Interview

Raj Makoond, CEO de Business Mauritius: «Faire de Maurice une Duty-free Island est tout à fait réalisable»

Augmenter la croissance et créer plus d’emplois. C’est la priorité des priorités, insiste Raj Makoond. À une semaine de la présentation du Budget, le Chief Executive Officer de Business Mauritius évoque les attentes du secteur privé tout en se prononçant en faveur du ciblage de la pension universelle.

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Le Budget sera présenté dans un contexte de stagnation de l’économie avec une croissance molle autour de 3,4 % et des incertitudes sur le plan international, avec notamment le Brexit. A-t-on les moyens de relancer l’économie mauricienne ou faudra-t-il limiter la casse ? Nous faisons face à plusieurs défis tant au niveau local qu’international. Au niveau mondial, à l’exception de l’économie américaine et de l’Inde au niveau des BRICS (NdlR : acronyme pour « Brazil, Russia, India, China, South Africa ») , la reprise est très fragile. Avec le Brexit, des risques pèsent sur l’économie européenne avec une possibilité de récession en Angleterre. À Maurice, le Brexit pourrait avoir un impact négatif sur la croissance, mais nous avons entre nos mains les moyens de relever les défis. Pour preuve, le tourisme connaît quand même une croissance à deux chiffres. Le secteur des technologies de l’information et de la communication et le secteur financier maintiennent une croissance. Toutefois, les autres secteurs, surtout celui de la construction, vont connaître une croissance très minime (1,6 %) après quatre/cinq ans de décroissance. Idem pour le secteur manufacturier. Ceci étant, l’objectif principal est de faire de Maurice un pays à haut revenu. Il n’y a donc pas d’autre ambition que celle de la croissance, en considérant les divers défis devant nous.

Le secteur privé est très préoccupé par les possibles répercussions du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Certains opérateurs du textile s’attendent à une baisse de 10 % des exportations découlant de la dépréciation de la livre sterling. Faut-il craindre d’autres répercussions ? On a vu qu’avec le Brexit, la livre sterling a connu une perte de 10 % en termes de valeur. Cela risque de perdurer. Ce qui n’est pas à l’avantage du textile où Rs 6,6 milliards d’exportation se font en livre sterling. Le Brexit est à l’origine d’une perte de confiance tant au niveau de la consommation que de l’investissement en Angleterre. Il ne faudrait donc pas sous-estimer une baisse dans la demande de l’Angleterre pour le textile, le seafood, mais aussi en termes de nombre de touristes. Il ne faut pas oublier que 130 000 touristes anglais viennent à Maurice chaque année. Maurice doit se préparer à une négociation avec l’Angleterre tenant compte du fait que nos accords préférentiels passent par l’Economic Partnership Agreement avec l’Union européenne. L’Angleterre a déjà commencé à tester des pistes de négociation avec l’Inde, l’Australie, les États-Unis. Maurice doit explorer différentes options pour pouvoir maintenir nos accords préférentiels.
[blockquote]« Si Maurice veut devenir une économie à revenu élevé, il faudra prendre des décisions courageuses dans le port, l’éducation et la formation »[/blockquote]

Selon vous, le plus grand défi du Grand argentier sera de faire Maurice accéder au statut d’économie à revenu élevé. Le pari est-il réalisable ou trop osé ? Je pense que le pari est réalisable. Maurice a souvent eu le courage d’entreprendre des réformes structurelles qui ont modifié en profondeur le paysage économique. La première période de réformes de 79-84 a eu pour résultat une baisse du taux de chômage à la fin des années 80 et au début des années 90 avec une croissance de 5 à 6 % en moyenne avec des gains de productivité. À la fin des années 90, on a eu d’autres réformes dans la fiscalité, avec notamment l’introduction de la TVA. La modification du cadre légal Telecom a aussi été importante. Il y a eu, de 2006 à 2010, la facilitation des affaires, les lois du travail et une stratégie pour faire face à la crise financière entre 2009 et 2014. Le secteur sucrier aussi a vécu des transformations pendant cette période. Si on veut devenir une économie à revenu élevé, les défis sont encore plus grands. Il faut un changement de paradigme à plusieurs niveaux. Pouvez-vous les énumérer ? Premièrement, Maurice est premier en Afrique en termes de facilitation des affaires, mais on est encore loin de Hong-Kong et Singapour, qui sont premier et troisième au niveau mondial dans ce domaine. Il y a un travail qui se fait pour réduire sensiblement le délai pour l’octroi des permis, notamment dans le secteur de la construction. Deuxièmement, nous pensons que nous avons les moyens de rendre le marché du travail encore plus performant. Par exemple, le taux de participation des femmes est encore extrêmement bas comparativement à d’autres pays. Au niveau du skills mismatch, nous avons là aussi un gros travail à faire en ce qui concerne la formation. Il faudrait, entre autres, revoir le cadre régulateur de la formation professionnelle pour que le secteur privé joue un rôle complémentaire à celui du secteur public. Une troisième fibre optique a déjà été annoncée et elle doit maintenant être mise en place. C’est essentiel car Maurice doit pouvoir avoir accès à une meilleure pénétration de la bande passante avec des vitesses encore plus importantes. Il y a aussi la nécessité d’un partenariat stratégique dans le port afin d’améliorer la performance des opérations. S’agissant des secteurs émergents, nous pensons que le secteur privé peut investir massivement dans la transition énergétique et nous espérons que l’Utility Regulatory Act qui a été promulguée sera opérationnelle le plus rapidement possible. Pour créer un cadre pro-investissement privé, il nous faut aussi une nouvelle Electricity Act, qui a été votée au Parlement en 2005, mais qui n’a pas encore été promulguée.

