Nous n’avons pas tous la chance de grandir au sein d’une famille unie. À Maurice, le nombre de familles monoparentales ne cesse de croître. Le parent isolé étant le plus souvent la mère. Grandir sans père est devenu un phénomène courant, mais pas sans conséquences.
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Malgré les efforts des autorités pour venir à bout de la violence domestique envers les femmes, de nombreux cas sont recensés quotidiennement. Plusieurs femmes fuient leur mari et courent se réfugier dans des centres gérés par des associations. La plupart de ces femmes sont contraintes d’élever seules leurs enfants. Les pères sont souvent absents. Malheureusement, une enfance privée de la présence masculine du père n’est pas sans conséquences.
Dans notre culture traditionnelle, le père représente l’autorité, les valeurs et le pouvoir. Selon le sociologue Surendr Nowbuth, bien que le statut de la femme ait changé ces dernières années et qu’elle jouisse de plus d’indépendance, d’autorité et d’autonomie, la fonction paternelle n’a pas perdu de son importance. « Plusieurs vertus éducatives sont attribuées à la fonction paternelle. Des études ont démontré que la présence du père intervient dans le développement de la personnalité de l’enfant. Elle a un impact sur son caractère et son comportement dans la société », explique le sociologue. Et d’ajouter que le divorce étant devenu récurrent, l’absence de figure paternelle est désormais une véritable problématique sociale à laquelle nous devrons nous attarder. Comment les enfants vivent-ils cette absence ?
Céline, 21 ans, vit avec sa mère et sa grand-mère depuis sa naissance. Si à un certain moment de sa vie elle estimait que l’absence d’une figure paternelle n’avait aucun impact sur elle, notre interlocutrice nous confie que la situation était toute autre durant son adolescence.
Sentiment de vide et d’insécurité
« Je n’ai pas connu ni même simplement vu mon père. Quand j’avais 10 ans, je ne me souciais vraiment pas de son absence. On peut dire que cela ne me posait aucun problème que mon père soit absent de ma vie. C’est pendant mon adolescence que je commençais à me rendre compte de la situation et à y penser davantage. Je sentais comme un vide au fond de moi. Ce qui a, par la suite, entraîné un sentiment d’insécurité que je n’arrive toujours pas à expliquer. J’ai toujours ce sentiment de colère qui complique beaucoup mes relations avec les autres », explique la jeune femme.
Comme Céline, plusieurs enfants grandissent sans père dès leur naissance. En revanche, d’autres voient leur père de temps en temps et, parfois même, vivent avec lui sans le connaître. Tel est le cas de Ritesh, 18 ans. Avec sa mère et ses autres frères et sœurs, le jeune homme a fui son père violent et s’est réfugié chez des proches depuis quelques années.
Il voyait son père de temps à autre, dans le cadre des visites d’un week-end sur deux. «Après quelques mois, j’ai demandé à ma mère de mettre un terme aux visites, car je n’arrivais plus à supporter la présence de mon père. À mon égard, cette personne n’est rien d’autre qu’un étranger. Malgré ses actes de violence, je m’étais dit que tout le monde mérite une deuxième chance. Je devais m’efforcer à avoir une vie de famille quasi normale. Mais, je m’étais trompé. Mon père me faisait plus de mal sur le plan psychologique. Aujourd’hui, je peux dire que je n’ai aucune affection pour lui. Je le considère uniquement comme mon géniteur. On me reproche souvent d’être sournois ou même violent. Je suis certain que cela est dû à la frustration engendrée par le fait que mon père n’a pas joué son rôle comme il se devait », indique le jeune homme.
L’absence du papa crée une relation fusionnelle entre la maman et ses enfants
Dans la plupart des familles où le papa est absent, une relation fusionnelle entre la maman et les enfants se crée. Situation qui n’a rien d’anormale, car dans la plupart des cas, les responsabilités parentales sont endossées uniquement par la mère. Celle-ci joue bien souvent le rôle des deux parents.
Selon la psychologue Karuna Rajiah, la maman est souvent admirée par ses enfants. Ces derniers ont été témoins des sacrifices que leur mère a faits, surtout son courage et son amour. La relation entre maman et enfant, renforcée dès la conception par le cordon ombilical, devient alors fusionnelle.
« Dans certaines situations, la maman a parfois tendance à se culpabiliser et à regretter de n’avoir pu offrir un cadre familial conventionnel à son enfant. Il est vrai que, durant l’adolescence, certains enfants peuvent se montrer désagréables, voire agressifs avec leur mère. Cela s’explique par la présence d’un sentiment d’injustice qui envahit ces jeunes en quête d’identité. Ils ont des difficultés à accepter la situation dans laquelle ils vivent. Toutefois, il est à noter que, dans la plupart des cas, les enfants redeviennent, à l’âge adulte, très proches de leur maman », explique la psychologue. Elle ajoute : « de nos jours, l’absence du père est commune et les mamans font de leur mieux pour combler ce manque. Ce qui rapproche les mères de leurs enfants ».
