de devenir un pays développé. « Cela ne peut pas rester que sur le papier, il faut que la croissance de la richesse se répercute sur toutes les couches de la population. Être développé veut dire avoir un bon niveau de vie, ce qui veut dire que les salaires doivent être revus », indique notre intervenant. Pour conclure, il fait ressortir que la publication du PRB devrait se faire chaque trois ou quatre ans au lieu de six ans. Ceux au bas de l’échelle doivent aussi toucher de meilleures rémunérations, notamment à travers une révision du salaire minimum ou encore en se basant sur le coefficient Gini dans chaque secteur.
Ashok Subron : « Il y a une difficulté réelle pour les salariés au bas de l’échelle »
« Le modèle capitalistique de Maurice est basé sur la main-d’œuvre gratuite ou bon marché. Mais c’est l’ascension fulgurante des prix, qui représentent un pourcentage important, qui interpelle. À mon avis, il faut prendre en considération les chiffres pour avoir une meilleure visibilité de la situation, comme le fait qu’on dénombre 1,5 employé par foyer. On doit aussi savoir que 77 % de la population touche moins de Rs 15 000 ou Rs 12 000. Il y a une difficulté réelle pour les salariés au bas de l’échelle et ceux qui sont issus de la première couche de la classe moyenne », déclare Ashok Subron, le syndicaliste de la General Workers Federation (GWF). Il ajoute que l’endettement de ces personnes est une réalité, sans parler de la baisse du pouvoir d’achat. « La pandémie de Covid-19 a affecté les travailleurs et ce fardeau a été transféré sur la classe ouvrière. Je prends pour exemple les entreprises qui déduisent le salaire ou les congés payés des employés en auto- isolation », déplore-t-il.
Il considère que cette pandémie contribue à l’appauvrissement de la classe ouvrière et accentue ses difficultés financières. « Sans oublier la perturbation dans le système éducatif, où le salaire des travailleurs est réduit, s’ils doivent s’absenter du travail pour prendre soin de leurs enfants. Tandis que les allocations de ceux qui font du télé-travail sont coupées. La solution pour arrêter la souffrance des personnes au bas de l’échelle réside dans la solidarité qui était présente durant les confinements. Il faut prôner la solidarité pour aider ceux qui sont en détresse », estime-t-il.
Jane Ragoo : « On mérite tous de vivre bien »
Pour Jane Ragoo, la syndicaliste de la Confédération des travailleurs des secteurs publics (CTSP), la déclaration du ministre des Finances interpelle à plus d’un titre. Selon elle, il reste encore des progrès à faire, car il faut comprendre d’où on sort pour aller où. En 2014, suite aux études menées par la CTSP, entre autres, sur le panier de la ménagère, il fallait débourser Rs 9 000 pour une famille de quatre individus. « Le ministre des Finances d’alors, Xavier-Luc Duval, avait été choqué d’apprendre qu’il y avait des employés de la zone franche qui touchaient Rs 4 500 et les cleaners percevaient Rs 1 500 par mois. Une situation qui concernait près de 100 000 personnes. Entre-temps, il a quitté le gouvernement et nous avons continué notre combat. Nous avons entamé une grève de la faim de 10 jours, un geste qui a interpellé les Mauriciens. Ensuite, les autorités sont venues avec le salaire minimum de Rs 8 500 en janvier 2018 », indique-t-elle.
Par la suite, le National Wage Council a été mis sur pied et aujourd’hui, le salaire est de Rs 10 575. « Il est vrai de dire que 77 % de la population touche un salaire de base de moins de 25 000. C’est pourquoi le National Wage Council doit continuer à faire des analyses et proposer des revenus en fonction des évolutions dans le pays. Cet exercice doit se faire, selon moi, annuellement. Pour vivre correctement, une famille a besoin de Rs 22 000 au minimum », fait remarquer notre interlocutrice. Cette dernière soutient qu’il faut au moins un ratio de 1 : 20 (employé : patron) sur les profits. « Certes, dans un bateau, il ne peut y avoir plusieurs capitaines, mais ce n’est pas pour autant que le matelot ne doit pas vivre décemment. On mérite tous de vivre bien. Le gouvernement doit réajuster le salaire minimum », conclut-elle.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !