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Réseaux sociaux : quid de la vie privée

Réseaux sociaux

Les réseaux sociaux violent-ils la vie privée ? Des photos, voire des clips d’une bagarre, d’un cadavre, d’un accident de la route ou même d’une affaire sordide sont légion sur les réseaux sociaux. Parfois, cela peut causer du tort aux personnes impliquées. Que faire ?

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« C’est une société Chacun pour soi. On ne soucie pas vraiment si l’autre est en danger. On ne fait que penser à ses gains personnels »

Un accident de la route vient de survenir. Deux blessés graves sont à déplorer. Et ils sont coincés dans le véhicule accidenté. Le premier réflexe d’un badaud est de retirer son smartphone pour faire des photos, afin de les poster sur Facebook.

Ne devrait-il pas mander une ambulance ou même porter assistance aux personnes en danger ? Sommes-nous devenus une nation de voyeurs ?

Il y a un mois, une bagarre d’une violence inouïe a éclaté entre des jeunes en pleine rue, à Gros-Cailloux. Des badauds se contentèrent d’être spectateurs au lieu d’intervenir et l’un d’eux filma la scène montrant un homme qui rouait des coups un autre homme. Celui-ci, impuissant, s’est évanoui sur le trottoir.

Deux semaines plus tard, une autre altercation entre deux jeunes a fait fureur sur la Toile. Cette fois, c’est une jeune femme qui a assuré la mise en scène. « Pa koste kot produkter… Mo pou met sa lor Facebook », lance-t-elle à l’un de ses amis, alors qu’elle filmait les vifs échanges entre les deux protagonistes.

Tout récemment, la publication de photos sur la Toile du cadavre du nourrisson de trois mois qui a été tué par sa mère à Camp-Levieux a suscité l’indignation des internautes. Un acte qui pourrait être qualifié de voyeurisme malsain. « Odieux, inhumain ou horrible »... Ce sont les mots utilisés par certains internautes indignés.

« Respectez un peu, bon sang », dit Priscilla L. Elle dit trouver cela très indécent. « Pourquoi faire du sensationnalisme avec des photos ? » demande-t-elle.

Fâcheuse tendance

Devenons-nous une société de voyeurs ? Pis, immortaliser le malheur des autres semble se faire sans état d’âme. Selon la sociologue Zuheira Ameer, les valeurs morales semblent s’estomper depuis quelque temps. Il existe plusieurs facteurs qui expliqueraient cette fâcheuse tendance.

« La personne est heureuse, quand les internautes parlent d’elle ou commentent sur ce qu’elle a posté sur les réseaux sociaux. Quand elle a une audience, cela la pousse à agir, même si ce n’est pas éthique. Certains internautes le font pour avoir des likes ou des shares. Cela intéresse de plus en plus de jeunes, car ils sont des digital natives et, pour eux, cela fonctionne ainsi. Ils ne sont pas au courant des lois. Ils ne savent même pas qu’ils n’ont pas le droit de prendre une personne en photo et de la diffuser sans sa permission. »

Cependant, la sociologue soutient qu’il ne faut pas généraliser, car il existe encore des citoyens qui rapportent les cas. Pour eux, la priorité est de sauver la vie d’autrui.

Par ailleurs, notre interlocutrice précise que le matérialisme et l’individualisme prennent le dessus. « C’est une société Chacun pour soi. On ne soucie pas vraiment si l’autre est en danger. On ne fait que penser à ses gains personnels. Auparavant, la mentalité était différente. On faisait tout pour aider son prochain. Maintenant, si on ne connait pas la personne, on ne juge pas nécessaire de lui porter assistance. »

Selon Zuheira Ameer, la situation est alarmante, car l’éducation morale n’existe pas vraiment dans notre système. « Quel rôle pour les parents dans tout ça ? On se demande si les parents inculquent les valeurs morales à leurs enfants. Les parents doivent leur montrer le sens du partage et non pas de profiter de la misère des autres. » Et d’ajouter qu’il est grand temps d’éduquer le public à ce sujet.

En chiffres
En 2015, six cas de non-assistance à personne en danger ont été rapportés aux postes de police à travers l’île. Deux en 2016 et cinq en 2017, révèle le responsable de la cellule de communication de la police.

Comment réagirez-vous si vous êtes témoin d’un accident ?

Niraj Somai, 31 ans
« S’il s’agit d’un accident, je vais tout de suite faire une photo et appeler la police pour le signaler. Si c’est grave, je vais appeler le Samu avant. Je ne pourrai pas aider la victime, car je ne connais rien en premiers secours. Il existe des gens qui n’acceptent pas l’aide des autres et je pense que c’est pour cette raison que les gens appellent la police ou postent les photos et les vidéos sur les réseaux sociaux. La mentalité des gens a changé et au lieu d’accepter l’aide d’une personne, ils deviennent violents. C’est mieux que la police fasse son travail dans de telles situations. »

Shirley Duval, 29 ans
« Je viens de passer par ça. La première chose que j’ai faite, c’est d’appeler une ambulance pour que la victime reçoive les premiers soins. C’est définitivement la chose à faire, surtout si c’est la vie de la personne qui est en jeu. Je déplore l’attitude des personnes qui ne font rien. C’est vraiment lâche de se concentrer uniquement sur l’envoi de photos. La tendance est de faire des vidéos et de les poster sur sa page Facebook et de commenter sur l’incident. On ne fait que penser à sa petite personne et à son moment de gloire. Je vais toujours penser à la sécurité de la personne avant de penser aux photos, entre autres. »

Mira Biwa, 37 ans
« Je pense que les gens font cela pour informer les autres qu’il y a eu un quelconque accident dans un endroit précis. C’est plus un partage d’information que de la publicité sur sa page Facebook. Je l’ai déjà fait plusieurs fois et je continuerai à le faire. J’aime aussi lancer un débat sur ce que je poste. Je ne crois pas que je vais descendre de mon véhicule pour aider, car c’est peut-être dangereux. Dans la plupart des cas, je ne sais pas quoi faire. Je laisse la presse et les autorités faire leur travail, car ils sont plus qualifiés pour s’en occuper ».

