Interview

Rajiv Servansingh, directeur de MindAfrica : «L’investissement du privé dans le foncier est devenu plus attractif et sans risques»

Rajiv Servansingh

Le directeur de la société MindAfrica voit des jours meilleurs se profiler pour 2019, après des années où le gouvernement a peiné à mettre en œuvre ses projets. Puisqu'en 2018 de gros chantiers se sont ouverts, l'année prochaine la croissance devrait s'approcher de 4 % à la faveur de ces investissements.

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Nous arrivons à la fin du mandat du présent gouvernement et malgré le fait que le taux de croissance a tourné autour de 3,8 % et 3,9 %, le pari, qui était celui de dépasser les 4 %, n’a pas été gagné. Il faut dire que les trois premières années du mandat gouvernemental ont surtout été marquées par une série de scandales qui n’étaient nullement favorables à un climat d’investissement pour le secteur privé.  Depuis deux ans, le gouvernement a mis en place de gros projets d’infrastructures publiques et il y a, à l’évidence, une relance de l’activité économique liée à ces projets. Le secteur de la construction et les activités annexes tels que le transport et la production de matériaux, sont en hausse. Le gros souci, cependant, demeure le fait que, selon les chiffres de Statistics Mauritius publiés la semaine dernière, il y a une stagnation de l’investissement du secteur privé. Lorsque c'est le cas, il est essentiellement dirigé vers le foncier, c’est-à-dire les projets IRS et résidentiels, destinés aux étrangers. Comme on le sait, ce genre d’activités contribue certes à la relance économique mais elle est de nature limitée en ce qui concerne la création d’emplois soutenus ou de la valeur ajoutée pour l’avenir.

Est-ce que l’absence de l’investissement privé pèse-t-elle ?
Évidemment. Face à une situation difficile durant la crise financière de 2008, les gouvernements successifs ont accordé un certain nombre d’avantages au développement du foncier à travers les projets IRS/ERS et de nombreux avantages fiscaux aux promoteurs de ces projets. Ceci évidemment crée une distorsion qui a fait que l’investissement du privé dans le foncier est devenu plus attractif et sans risques pour les capitaux privés.

Comment qualifieriez-vous l’année 2018 ?
C’est une année charnière, dans la mesure où les projets envisagés depuis le mandat de ce gouvernement sont enfin passés au stade de la mise en œuvre. Il n’y a qu’à voir le grand nombre de chantiers qui recouvrent l’ile aujourd’hui. Les dernières prévisions pour la croissance économique sur cette année calendaire convergent vers une note de 3,9 %. Il faut tenir compte du fait – et les Mauriciens ont souvent la mémoire courte – que le premier trimestre avait été marqué par des pluies diluviennes et des inondations dans différentes parties du pays qui avaient sévèrement affecté le secteur productif, qu'il soit  manufacturier mais surtout agricole. Je pense que cette performance de 3,9 % est très honorable et de bon augure pour l’avenir, essentiellement dans le cadre généralisé de 2019 où je m’attends à une croissance de 4 % ou plus.

Un rapport de l’OCDE a encore une fois mis à mal l’image fiscale de notre pays. Faut-il s’en inquiéter ?
Nous évoluons dans un monde de plus en plus complexe et en tant que petite île en développement, nous sommes forcés de nous intégrer dans l’économie mondiale en recherchant des niches qui nous sont favorables. Étant donné les ressources humaines et les institutions solides dont bénéficie le pays, comparé à ses concurrents, le secteur financier demeure un des gros porteurs de croissance et de valeur ajoutée pour Maurice. Après la crise financière de 2008, il y a eu un renforcement des réglementations dans le secteur financier au niveau mondial et un accroissement de la concurrence parmi les pays qui, comme Maurice, veulent se positionner en tant que centre financier dans le monde. La financiarisation de l’économie mondiale est un phénomène inévitable et représente ce que les marxistes appelleraient « un nouveau stade de développement du capitalisme mondial ».

