Quatre professionnelles du langage des signes travaillant pour les sourds racontent leurs expériences et leurs difficultés. C’est avec fierté qu’elles disent exercer cette profession.
Reshmee Gya, enseignante : «Au début, c’était difficile»
Cela fait cinq ans que Reshmee Gya est enseignante à l’école de la Society of the Welfare of the Deaf. Un parcours surprenant, qui a conquis son cœur. Être assignée à cette école par le gouvernement pour son premier emploi a été un vrai challenge pour elle.
« Au début, c’était difficile, parce qu’on est arrivé sans formation. On a appris la langue des signes avec les enfants et la façon d’enseigner était différente de celle de l’école primaire régulière. Du coup, il fallait un temps d’adaptation », explique-t-elle.
Avec le temps, elle se prend d’affection pour ces enfants. « J’ai constaté qu’il ne leur faut pas seulement être initiés au langage des signes, mais qu’ils ont aussi besoin d’énormément d’amour et de patience. C’est un travail incroyable. »
Reshmee dit que cette expérience humaine l’a fait grandir. « Je suis très reconnaissante pour cela, car j’étais venue pour enseigner, mais c’est moi qui ai énormément appris d’eux. Ils ont beaucoup à apporter à la société et je souhaite que le gouvernement prépare un cursus spécialisé pour les sourds, afin qu’ils puissent mieux s’adapter », ajoute-t-elle.
Ses aspirations pour ses élèves : « Je fais ce travail avec tout mon cœur et je n’attends rien en retour. Mon souhait, c’est que demain, mes élèves arrivent à se débrouiller par eux-mêmes. »
Danièle Ramos : «Je suis souvent appelée à être interprète lors des divorces et des mariages»
À la voir communiquer avec les malentendants, on croirait presque qu’elle l’est aussi. Danièle Ramos, la cinquantaine, n’est pas sourde, mais elle se voue à la cause des sourds. Elle figure parmi les personnes à bien maîtriser la langue des signes mauricienne. Une langue visuelle, par laquelle les sourds arrivent à interagir entre eux et avec le monde.
« J’étais enseignante du préscolaire, mais ensuite, je me suis tournée vers l’enseignement de la langue des signes. Maintenant, j’agis surtout comme interprète de la communauté des sourds », raconte cette habitante de Beau-Bassin, qui compte plus de 30 ans d’expérience.
Ce métier requiert beaucoup de temps, de patience et deux fois plus d’efforts que d’autres. Il faut écouter, s’imprégner du contexte et la reformuler dans la syntaxe de la langue des signes mauricienne, afin de pouvoir retranscrire fidèlement un texte ou l’énoncé d’un locuteur en simultané.
« La langue des signes est comme toutes les langues. Elle évolue, d’où le besoin d’être à jour pour interpréter avec exactitude. J’interprète quand on fait appel à mes services, lors des divorces et des mariages, entre autres », confie Danièle, pour qui ce métier est plus qu’une vocation.
Elle ajoute qu’au niveau national, il y a beaucoup à faire, même s’il y a eu quelques petits progrès. « Interpréter pour les sourds n’est en aucun cas une obligation, c’est un métier comme un autre, qui devrait être apprécié à sa juste valeur, être reconnu et mieux rémunéré. Durant ma formation, il y avait une belle équipe, mais en cours de route, plusieurs ont préféré faire autre chose… »
Danièle Ramos fait observer que de moins en moins de jeunes s’intéressent à ce métier pourtant nécessaire pour une bonne intégration des sourds dans la société.
Un autre monde pour Irani Jankee
Irani Jankee a l’allure élancée, le maquillage soigné et les cheveux mi-longs lâchés… On est loin de se douter qu’elle est dans sa cinquantaine. Tout comme Kathy Appadoo-Ramiah, elle travaille comme Deaf Teaching Assistant à l’école des sourds depuis onze ans.
« J’utilise la langue des signes mauricienne pour l’enseigner aux enfants sourds. » Pourtant, elle était loin de se douter qu’un jour, elle se retrouverait à enseigner et que la langue des signes mauricienne deviendrait son gagne-pain.
« Avant, je restais chez moi, je ne faisais pas grand-chose. Puis, j’ai pris du travail dans une usine, mais j’étais très triste. C’était difficile pour moi de communiquer avec les entendants et on se comprenait difficilement », relate cette sourde de naissance. Pour se distraire, elle avait l’habitude d’assister aux matchs de foot auxquels participait la communauté des sourds à Rose-Hill.
Durant ces rencontres, elle avait l’occasion de communiquer, d’interagir et de rencontrer de nouvelles personnes. C’est ainsi qu’elle rencontre, en 2003, les experts de la langue de signes et en particulier Alain Gébert, un consultant venu de France dans le but de développer la langue des signes mauricienne à la demande de la Society for the Welfare of the Deaf.
« Parmi leurs travaux, il y a eu le premier dictionnaire en langue des signes mauricienne et en parallèle, la formation pédagogique des Deaf Teaching Assistants et le journal télévisé en LSM », explique Irani.
Depuis qu’elle a appris la langue des signes, c’est un autre monde qui s’est ouvert à elle. « Je suis plus heureuse et plus épanouie », indique-t-elle. Elle aime son métier et ses élèves, qu’elle considère comme ses enfants. « Ils sont comme moi et je suis contente de les aider et de les voir se développer », explique cette mère de deux adolescentes, qui habite Camp-Fouquereaux.
Non seulement elle parvient à enseigner et à être financièrement indépendante grâce à son métier, mais d’autres opportunités se sont présentées à elle. Irani a aussi assuré la traduction du journal télévisé du samedi/dimanche en langue des signes mauricienne sur la chaîne nationale.
