Leur histoire a tenu en haleine les Mauriciens. En mars 2002, l’embarcation à bord de laquelle se trouvent Francis Allas et Nasser Lallmamode connaît des ennuis mécaniques. Les deux pêcheurs sont à la merci des courants et vents marins. Après 20 jours de dérive, ils sont sauvés au large de Madagascar. Nasser Lallmamode revient sur ce tragique événement.
Sur son canapé, Nasser Lallmamode, qui rentre d’une campagne de pêche, nous montre les coupures de presse de l’époque, qu’il a précieusement conservées. Ces bouts de papiers lui rappellent l’angoisse et le désespoir, entre autres tourments, qu’il a vécus avec Francis Allas, son compagnon d’infortune. Le drame que vivent quatre familles de Pointe-aux-Piments ravive des souvenirs douloureux. Il pense aux quatre pêcheurs du Coruscan, disparus depuis bientôt six jours. « Je prie pour eux... »
Nasser plonge dans ses souvenirs. « Quand le moteur nous a lâchés, Francis et moi, nous nous sommes dit que nous allions garder le moral. Mais des jours et des nuits, seuls dans une barque au gré des caprices du temps, ça vous détruit », dit-il. Lorsque certains détails lui échappent, il consulte ses 24 pages de notes, qu’il a écrites sur le La Grandière, le navire de guerre français qui les a secourus à 90 miles nautiques des côtes malgaches.
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Le Coruscan est un bateau en fibre de verre construit en 2007. Il est équipé d’un moteur Mitsubishi de 70 chevaux. À Pointe-aux-Piments, où habitent les quatre hommes, c’est la désolation.
Certains pêcheurs pensent qu’un accident s’est produit en haute mer. « Si le bateau était près de l’île Ronde alors, on l’aurait aperçu. Les recherches dans ces environs n’ont rien donné. Ils ont peut-être eu un accident. Il faut continuer les recherches. Il ne faut pas les abandonner », affirment-ils.
Un oubli
C’est le mardi 26 mars 2002 que Nasser Lallmamode (31 ans) et Francis Allas (53 ans), deux voisins, prennent place à bord du Golden Boy. Ce pêcheur d’expérience a rechargé la batterie de son téléphone mobile... qu’il oublie chez lui. À environ 8 miles nautiques (14 km) au large de Baie-du-Tombeau, Nasser et Francis constatent que les poissons ne mordent pas. Découragés, ils remettent le cap sur la côte. « Enn sak la farinn inn may dan lelis bato. Nu finn tarde kan noun tir li ». Ils reprennent leur route, mais 15 minutes plus tard, alors qu’ils sont à environ deux miles nautiques de nos côtes, le bateau ne répond plus. Nasser et Francis décident de pagayer. « Notre embarcation était comme un fétu de paille sur cette mer démontée. Nous avons attendu l’accalmie », dit le pêcheur. Le lendemain, ils constatent qu’ils se sont éloignés des côtes. « Nous étions à environ 15 miles nautiques (25 km). Nous savions que nos proches, ne nous voyant pas rentrer, allaient donner l’alerte. Nous étions persuadés que les secours n’allaient pas tarder », raconte le rescapé du Golden Boy. Manque de bol, un bateau de la National Coast Guard passe loin d’eux. « Nous l’avons vu, mais pas lui. Trois ou quatre jours plus tard, le Dornier aussi est passé sans nous voir », dit-il.La nausée
