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Relations de couple : face au deuil d’un enfant

La mort d’un enfant plonge dans le non-sens. C’est une épreuve terrible pour les parents qui vivent ce drame comme une amputation. Mais cela signe-t-elle nécessairement, comme on l’entend souvent, la mort du couple ? Certains s’en sont sortis, d’autres témoignent que cette perte les a même rapprochés.

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Antoine C., 47 ans : « Mon couple est mort avec notre fils »

«Nous n’avons pas réussi à sauver notre couple après la mort de notre fils. » Antoine C. a perdu son fils, il y a 12 ans. Dans la même année, il a vécu une séparation douloureuse avec son épouse, Seeya. Il revient sur les circonstances qui entourent ces drames. « Nous étions à la maison et il y a eu un début d’incendie dans la cuisine. Mon premier réflexe a été de demander à tout le monde de sortir et j’ai essayé d’éteindre le feu. Quand je suis allé derrière la maison, mon épouse a cru que j’étais à l’intérieur et que j’allais récupérer notre fils de trois ans qui dormait. Quant à moi, je pensais qu’elle s’en occupait. »

Ce malentendu a coûté la vie au petit Jay. « Quand nous avons compris que personne n’était allé sauver Jay, il y a eu une violente dispute. Au fond, nous savions déjà ce qui s’était passé, mais personne ne voulait se sentir en faute. »

Cette double culpabilité a brisé le couple d’Antoine et de Seeya jusqu’à les pousser au divorce.

« Deux ou trois mois après la disparition de Jay, je n’étais plus le même, je ne pleurais pas, mais je n’avais goût à rien. Puis, j’ai commencé à sombrer dans l’alcool. Je ne pouvais plus supporter Seeya qui, contrairement à moi, parlait sans cesse du drame qui nous avait frappés. Je ne pouvais plus l’entendre.»

Même les relations sexuelles étaient pénibles. « Nous nous sentions coupables d’avoir des rapports alors que nous avions perdu notre enfant et nous avons donc évité tout rapprochement…»

Ce qui devait arriver arriva. Ils se séparèrent. Avec le recul, Antoine regrette de n’avoir pu sauver son couple. « Avec le temps, je me dis que nous avions des besoins différents face à ce deuil. Notre couple était déjà fragile par rapport à des problèmes financiers mais j’avoue que je n’y ai pas pensé. Je me sentais trop mal. Aujourd’hui, Seeya a refait sa vie et moi, je me réfugie dans le travail. »

N. Armugum, 37 ans : « Nous avons surmonté le décès de notre fille »

«Dans l’année qui a suivi la mort de notre fille, mon mari et moi n’avions jamais été autant unis. » Il y a trois ans que N. Armugum, 37 ans, a perdu leur fille de six ans atteinte d’une maladie métabolique rare. La petite a rendu l’âme à l’hôpital. « Quand nous avons reçu la nouvelle, mon esprit refusait de comprendre, mon cerveau a vrillé de douleur et je sentais que mon cœur allait s’arracher », confie-t-elle péniblement. La douleur de son mari était aussi flagrante. « Mon époux m’a prise dans ses bras en sanglotant et sous ma tête, je sentais son torse qui se gonflait comme s’il allait exploser. »

Après quelque temps, un malaise s’installe dans le couple. « J’avais des douleurs en permanence voire, insurmontables. Je me demandais si je pouvais encore exister. Une mère met un enfant au monde pour qu’il vive. Sa mort est contre-nature ! Pour mon mari, c’était différent. Il était beaucoup plus calme.

C’est comme s’il avait accepté la disparition de notre fille. Il était de moins en moins présent et des tabous se sont installés. On ne parlait plus des rentrées scolaires, de Noël, des anniversaires, des amis... alors que je ressentais, moi, le besoin de faire revivre ma fille par les choses qu’on faisait ensemble », dit l’épouse.

C’est l’incompréhension pour cette mère endeuillée. « Un jour, je me suis mise en colère et j’ai commencé à tout lui reprocher : la mort de notre fille, son comportement, etc. Il a d’abord hurlé avant de laisser couler ses larmes. J’ai tout de suite compris qu’il cachait sa douleur, qu’il lui était impossible de la partager mais qu’elle était aussi immense que le mienne », poursuit cette maman.

N. Armugum conseille aux couples qui sont passés par cette rude épreuve de s’accrocher l’un à l’autre et, surtout, de communiquer. « Après cette dispute, nous nous sommes vivement rapprochés. Sans cela et l’un sans l’autre, je pense que nous n’aurions pas survécu à ce deuil »,  conclut-elle

Sœur Sylviane Françoise, Formatrice à Institut Cardinal Jean-Margéot : « Chacun a sa façon de gérer la douleur »

Depuis quelques années, Sœur Sylviane Françoise accompagne les couples et les familles endeuillées. En tant qu’accompagnatrice, elle explique comment elle aide les personnes en souffrance à s’exprimer.

« Après la perte d’un être cher, la douleur est si cruelle qu’on se sent perdu et on perd ses repères. J’aide les personnes en deuil à mettre des mots sur leur souffrance et à reprendre confiance en elles et dans la vie. C’est un cheminement qui demande de la compassion, de la délicatesse et beaucoup de respect. »

Sœur Sylviane raconte son cheminement avec les parents après la perte d’un enfant. « Dans un premier temps, j’écoute la mère séparément et je lui donne le temps d’exprimer sa souffrance. Elle est souvent rongée par la culpabilité.