Retrouver son père lorsque l’on a grandi sans lui
Lorsqu’ils deviennent parents à leur tour, les enfants qui ont grandi sans une figure paternelle décident souvent d’engager des recherches pour retrouver leur père. Ou alors ils essaient de recoller les morceaux. Ces derniers sont souvent poussés par le désir de comprendre leurs origines ou tout simplement comprendre les raisons derrière cet abandon. Gilberte, 58 ans, se remémore de sa tentative de réconciliation avec son père après plus de 30 ans d’absence. « Ma mère a quitté mon père, car celui-ci était violent. J’étais jeune et à l’époque ma relation avec mon père était chaotique. Toutefois, pendant les longues années loin de lui, j’ai souvent ressenti le besoin de lui parler. C’était compliqué. Je n’ai jamais eu le courage de le faire. Les choses ont changé à la naissance de mon fils. J’ai changé d’avis. Je ne voulais pas que mon fils grandisse dans une famille désunie. Cela m’a pris plusieurs années avant d’avoir le courage d’entamer des recherches pour retrouver mon père. Quelques années de cela, j’ai pu le retrouver. D’un seul coup, tous les sentiments que j’avais refoulés ont refait surface », explique-t-elle.
Lorsque la douleur, le manque ou le sentiment d’injustice sont trop importants, il est souvent conseillé de se faire aider par un psychologue. Une affirmation qu’atteste Gilberte. « Je faisais face à une situation très difficile. Je n’avais guère d’autre choix que de chercher de l’aide. Je croyais que j’avais au fil des années, surmonté l’absence de mon père dans ma vie. Tel n’a jamais été le cas. »
Sapna Jaggeshar-Mudhoo, psychologue de la santé : «L’absence d’un père est le moteur de nos problèmes sociaux»
Grandir sans père ou avoir un père absent, quelle est la différence ?
L’absence du père est un terme utilisé pour indiquer qu’un enfant a vécu une partie ou la totalité de son enfance dans une maison sans son père biologique. Cela est souvent dû au fait que les parents de l’enfant se sont séparés ou qu’ils n’ont jamais vécu ensemble. Cela ne s’applique généralement pas aux enfants dont le père est décédé. Il s’agit d’un type d’événement psychologique très différent. Cela ne signifie pas non plus que les enfants n’ont aucun contact avec leur père ou qu’ils n’entretenaient pas de bonnes relations avec leur père. Vous pouvez voir votre père très régulièrement et vous entendre vraiment très bien, mais il peut toujours être qualifié de « père absent », en raison de certaines conditions de vie.
L’absence de père est la tendance démographique la plus préjudiciable de cette génération. C’est la principale cause de déclin du bien-être des enfants et des adultes dans notre société. C’est aussi le moteur de nos problèmes sociaux les plus urgents.
Quel est l’impact psychologique d’une telle absence ?
L’impact psychologique de l’absence d’un père dans le développement d’un enfant est multiple et varié. Certains enfants parviennent à surmonter cette absence, alors que d’autres font face à de nombreuses difficultés. Les points suivants sont les plus souvent notés :
- Une diminution de la confiance en soi et une atteinte à la sécurité physique et émotionnelle ;
- Des problèmes de comportement. Ils sont plus susceptibles d’avoir des problèmes à nouer des relations sociales. Certains se cachent derrière une forte personnalité dans le but de dissimuler leurs peurs, ressentiments ou angoisses ;
- Une faible performance scolaire ;
- La délinquance juvénile et la criminalité chez les jeunes, y compris les crimes violents ;
- Une grossesse précoce et une vision déformée de la sexualité. Le sexe opposé est souvent considéré comme un objet de plaisir. Certains ont des difficultés à nouer des relations amoureuses stables et durables ;
- L’abus de drogue et d’alcool comme exutoire des frustrations ;
- Plus susceptibles d’être agressifs, déprimés et d’avoir des idées suicidaires.
Comment s’en sortir ? Y a-t-il des solutions ?
De nombreux spécialistes ont insisté sur la nécessité pour les pères de disposer de moyens rapides pour faire respecter le délai de garde fixé par le tribunal en cas de divorce. Bien que l’application des droits de visite soit importante, légiférer en faveur du partage des responsabilités parentales serait une mesure plus efficace pour assurer la participation active et continue des deux parents à la vie de leurs enfants.
Une présomption légale de partage des responsabilités parentales affirmerait le rôle primordial des deux parents. Elle indiquerait clairement que, même en l’absence de relations conjugales, les responsabilités parentales des mères et des pères vis-à-vis des besoins de leurs enfants sont « sacrées » et méritent d’être pleinement assumées.
Dans la plupart des cas, un soutien psychologique devrait être fourni à l’enfant, de sorte que celui-ci puisse apprendre les stratégies d’adaptation afin de diminuer son anxiété. L’explosion de colère pourrait également être évitée grâce à la gestion de la colère.
Darmen Appadoo de SOS Papa : «Les pères ne sont pas tous des agresseurs»
S’il est vrai que certains pères sont absents de la vie de leurs enfants par choix, d’autres se retrouvent dans des situations compliquées lors d’un divorce. Ils luttent pour obtenir la garde des enfants. C’est ce que nous explique Darmen Appadoo, président de l’association SOS Papa. « À Maurice, lors d’un divorce, il est très compliqué pour le père d’obtenir la garde des enfants. Les lois en vigueur dans le pays peuvent dans certains cas éloigner les pères de leurs enfants. Cela peut avoir un impact considérable sur ces derniers », souligne-t-il. Il précise qu’il « ne faut pas généraliser. Les pères ne sont pas tous des agresseurs. Certains font de grands efforts pour être présents dans la vie de leurs enfants ».
Certains pères font face à des difficultés, mais ne baissent pas les bras devant l’adversité. Ils continuent de lutter pour leurs droits. « Le but de notre association est d’aider ces pères à recoller les morceaux avec leurs enfants. Nous incitons également les autorités concernées à revoir les lois. Que chaque dossier soit traité avec une attention particulière, sans être généralisé ».
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