30 mars. La faim et la soif tenaillent les deux hommes. « Nous avons tranché un thon pêché le premier jour et nous l’avons mis à sécher. La première bouchée m’a donné la nausée et la deuxième m’a fait vomir, mais il fallait manger. Dans la soirée, il a plu et nous avons pu collecter un peu d’eau », raconte-t-il. 4 avril. Le stock d’eau douce est épuisé. « Cela faisait 10 jours que nous dérivions. Nous avions tout bu. Nous n’avions d’autre choix que de boire de l’eau de mer », relate Nasser. Les nuits passent et se ressemblent. La solidarité, mais aussi les larmes et les prières sont de mise. Au 19e jour, Nasser Lallmamode n’y croit plus, surtout que « Francis était au plus mal ». Dimanche 14 avril. Au bout de 20 jours, la délivrance ! « Vers 15 h 45, je suis allé uriner. Francis dormait. C’est là que j’ai vu un navire à environ 4 miles nautiques de nous. Venait-il vers nous ? Une demi-heure plus tard, il était devant nous. J’ai réveillé Francis. Nou finn pran enn parasol ble-blan-ruz, nou finn dessir so lavwal ki noun atas ek enn laram pu fer sinyal detres », raconte le rescapé. Le navire, c’est le La Grandière. À bord, ils ont appris qu’ils étaient à 90 miles nautiques de Madagascar. Sur le bateau, Nasser écrira les moments forts de ce naufrage sur 24 pages. « Ce 14 avril est symbolique. Le Titanic a sombré à cette date en 1912 et Francis et moi, nous avons été sauvés d’une mort certaine. » Il a pu regagner le toit familial en avril 2002, après avoir transité par La Réunion. Francis Allas, lui, a dû être hospitalisé à l’île Sœur en raison d’un ulcère. Capitaine d’un bateau de pêche aujourd’hui, Nasser ne jure que par la mer qui l’a rendu plus fort. « Si zordi mo kapitenn enn gro bato lapes, pa pou nanye sa », affirme-t-il. Nasser et Francis sont toujours amis et voisins...Le Coruscan: un nom maudit ?
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C’est la deuxième fois en trois ans qu’un bateau, portant le nom Le Coruscan, chavire au large de l’île Ronde. Les deux embarcations appartiennent à Reebouraden Permall. Le premier naufrage remonte à juin 2012. Superstition ou pas, les pêcheurs de la région parlent de malédiction.
Vendredi 22 juin 2012. Reebouraden Permall, le patron de cette flotte de bateaux de pêche, informe la garde côtière nationale (NCG) que Le Coruscan 1, avec à son bord Chamdick Boodhonee, Raj Kalkaproshand et Gabriel Marc Guy, manque à l’appel.
Avec ses hommes, le patron enclenche les recherches. Ils retrouveront Gabriel Marc Guy, qui s’est accroché à sa pirogue pendant plus de 15 heures dans l’eau froide. Ses deux compagnons ne seront jamais retrouvés.
Trois ans après, le sort s’acharne à nouveau sur un bateau de Reebouraden Permall. Noé Clovis Furcy (76 ans), Satyanand Cheyetun (54 ans), Anand Auckhajee (54 ans) et Rajesh Panchoo (43 ans) ont pris la mer à bord du Coruscan, le 30 novembre, pour une partie de pêche aux alentours de l’île Ronde. Ils ne sont pas rentrés. Au débarcadère de Grand-Baie, les pêcheurs disent que la malédiction a une nouvelle fois frappé.
De douloureux souvenirs
Seul rescapé du naufrage du Coruscan 1, Gabriel Marc Guy n’a pas pour autant délaissé son métier de pêcheur. Aujourd’hui encore, il affronte cette mer qui a failli lui prendre la vie. Mais le pêcheur n’oublie pas ce qu’il a vécu un vendredi 22 juin, seul, agrippé des heures durant à sa pirogue dans l’eau froide. « Ce cauchemar, il me hantera tant que je vivrai. Lamer inn pran mo de kamarad. Monn pass pre ar lamor », dit-il. Radha, la veuve de Chamdick Boodhonee, ne s’est jamais remise de la disparition de son époux. « Nous avons beaucoup souffert. Mon fils est traumatisé. L’ex patron de mon époux n’est jamais venu nous rendre visite depuis la tragédie. Son fils, lui, est passé me voir une fois », dit-elle. Radha soutient aussi qu’elle n’a reçu aucune aide de l’État pour son fils. <Publicité
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