Elle pense qu’elle est indigne et qu’elle n’a pas été à la hauteur même si elle n’est pas directement liée aux circonstances du décès. Dans un deuxième temps, je vois le couple ensemble. Ce temps est important parce que souvent après le drame, les parents vivent un déséquilibre et ne savent plus comment parler de l’enfant décédé », dit-elle.

Sœur Sylviane aide aussi le couple à se situer dans le processus de deuil. Elle souligne que le deuil est vécu différemment par chacun et il arrive qu’un partenaire ne comprend pas la façon dont l’autre gère sa douleur. « Le couple a besoin de beaucoup de patience, d’amour et de persévérance dans ce cheminement et c’est normal que l’incompréhension s’installe dans le couple durant le processus de deuil d’un enfant. Le respect du rythme de chacun est crucial pour éviter de blesser l’autre dans sa vulnérabilité car cette démarche est aussi personnelle que complexe .»

Sœur Sylviane conseille au couple de toujours chercher l’aide d’un professionnel pour arriver éventuellement à se reconstruire personnellement et à retrouver son équilibre et celle de la famille surtout s’il y a d’autres enfants qui vivent le deuil d’un frère ou d’une sœur et qui demandent aussi l’attention des parents.

Sarah Gourel de St Pern : « Il n’y a pas de fatalité sur le devenir du couple »

La psychothérapeute, Imago Thérapeute Certifiée et membre de la Société des Professionnels en Psychologie, Sarah Gourel de St Pern, explique que lors de la mort d’un enfant, le couple peut perdre ses repères mais qu’il peut s’en sortir même dans les pires moments.

Le comportement de l’homme diffère-t-il de celui de la femme  face au deuil de leur enfant ?
Il y a une première phase, similaire pour tous, de choc et de déni où on sait que la personne est décédée alors qu’en même temps, une part de nous se refuse à l’accepter. Ensuite, il y a une phase de recherche dans l’absence où nous ressentons diverses émotions comme la colère et la culpabilité. Au fur et à mesure que le temps passe, on prend conscience que l’autre ne reviendra plus et ce vide amène parfois une certaine désorganisation. C’est une phase où la colère peut continuer à être présente et où une profonde tristesse peut s’installer. Finalement, il y a une phase de reconstruction où on redéfinit sa relation avec le défunt.

Dans ce même processus de deuil, on peut observer que les personnes font face à la perte et au deuil de manière différente. Certaines personnes (plus souvent les hommes) pensent qu’ils ne doivent pas pleurer, que c’est un signe de faiblesse alors qu’ils devraient plutôt se placer en tant que protecteur qui rassure. Certains hommes peuvent se réfugier dans le silence, la réflexion et une solitude qui laissent penser qu’ils n’ont pas besoin d’aide.

D’autres personnes (plus fréquemment les femmes, mais cela n’est pas toujours le cas) auront tendance à parler de ce qu’elles vivent et à trouver du soutien auprès de la famille et des amis. Elles vont confier leurs sentiments, mettre des mots sur leur souffrance, la douleur de l’absence. Elles se laisseront réconforter par ceux qui l’entourent.

Le deuil d’un enfant est souvent marqué par le poids de la culpabilité. Pourquoi ?
Le sentiment de culpabilité est présent dans le processus de deuil quel qu’il soit. Ce sentiment est très fort lors de la perte d’un enfant, car les parents peuvent se sentir responsables comme s’ils avaient commis une faute. Ils peuvent ressentir la culpabilité de ne pas avoir su protéger leur enfant. À la culpabilité se lie aussi souvent le sentiment de honte : « Quel genre de maman suis-je ? » « Je ne suis pas capable d’être papa » Il peut être très difficile de s’accepter à nouveau en tant que parent après la mort de son enfant.

Y a-t-il une fatalité sur le devenir du couple à la perte d’un enfant ?
Lors de la perte d’un enfant, le couple perd ses repères et la souffrance, tellement intense semble, risque de parasiter les liens familiaux. Étant donné que faire le deuil d’un enfant prend du temps, voire plusieurs années, ce processus peut devenir lourd à porter et à vivre au sein d’un couple. Parfois, le chagrin isole et en parler au sein du couple devient très douloureux, trop douloureux…  Ainsi, il est important de trouver de l’aide auprès d’un professionnel. Il est essentiel que le couple endeuillé puisse se parler de ce qui s’est passé, que chaque partenaire puisse dire ses sentiments (colère, culpabilité, détresse, tristesse, confusion et incompréhensions).

Dans cette épreuve délicate et douloureuse, il est possible ensemble d’y faire face. L’espérance trouve sa place dans le processus de deuil. En faisant le deuil de son enfant, le couple accepte que la vie sans cet enfant est différente et que la Vie ensemble continue à être possible malgré tout. De là, peut émerger une relation magnifique, forte, aimante et lumineuse. Il n’y a donc pas de fatalité sur le devenir du couple mais chaque couple va avancer dans sur ce chemin différemment.

 

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