Aadil Ally Jhumka
« On est désormais à l’ère des nouvelles technologies. Les gens, surtout les jeunes, n’arrivent pas à distinguer le bien du mal. Étant propriétaire de smartphones, on a tendance à immortaliser les événements qui se déroulent autour de nous avant de les poster sur les réseaux sociaux, afin d’avoir plusieurs likes et views », fait remarquer Aadil Ally Jhumka. Selon lui, les gens se prennent pour des « journalistes privés ». « En cas d’urgence, il faut porter assistance à la personne en danger. On peut même essayer de sauver la vie d’une personne. Au lieu de se servir du smartphone, il faut téléphoner aux urgences, à la police et aux services ambulanciers », poursuit-il.

Que dit la loi

Dans l’Ouest : une violente bagarre entre jeunes filmée et diffusée sur Facebook.

Avec l’avènement de la technologie, presque tout le monde a un portable équipé d’une caméra. Et avec la mise en ligne des vidéos, comme le site YouTube, la tendance de filmer, pour ensuite mettre en ligne, s’est accentuée. Selon Me Germain Wong, de nombreux Mauriciens ne sont pas informés des conséquences de cela. Par exemple, une personne qui ne se préoccupe que de filmer un accident au lieu de porter assistance, commet un délit.

« La Section 39A(2) du Code criminel prévoit que quiconque qui s’abstient volontairement de porter, à une personne en péril, l’assistance qu’il pouvait lui apporter, sans risque pour lui ni pour les tiers, commet un délit passible d’une amende n’excédant pas Rs 10 000 et d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans. » Alors qu’une personne qui a été filmée ou prise en photo peut entrer une injonction devant un juge en chambre pour interdire que la photo ou le film ne soit distribué ou partagé.

La personne peut aussi entrer une action en cour pour atteinte à la vie privée. Elle peut ainsi réclamer des dommages pour le préjudice subi. C’est ce qu’explique l’avocat. « Si le film ou la photo a été distribuée/affichée en ligne, la personne peut porter plainte à la police. Ce sera alors un délit sous la Section 46 de l’Information and Communication Technologies Act 2001. Toute personne jugée coupable risque alors une amende maximale de Rs 1 million et une peine de prison ne dépassant pas cinq ans. »

Floride : des adolescents filment et se moquent d’un homme autrement capable qui se noie

Aux États-Unis, le 9 juillet, un groupe d’adolescents enregistre la noyade d’un homme handicapé sans l’aider et en se moquant de lui pendant qu’il lutte. Un article paru dans le Fox News USA parle d’Amel Dunn, 32 ans, de Cocoa, qui s’est noyé dans un bassin de rétention. Son cadavre a été retrouvé le 14 juillet, deux jours après que sa fiancée ait signalé sa disparition. À la fin de la semaine dernière, un ami de la famille de Dunn a vu la vidéo sur les réseaux sociaux et l’a transmise aux autorités.

Les enquêteurs indiquent qu’aucun des adolescents, âgés de 14 à 16 ans, n’a appelé le 911 pour signaler la noyade de Dunn ou n’a essayé d’aider l’homme. Le bureau du procureur de l’État du comté de Brevard a qualifié la vidéo de « tragédie » et a déclaré que les adolescents n’avaient « aucune justification morale » pour n’avoir pas tenté d’aider Dunn.

Les dangers

Prendre des photos ou des vidéos lors d’un incident, d’une bagarre ou d’un accident de la route peut mettre une vie en danger. « On a noté plusieurs cas d’accidents à la suite d’un premier accident. Cela parce que certaines personnes s’étaient arrêtées pour prendre des clichés du premier accident », dit le responsable de communication de la police.

Il indique qu’un motocycliste a été salement amoché par un groupe d’individus, à Phœnix, il y a quelques mois. « Le motocycliste en question a voulu faire une vidéo d’une bagarre qui avait éclaté dans un groupe de jeunes. Le groupe s’en est pris au motocycliste et son téléphone cellulaire a été détruit », nous raconte-t-il.

Du côté de la police, une campagne présidée par la Crime Prevention Unit (CPU) a déjà débuté pour sensibiliser les gens, afin qu’ils viennent en aide à une personne en danger. « Il y a des campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires et les associations, entre autres », souligne l’officier.

Vers qui se tourner

Si vous êtes témoin d’un accident de la route, d’un incident, d’une noyade et d’une bagarre, soyez le premier à informer les autorités sur la hotline de la police, soit le 999 ou le 148. Si besoin est, vous pouvez porter secours à la personne en danger, en attendant l’arrivée de la police.

Breach of ICTA

La publication de photos, voire de vidéos, sur les réseaux sociaux à l’insu de la personne concernée est un délit. « Les gens aiment créer du sensationnalisme en postant des photos et des vidéos sur la Toile pour se faire de la publicité. Mais ils sont loin de se douter que ce simple petit geste leur coûtera très cher. La personne dont la photo a été publiée peut poursuivre le photographe au civil en l’accusant de Breach of ICTA », explique l’officier. Il suffit de porter plainte à la Cybercrime Unit, aux Casernes centrales.

 

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