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Réhabilitation au centre La Chrysalide : la métamorphose

Pour récolter des fonds, le centre La Chrysalide avait organisé, le samedi 11 mars, un Fun Run à Bambous, afin de célébrer en même temps la Journée des droits de la Femme. Nous avons, à cette occasion, rencontré Laura, 29 ans, une des résidentes du centre.

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Au centre Chrysalide de Bambous, malgré la chaleur que parvient à peine à atténuer une légère brise, quatre enfants en bas âge jouent. Ils écrivent sur les murs, font du tamtam avec des bouteilles, explorent le petit jardin qu’ils connaissent déjà par cœur, mais qu’ils semblent redécouvrir à chaque fois.

Pendant ce temps, assises sous la varangue, quatre jeunes femmes discutent. L’une d’elles, bras et jambes croisés, l’air sévère, arbore un sourire crispé. Elle s’appelle Laura et a 29 ans. Elle se lève, traverse la salle à manger en rentrant les épaules, comme si elle voulait se cacher, se faire toute petite, alors qu’elle n’est déjà pas bien grande. Elle baisse un peu la tête, le regard fuyant.

«Avan, mo pa ti koze, zame mo pa dir sa ki mo resanti. Je gardais tout au fond de moi. Je pense que c’est ce qui fait que j’ai eu tous ces problèmes»

Mais toute hésitation disparaît quand elle com-mence à parler de son expérience au centre. Elle répète à l’envi qu’elle a « appris beaucoup de choses », qu’elle « s’est découverte » elle-même, qu’elle a « beaucoup changé ». Elle s’enthousiasme et s’étonne quand elle se rend compte que cela ne fait que deux mois et demi qu’elle a débarqué à Chrysalide, où des femmes qui souffrent d’addiction – principalement à la drogue et à l’alcool – viennent séjourner dans l’espoir de s’en sortir.

Laura, son addiction, c’était l’alcool. Il lui a fallu un séjour à l’hôpital pour qu’elle ouvre les yeux et se dise que quelque chose n’allait pas, qu’elle avait besoin d’aide. Alors, elle a décidé de tenter l’expérience Chrysalide, d’abord parce qu’un oncle lui en a parlé, et ensuite parce qu’elle a rencontré Marlène Ladine, la directrice du centre.

Au départ, il était hors de question pour la jeune femme d’y rester en résidence permanente pendant trois mois pour suivre le programme de désintoxication et de réhabilitation. Comment aurait-elle pu laisser derrière elle son fils de trois ans ? D’ailleurs, le premier contact a été rude : à peine débarquée, Laura a décidé de rentrer chez elle. Mais sur le chemin du retour, en se voyant dans le miroir de la voiture, elle s’est souvenue de son objectif : « Monn vini pou fer enn zafer, mo bizin fer li. » Elle a donc encore une fois rebroussé chemin.
Les premiers jours à Bambous ont été durs. Tout était « négatif », il a fallu apprendre à vivre en communauté, s’adapter aux gens, apprendre les règles et surtout, les respecter – les règles et les gens. Il a aussi fallu assister aux séances de thérapie de groupe et individuelle, confier ses doutes et ses peurs à des inconnus… Bref, apprendre à faire confiance.

«J’ai peur que les gens ne se souviennent que de la personne que j’étais avant de venir au centre, qu’ils ne voient pas tout ce qui a changé»

« Monn bizin aprann eksprim mwa. Mo pa ti panse ki li ti pou koumsa », glisse Laura. Quand elle regarde le chemin qu’elle a parcouru en si peu de temps, qu’elle compare celle qu’elle était avant à la personne qu’elle est aujourd’hui, elle confie que le plus grand changement est, justement, cette capacité à s’exprimer. « Avan, mo pa ti koze, zame mo pa dir sa ki mo resanti. Je gardais tout au fond de moi. Je pense que c’est ce qui fait que j’ai eu tous ces problèmes », raconte-t-elle.

« Mo santi ena enn gran sanzman. Je suis beaucoup plus épanouie maintenant », lance la  jeune femme. Elle ajoute, sourire aux lèvres : « Si vous étiez venu me voir il y a deux mois, mo pa ti pou koz ar ou ditou. »

Laura arrive bientôt au bout du programme, qui dure trois mois. Mais elle sait qu’elle est encore vulnérable et elle compte donc prolonger son séjour. Et puis, elle a peur de sortir, d’affronter l’extérieur, le regard des autres, avoue-t-elle. Elle hésite, se mord les lèvres, joue un peu avec ses doigts, avant de préciser : « J’ai peur que les gens ne se souviennent que de la personne que j’étais avant de venir au centre, qu’ils ne voient pas tout ce qui a changé. » Qu’ils ne voient pas la jeune femme qui a su briser sa coquille pour voler de ses propres ailes.


