Malgré la frayeur et les séquelles qu’ils gardent de la perte d’un des leurs dans des circonstances tragiques, les Ramgoolam de Vallée-des-Prêtres ont remis leur boutique à neuf, en renforçant la sécurité. Le 13 juillet, des voleurs avaient agressé Shyam Krishna Ramgoolam (70 ans), qui est décédé par la suite.
Premier constat en arrivant à la rue Bernardin-de-Saint-Pierre, à Vallée-des-Prêtres. My Friend Store, la boutique dont Shyam Krishna Ramgoolam était jadis le gérant, a rouvert ses portes. Celle-ci a toutefois connu quelques modifications et non des moindres.
Comme pour une forteresse, des grilles ont été installées, de sorte que les clients ne puissent avoir accès à l’intérieur de la boutique. Des caméras de surveillance, braquées sur la boutique aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, ont été placées.
De l’autre côté de la grille, à l’intérieur de la boutique, la veuve de Shyam Krishna, Bindumutee Ramgoolam, assise seule sur un fauteuil, est pensive. Accroché à une étagère, juste au-dessus d’elle, le portrait de son époux, que tout le monde appelait affectueusement Bhai Sookdeo.
Nous sommes reçus par Nirula Ramgoolam, la fille du défunt. Pour accéder à l’intérieur de la maison, il faut franchir un portail, verrouillé à l’aide d’un cadenas. « Nou pran prekosion aster », souligne-t-elle. Vivant à l’étranger, la benjamine de Shyam Krishna est arrivée à Maurice en quatrième vitesse lorsqu’elle a appris la terrible nouvelle.
D’emblée, notre interlocutrice fait ressortir que la boutique est à nouveau opérationnelle depuis quelques semaines. « C’était devenu une nécessité », dit-elle. En effet, Nirula Ramgoolam indique que c’est sur l’avis d’un médecin qu’elle a entrepris les démarches pour que la boutique puisse rouvrir ses portes.
« Mo pa ti ena kouraz »
Quelques instants après, elle est rejointe par sa mère Bindumutee. La sexagénaire indique qu’elle ne s’imaginait pas qu’elle allait rouvrir la boutique dans laquelle elle avait été témoin de l’agression de son époux et de son fils par des voleurs.
« Au début, j’avais complètement baissé les bras. Mo pa ti ena kouraz. Je ne voulais pas rouvrir la boutique. Cependant, le fait de rester à la maison me stressait. Le soir, j’arrivais difficilement à fermer les yeux. Des fois, je me réveillais en sursaut durant la nuit. Mo kriye voler, voler. Ou alors, je me mettais à pleurer », confie Bindumutee Ramgoolam.
Une autre raison qui a motivé la réouverture de la boutique : Shyam Krishna, ancien inspecteur des travaux au conseil de district de Rivière-du-Rempart, y tenait énormément. « Il ne voulait pas rester sans rien faire. Mon époux voyait donc dans l’opération de la boutique un moyen de se distraire, de faire passer le temps, surtout après sa retraite. Dans l’après-midi, il fermait la boutique et allait dans le centre de Port-Louis pour s’approvisionner », raconte-t-elle.
Quant à Nirula, elle soutient que cette boutique, qui existe depuis environ 25 ans, représentait le rêve de son père. « Il nous avait demandé d’y travailler aussi longtemps que nous pourrions », souligne-t-elle.
Même si My Friend Store a rouvert ses portes, Bindumutee Ramgoolam indique qu’elle ne travaille plus comme avant. « Le matin, j’ouvre à 6 heures. Je prépare des gâteaux piment. Mo pran impe dipin ek lagazet. Vers 11 heures, je baisse les rideaux, et ce jusqu’à 16 heures, afin de pouvoir me consacrer aux tâches ménagères : la cuisson, etc. Ensuite, j’ouvre à nouveau jusqu’à 18 heures - 19 heures », explique-t-elle.
Et avec les travaux entrepris par sa fille, Bindumutee se dit plus rassurée. « Les clients n’ont plus accès dans notre cour, comme c’était le cas dans le passé. D’ailleurs, un des agresseurs s’était assis dans la cour, après avoir acheté une bouteille de boisson gazeuse. Nous étions loin d’imaginer qu’il était, en fait, en train d’épier nos mouvements », se remémore la sexagénaire.
Témoin de l’agression
Elle a été témoin de l’agression de son mari et de son fils et revient péniblement sur ce 13 juillet où la vie de toute une famille a basculé. « Lorsque j’ai vu mon époux et mon fils se faire agresser, j’ai couru vers l’arrière de la maison et je me suis mise à crier. C’est à ce moment-là que les malfaiteurs ont pris la fuite », relate-t-elle, le cœur gros.
Arvinsing Ramgoolam, le « miraculé » comme l’appellent des habitants de la région, n’est toutefois pas complètement sorti d’affaire. Ayant reçu plusieurs coups à la tête et subi plusieurs interventions, la vie du quadragénaire est ponctuée de visites à l’hôpital. Bindumutee Ramgoolam soutient que son fils est toujours hanté par la frayeur.
« Le soir, il ne veut pas rester seul dans sa chambre. Li pa kapav tini tapaz. Kouma li tann enn ti kriye ou dimoun pe koz for, so figir sanze. Du fait qu’il a été victime de cette agression, c’est difficile pour lui d’oublier », dit-elle. Nirula ajoute que son frère éprouve des difficultés, notamment au niveau de la mémoire, de la vision et de certains de ses sens.