Comme toute femme, Irani passe son temps libre à dorloter ses filles et à s’occuper de sa maison. Elle a d’ailleurs une passion pour la mode. Elle aime bien se faire belle pour être bien dans sa peau.
Kathy Appadoo-Ramiah : «C’était difficile de lire sur leurs lèvres»
Cette habitante de Quatre-Bornes, la quarantaine, a intégré l’école de la Society of the Welfare of the Deaf en 2007, où elle a eu un contact avec des enfants sourds. C’est une des quatre Deaf Teaching Assistants travaillant pour la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC). Kathy Appadoo-Ramiah raconte son parcours en tant que présentatrice des sourds durant le journal télévisé à la MBC.
Elle a suivi une formation de trois mois sous l’égide des formateurs venus de France. Elle leur a présenté le savoir-faire de la MBC d’abord, avant d’être initiée. « Au début, quand les gens parlaient, c’était difficile de lire sur leurs lèvres pour comprendre et c’est là que les formateurs nous ont guidés, afin de pouvoir comprendre et retravailler l’information avec l’aide des interprètes. »
Derrière le rideau
L’équipe du journal télévisé en langue des signes mauricienne se compose d’un(e) journaliste du département éditorial de la MBC, qui sélectionne les sujets et reportages marquants de la semaine écoulée et se charge de la rédaction des textes.
À partir des textes remis par le/la journaliste, les interprètes de la langue des signes mauricienne (LSM) et présentatrices sourds se rencontrent les jeudis. « On regarde ensemble la vidéo de la synthèse de l’actualité et après avoir pris connaissance des textes, les interprètes et les présentatrices font une synthèse à leur tour », explique Kathy Appadoo-Ramiah avec enthousiasme. Elle met l’accent sur le fait qu’il est impératif de retranscrire fidèlement le contenu. À partir de là, les interprètes sourds préparent la schématisation des textes et finalement la transposition en LSM. Le lendemain, c’est l’enregistrement en studio. Ensuite, le montage est fait avec l’assistance d’une interprète, car il faut caler le débit de la journaliste à celui de la présentatrice. Le journal en LSM est diffusé les samedis et rediffusé les dimanches.
Kathy Appadoo-Ramiah, qui est une mère de famille heureuse, indique que c’est très gratifiant pour elle de pouvoir transmettre l’information à la communauté des sourds. « Quand le journal est diffusé en langage des signes pendant le week-end, les sourds sont heureux. Ils le regardent avec plaisir et c’est un grand bonheur de savoir que j’y ai contribué. »
Elle est heureuse que la LSM ait facilité la communication au sein de la communauté mauricienne des sourds à travers le dictionnaire officiel. « Avant, il n’y avait pas la LSM.Maintenant, avec le lancement du dictionnaire, toute la communauté des sourds à Maurice sait que c’est leur langue officielle et on est content de pouvoir s’exprimer librement dans la langue des signes. »
Kathy est désolée de ne pouvoir transmettre et recevoir l’information elle-même en tant que sourde pendant la semaine. « On a fait le lancement de la langue des signes à la télévision en 2007, mais c’est chagrinant qu’il n’y ait pas de bulletins d’information pendant la semaine. J’en profite pour faire une demande en ce sens. J’estime que les sourds ont droit à l’information en semaine comme les autres téléspectateurs. Un résumé des infos de la semaine pendant le week-end, ce n’est pas suffisant. C’est même trop court. »
Alain Gébert : «On essaie de développer la langue des signes pour les bébés»
La langue des signes est une langue visuelle et gestuelle. Tout comme le français et l’anglais, c’est une langue à part entière avec sa propre syntaxe. Certains signes de la langue de signes mauricienne (LSM) sont spécifiques à l’île Maurice, car ils sont empreints de la culture locale. Cependant, Alain Gébert, expert en Deaf Studies, ajoute que la plupart des signes sont universels et que les sourds arrivent à communiquer avec ceux des autres pays.
À Maurice, c’est en 2006 que la LSM a été approuvée par le gouvernement pour être utilisée comme méthode d’enseignement pour les sourds et malentendants. « C’est une langue qui évolue avec le temps. Les signes changent quelque peu avec les nouvelles générations et de nouveaux signes émergent », explique Alain Gébert.
C’est pour cela que la Society of the Welfare of the Deaf travaille sur la deuxième édition d’un dictionnaire numérique en LSM, qui sortira d’ici peu.
Un autre projet en cours est l’initiation des bébés à la LSM. « On prévoit aussi de développer une langue des signes pour les bébés, afin d’améliorer la communication entre un nourrisson et ses parents », ajoute Alain Gébert.
Étant lui-même sourd, il aurait souhaité que cette langue soit enseignée à tous les élèves et non seulement à ceux ayant des problèmes d’audition. « Il y a déjà l’option d’apprendre une autre langue dans les écoles. Pourquoi ne pas inclure cette langue-là ? » fait-il remarquer.
En signe de compréhension…
« Il y a une forte demande pour les enseignants et interprètes pour les sourds », confie Aartee Bissoonauthsing, Manager de la Society of the Welfare of the Deaf et de l’école des sourds. « Étant donné que nous sommes une ONG non profitable, on n’a pas assez de moyens pour recruter », explique-t-elle. Un « trainee teacher » formé par l’organisation peut percevoir un salaire de Rs 7 500 à Rs 10 000, jusqu’à ce qu’il soit employé sur une base permanente. Alors qu’un interprète peut commencer avec Rs 12 000, un salaire qui augmente avec les années de service. Pour ceux qui le souhaitent, l’école des sourds de Beau-Bassin offrira bientôt des cours d’apprentissage en LSM, les mercredis après-midis et les samedis matins. Pour plus d’infos sur les horaires, envoyez un courriel à l’adresse suivante swdeaf@gmail.com.
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