L’île Maurice est arrivée à une étape de son développement où elle souffre énormément d’un manque de ce qu’on appelle le ‘knowledge capital’»

Les règles du jeu ne sont pas tout à fait établies et c’est une lutte permanente pour tout pays qui ambitionne de devenir un centre financer, pour s’adapter aux nouvelles normes de plus en plus contraignantes. Il ne faut pas non plus se voiler la face : ces nouvelles normes représentent souvent une forme de protectionnisme de la part des pays avancés qui voient leurs avantages compétitifs se réduire comme peau de chagrin par rapport à l’avancée des petits pays qui se spécialisent dans des niches dans lesquels eux bénéficient justement de ces avantages spécifiques. Bien entendu, cela fait du tort à Maurice, il nous faut être prêt à faire face à de telles attaques et répondre du tac-au-tac, comme ça a été le cas récemment sur la question des passeports.

Les deux plus importantes banques de Maurice ont récemment éprouvé des défaillances sur la question des prêts pour l’une et l’autre à cause d’une erreur technique…Votre opinion.
Comme je l’ai dit plus haut, nous sommes aujourd’hui dans une phase d’adaptation et d’apprentissage. Il faut s’attendre  à ce qu’il y ait un prix à payer pour améliorer notre expérience. Il faut évidemment tirer des leçons de ce qui s’est passé, que ce soit au niveau des banques impliquées elles-mêmes ou au niveau du régulateur, la Banque de Maurice. Si nous voulons être un joueur important en tant que plateforme financière régionale, une des priorités demeure le renforcement de notre capacité en ressources humaines qui soit à la hauteur de notre ambition. Pour ce faire, il n’y a pas de doute : nous devrons recourir à l’expertise étrangère, comme ça a été le cas dans d’autres secteurs, tels que le tourisme la manufacture, le textile et l’habillement.

Certains opérateurs dans ces secteurs, ainsi que des observateurs, estiment que Maurice est arrivé à un stade qui nécessite des investissements pointus dans la formation…
L’île Maurice est arrivée à une étape de son développement où elle souffre énormément d’un manque de ce qu’on appelle le « knowledge capital ». Depuis un certain temps, nous constatons qu’à tous les niveaux, le secteur producteur peine à recruter le personnel adéquatement qualifié pour les postes à pourvoir. On en est à un tel point aujourd’hui que certains se demandent si on peut vraiment parler d’une situation de sans-emploi lorsque des entreprises n’arrivent pas à recruter. Or, à bien y regarder,  ce paradoxe s’explique par une absence d’adéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Il n’y a aucun doute que le succès économique futur de notre pays dépendra, dans une large mesure, de notre capacité à résoudre ce paradoxe, par une formation massive qui s’ajoute à notre maîtrise des technologies et du management moderne.

Ces deux derniers facteurs doivent-ils aussi remettre en question notre mode de travail, notamment le 24/7 ?
Que ce soit la flexibilité du temps de travail ou même le travail à domicile, nous avons aujourd’hui les technologies qui nous permettent de nous adapter, mais il faut bien comprendre que la question essentielle demeure celle de la productivité et de la compétitivité de notre pays dans un monde de plus en plus concurrentiel. Il s’agit aussi d’avoir la flexibilité de s’adapter aux nouvelles conditions de l’économie mondiale. Il y a des techniques et des approches nouvelles qui doivent être nécessairement adaptées si on veut atteindre notre objectif. Le dernier Budget a fait une place importante à la question de l’intelligence artificielle, par exemple. Mais nous allons devoir nous mettre à l’ouvrage très vite si nous ne voulons pas être  exclus de l’économie mondiale. La Fintech, par exemple, sera au cœur de notre développement en tant que centre financier.

En 2014, la pension universelle revue à Rs 5 000 et voilà qu’on parle de la valorisation de celle-ci. L’État en a-t-il les moyens ?
Je me suis toujours opposé au démantèlement de notre État-providence. À chaque fois qu’on parle d’augmentation de la pansion vieyess, il y a eu  des protestations véhémentes et que la prédiction que de telles augmentations conduiraient à la faillite du système. Je suis personnellement convaincu que cette augmentation a contribué à améliorer le sort des plus démunis. Le gouvernement demeure responsable de maintenir les privilèges des citoyens du pays.

 

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