Arvinsing Ramgoolam, avant son agression, travaillait comme vigile et faisait des travaux d’entretien. Selon Bindumutee, son fils était choyé par Shyam Krishna. « Li pou dir : Pa, get sa pou mwa. Pa, amen tel zafer... Tou zafer papa la ti fer pou li. Le fait d’avoir perdu son père lors de cette agression est tragique », souligne Bindumutee.
Traumatisme
Nirula Ramgoolam est très attristée par la situation de sa mère et de son frère. « Ce n’est pas facile à vivre au quotidien. Cette agression est encore fraîche dans notre tête. Non seulement c’est quelque chose que nous ne pouvons pas oublier, mais c’est aussi difficile à surmonter, car nous avons perdu le pilier de la famille », fait-elle ressortir.
Nirula soutient que sa mère puise son courage de ses enfants. « Elle semble n’avoir plus goût à la vie, ne se fait plus plaisir. J’aurais donné une partie de moi-même, ne serait-ce que pour qu’elle aille mieux. Faute de pouvoir le faire, je lui fais la conversation. Toulezour mo koz ek li. Ma mère est une femme très courageuse. Bondie donn li kouraz », avance-t-elle.
En ce qui concerne son frère, Nirula estime que celui-ci gardera des séquelles de cette agression toute sa vie. Pour elle, les nombreuses visites à l’hôpital ne sont pas pour l’aider. « Il doit malheureusement souvent revenir sur cet épisode pénible de sa vie. Or, j’estime que nous n’aurions pas dû lui faire revivre cela presque à chaque fois qu’il se rend dans un centre de santé. Et que dire des dossiers qui s’égarent », déplore-t-elle.
L’insécurité règne toujours
Trois mois après le meurtre de Shyam Ramgoolam, l’insécurité règnerait toujours dans la région de Vallée-des-Prêtres. C’est du moins ce qu’indique Mahadeven Ghengadoo, président du Groupement social Carreau Lalo et Vallée-des-Prêtres.
« Pas plus tard que cette semaine, plusieurs commerces de la région ont fait les frais d’une arnaqueuse, qui était accompagnée d’un complice dans une voiture. La semaine dernière, une habitante a aperçu trois personnes en train d’escalader son mur à 2 heures. Il y a eu ensuite deux hommes, munis d’une tronçonneuse qui se faisaient passer pour des bucherons en quête d’arbres à défraîchir ou à abattre, mais qui ont tenté de pénétrer dans une maison, après avoir brisé les vitres d’une fenêtre », explique celui que les habitants prénomment affectueusement Amba.
Celui-ci concède toutefois que la présence policière dans la région a été rehaussée depuis le drame survenu chez les Ramgoolam. « Il y a un véhicule en permanence durant la journée à la croisée donnant sur Résidences-La Cure. Sans compter une patrouille régulière des véhicules de la police. Il y avait aussi, à un moment donné, des opérations de contrôle des véhicules le soir », indique-t-il. Ce directeur d’une compagnie de transport a, lui-même, été agressé devant sa porte, le 11 mai, au « coup de poing américain » et s’est fait délester de son nouveau téléphone portable. D’où sa requête pour que l’aménagement d’un poste de police à Vallée-des-Prêtres, comme annoncé par le Premier ministre, puisse se concrétiser rapidement.
Par ailleurs, Amba annonce la tenue prochaine d’une fête dans le cadre de la célébration de Divali. « Ce sera une fête lors de laquelle toutes les composantes de la société seront conviées. Ce sera surtout l’occasion de réunir les habitants de Vallée-des-Prêtres. Nous avons déjà obtenu le feu vert des autorités et nous avons aussi le soutien des élus de la région », fait-il ressortir.
Soutien indéfectible des proches
Voisins, proches et amis viennent régulièrement rendre visite aux Ramgoolam depuis l’incident. « Nous avons le soutien de beaucoup de personnes. Il y a ceux qui habitent la région, notamment les voisins. Ces derniers viennent régulièrement prendre de nos nouvelles et nous adresser quelques mots de soutien. D’autres le font lorsqu’ils viennent faire leurs emplettes à la boutique. Sans compter la participation de nombreux commerçants de la région », relate Nirula. Même le Premier ministre Pravind Jugnauth leur a rendu visite. « Il nous a, entre autres, parlé du projet Safe City, de l’installation de caméras de surveillance pour combattre l’insécurité et de l’ouverture d’un poste de police », fait observer Nirula Ramgoolam.
Triste anniversaire
Le mois d’octobre est d’habitude très symbolique et festif pour la famille Ramgoolam, car trois des quatre membres de cette famille célèbrent leur anniversaire. D’abord, celui d’Arvinsing, le fils, dont l’anniversaire était le lundi 8 octobre. Le mardi 9 octobre, Shyam Krishna Ramgoolam aurait soufflé ses 71 bougies, alors que son épouse, Bindumutee, fêtera ses 65 ans le 29 octobre. « Quant à ma fille Nirula, elle est née un 17 septembre. Le mois dernier, elle était en larmes le jour de son anniversaire, car son père avait l’habitude de l’appeler chaque année pour lui souhaiter un joyeux anniversaire » , déclare tristement Bindumutee Ramgoolam.
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