Questions à…Annick Cotte, thérapeute : «Il y a un rajeunissement de celles qui viennent nous voir»

Cela fait dix ans que vous travaillez à Chrysalide. Comment la situation a-t-elle évolué ?
Du côté des choses positives, on a remarqué qu’on reçoit plus d’appels, ce qui ne veut pas dire qu’il y a plus de femmes qui ont besoin d’aide, mais surtout que notre travail, notre centre, est connu et reconnu. Et on reçoit des appels de femmes vivant à l’autre bout du pays. Donc, on commence à toucher une autre population. On a aussi beaucoup moins de repeaters, de rechutes. Mais il y a des choses négatives également. On a noté un rajeunissement de celles qui font appel à nous, surtout avec la drogue synthétique. On a récemment reçu une jeune femme de 17 ans et même une ado de 15 ans. C’est très inquiétant.

«Tout est organisé, structuré. On donne un cadre strict, mais nécessaire, et elles doivent s’y conformer»

Est-ce que vous assurez un suivi de vos anciennes résidentes qui ont achevé le programme ?
Avant, on assurait du mieux qu’on pouvait un suivi sur le terrain, mais par manque de personnel, on fait maintenant le suivi par téléphone. On appelle au moins trois anciennes résidentes par semaine. On appelle même celles qui ont abandonné le programme en cours de route, pour voir si elles voudraient revenir et réessayer. Elles ont toutes la possibilité de revenir ici. D’ailleurs, beaucoup d’anciennes pensionnaires reviennent pour un week-end, ou pour participer aux activités, aux séances de counselling, ou pour donner un coup de main.

Que fait le centre en plus de la désintoxication ?
La désintox n’est que la première partie du programme. On fait aussi de la thérapie profonde en face à face, de la thérapie de groupe, des activités comme la méditation, le tai-chi, la couture et le jardinage. Et on propose aussi des cours pour des choses du quotidien : manucure, pédicure, apprendre à faire la cuisine, à s’habiller, à gérer son budget, ses courses… Parce qu’une fois qu’elles seront parties, ce sera à elles de s’occuper de tout ça à la maison ! Tout est organisé, structuré. On donne un cadre strict, mais nécessaire, et elles doivent s’y conformer. Comme ça, quand elles seront à l’extérieur et qu’elles trouveront du travail, il faudra qu’elles puissent s’adapter au cadre et écouter le patron, au lieu de n’en faire qu’à leur tête. On ne fait pas que soigner l’addiction. On réhabilite et on prépare à la vie.

Pour la bonne cause

Environ 110 personnes ont répondu à l’appel de Chrysalide, le samedi 11 février. Le centre organisait un Fun Run pour récolter des fonds. à 8 heures du matin, les participants se sont élancés sur les sentiers bordant le réservoir de La Ferme, à Bambous, pour parcourir une douzaine de kilomètres.

Chrysalide, c’est quoi ?

La Chrysalide est un centre de réhabilitation accueillant les femmes toxicomanes ou alcooliques depuis 2004. Plus qu’un simple centre de désintoxication, il s’agit d’un lieu où on prépare la réinsertion des résidentes dans la vie sociale et professionnelle.

Des journées bien remplies entre tai-chi, poules et lessive

Les résidentes se partagent les différentes tâches ménagères.

La vie au centre est réglée comme du papier à musique. Les résidentes se répartissent les responsabilités : vaisselle, buanderie, cuisine… Elles partagent ensuite leur temps entre les séances avec le psychologue Geerish Teeruthroy et la thérapeute Annick Cotte, et les différentes activités qui leur sont proposées, comme le yoga, la méditation, le tai-chi et l’alphabétisation, des cours proposés par les employés du centre et des volontaires. Elles ne se font pas prier pour y participer. « Si nou pa ti fer sa isi, kot nou ti pou kapav fer sa ? » lance une des pensionnaires dans un éclat de rire. Du point de vue de ces dernières, les activités sont une échappatoire, un moyen de s’occuper l’esprit : « C’est un autre monde. Je me sens bien, parce que cela m’apaise », confie une jeune femme. Les résidentes doivent aussi s’occuper de la quarantaine de poules et des deux ruches que possède le centre, des activités d’autant plus importantes qu’elles permettent de récolter un peu d’argent grâce à la vente d’œufs et de miel.

 

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