En préambule au Budget, le comité de politique monétaire a ramené le taux directeur à 4 %. Certains observateurs y voient une volonté coordonnée entre la Banque de Maurice et le Trésor public pour relancer l’investissement et, par ricochet, faire redémarrer la croissance. Quelle est votre analyse ? L’investissement est essentiellement une question de confiance dans un environnement pro-business. Le pays a besoin, surtout aujourd’hui, d’une cohérence entre la politique monétaire, la politique fiscale et les réformes structurelles. Bien sûr, la Banque de Maurice doit veiller à ce que nous ayons un taux d’inflation acceptable et une monnaie compétitive et le ministère des Finances doit s’assurer d’avoir une fiscalité qui encouragera l’investissement tout en apportant des réformes structurelles. N’oublions pas que le Budget, c’est avant tout des réformes structurelles.
[blockquote]« Le secteur privé peut investir massivement dans la transition énergétique. »[/blockquote]

Depuis 2008, on parle de la relation entre la croissance et la politique monétaire. Or, cette politique de faible taux d’intérêt (le taux directeur a été ramené de 9,25 % à 4 %) n’a jamais fait décoller la croissance. Les grands perdants restent les épargnants. Vos commentaires ? La question du taux d’épargne est beaucoup plus complexe. Il ne dépend pas que du taux d’intérêt. Il y a un débat sérieux sur toute la question. Si on n’a pas la croissance, l’emploi et des revenus disponibles plus élevés, il est clair qu’on aura un taux d’épargne assez modeste. La priorité devrait être l’augmentation de la croissance et la création d’emplois, ce qui va entraîner une hausse des salaires et éventuellement une augmentation du taux d’épargne. Cette semaine, la Banque de Maurice et la State Bank of Mauritius ont revu leurs prévisions pour la croissance cette année, à 3,6 % et 3,4 % respectivement. Peut-on faire mieux et atteindre la barre psychologique des 4 % ? 2016 reste malheureusement une année difficile, avec une croissance mondiale fragile. Il y a d’abord le problème de la Chine avec une croissance qui est à moins de la moitié que ce qu’elle était ces 20 dernières années. Il y a également la maigre reprise au niveau de l’Europe. Maintenant, il y a le Brexit. Maurice reste une économie très ouverte, mais il faut reconnaître qu’elle est aujourd’hui beaucoup plus diversifiée, d’un point de vue sectoriel et géographique, en termes d’exportation et de tourisme. Il ne faut pas seulement emmener de la résilience dans l’économie, mais simultanément aussi de la croissance avec des changements structurels. Si Maurice veut devenir une économie à revenu élevé, il faudra clairement prendre des décisions courageuses dans le port, l’éducation et la formation, le secteur de l’énergie et en termes de climat des affaires. Quelle est la marge de manœuvre dont dispose Pravind Jugnauth quand on sait qu’il devra faire preuve de prudence et veiller à ce que les dépenses d’investissement ne creusent pas davantage le niveau de dette publique (actuellement à 59,6 %) et qu’il faut maintenir le déficit budgétaire à un niveau soutenable autour de 3 % ? Le taux d’investissement du secteur privé, même s’il a baissé, reste important. Une croissance plus élevée passe surtout par une reprise de l’investissement du privé. D’où la nécessité de revoir les supports d’investissement que j’ai mentionnés plus haut. Certains avancent que le ministre des Finances devrait sortir des tiroirs le projet de duty-free island. Y êtes-vous favorable quand on sait qu’une politique agressive d’abolition des droits de douane pourrait amoindrir la performance de l’industrie locale ? Nous avons eu des discussions sur ce dossier. Nous pensons que Maurice a un potentiel dans le duty-free shopping dans la région. Ayant déjà une excellente image de destination loisirs, l’île pourrait, en plus, devenir une destination « shopping » pour les touristes. Cela se fera en lien avec un meilleur accès à l’espace aérien dans le cadre du positionnement géographique de Maurice. Concernant l’industrie locale, la plus grande partie des droits de douane a déjà été enlevée. Par ailleurs, il y a duty minima sur une liste restreinte de produits, ce qui ne devrait pas être en contradiction avec l’idée de faire de Maurice une Duty-free Island. Nous pensons que c’est tout à fait réalisable. La question du ciblage de la pension universelle revient sur le tapis. Devons-nous aller dans cette direction ou faut-il maintenir le système d’État providence dans sa forme actuelle ? Avec une population vieillissante, une croissance à moins de 4 % et une petite partie de la population qui est piégée dans le cercle vicieux de la pauvreté, il faut adopter une approche intégrée. D’où la nécessité de pouvoir avoir des supports plus performants vis-à-vis de ce segment de la population. C’est dans la mise en place de cette stratégie qu’il nous faut être clairs, mais sur le principe, Maurice va devoir avoir une approche de ciblage pour le transfert social.

 

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