Interview

Prosecution Commission - Parvez Dookhy : «Il y a anguille sous roche»

L’avocat mauricien qui exerce à Paris, Parvez Dookhy, revient sur le projet du gouvernement de créer une Prosecution Commission. Selon lui, « il y a anguille sous roche ».

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La création d’une Prosecution Commission fait débat. Est-ce, selon vous, une mesure nécessaire ?
Manifestement non.

« Les décisions du DPP ne sont pas arbitraires, mais relèvent de ses compétences, de son rôle et de son mandat »

Toutefois, il importe de préciser que les poursuites peuvent être stoppées de deux manières : soit par un classement sans suite (close the case without further action), ce qui est une décision du ressort du Directeur des poursuites publiques, soit le juge prononce un non-lieu (strike out) dans l’affaire. Dans l’ensemble, ce sont des magistrats qui ont rendu des décisions de non-lieu au bénéfice de Navin Ramgoolam et de ses proches. L’affaire d’extradition d’une proche de Navin Ramgoolam d’Italie relève de la décision d’un magistrat.

Pourquoi le gouvernement souhaite-t-il créer une Prosecution Commission, alors qu’il existe déjà un mécanisme pour contester les décisions du DPP auprès de la Cour suprême ?
Je pense qu’il y a anguille sous roche. Le gouvernement présente la Prosecution Commission comme un organe chargé de revoir les décisions du DPP, lorsqu’il décide de ne pas poursuivre. Sans doute, elle aura également le pouvoir d’annuler une décision du DPP de poursuivre. Là, on ne peut s’empêcher de penser à l’affaire MedPoint, dans laquelle le DPP a entamé les démarches pour saisir le Conseil privé et faire un ultime appel de la décision exonérant Pravind Jugnauth de toute poursuite. La commission pourrait définitivement mettre fin à cette affaire.

Pour plus d’un, la Prosecution Commission a pour but de contrôler le DPP et le rendre « accountable ». Qu’en pensez-vous ?
Le bureau du DPP n’est pas une seule personne. C’est toute une équipe avec, bien sûr, un chef. Les décisions du DPP ne sont pas arbitraires, mais relèvent de ses compétences, de son rôle et de son mandat. En vertu de notre système, et c’est le cas en Angleterre et en France, la poursuite peut décider de classer une affaire. Nous avons un système fondé sur l’opportunité des poursuites (discretionary prosecution). Le DPP peut classer une affaire s’il estime, d’une part, qu’il n’y a pas assez de preuves sur le plan juridique pour emporter la conviction des juges ou que l’affaire ne répond pas à la qualification pénale qui lui est donnée ; et d’autre part, s’il estime, pour des raisons humanitaires, qu’il ne faut pas poursuivre. Imaginons ainsi une veuve qui vole un pain pour donner à manger à son enfant. Il y a aussi la volonté de ne pas encombrer les cours de justice de petites affaires ou d’affaires ne répondant plus aux mœurs de notre temps. Par exemple, des pratiques sexuelles entre adultes consentants interdites par notre Code pénal.

Quel recours le DPP aura-t-il ?
Dans le système prôné par le gouvernement, l’accusation, en l’occurrence le DPP devra, lorsqu’il décide de classer une affaire se défendre devant la commission. C’est ridicule.

Les amendements envisagés à l’article 72 de la Constitution mettront-ils en péril le pouvoir discrétionnaire du DPP ?
Ce sera une atteinte au principe de l’opportunité des poursuites.

Paul Bérenger avait déjà proposé cette idée en 2004, alors qu’il était Premier ministre. Aujourd’hui, c’est au tour du gouvernement en place. La liberté d’action du DPP fait-elle peur à l’exécutif ?
C’est, en fait, un refus des responsables politiques, que ce soit Paul Bérenger, Navin Ramgoolam ou Anerood Jugnauth, d’aborder le problème de face. Il y a trois difficultés à régler : les poursuites sont souvent stoppées à cause de l’incompétence de la police, comme dans l’affaire de l’extradition en Italie. La police ne bâtit pas de dossier solide sur le plan juridique. Ensuite, il y a des manquements dans nos lois concernant les crimes économiques. Beaucoup de crimes ne sont simplement pas punis. Prenez, par exemple, une entreprise qui décroche un contrat de l’État pour de grands travaux. Elle fait immédiatement un don considérable au parti politique au pouvoir. Un tel acte n’est pas puni aujourd’hui. Il faut élargir la définition des crimes financiers et économiques. Ensuite, il faut rendre plus souple l’administration des preuves en matière de crimes économiques. Chez nous, trop d’éléments de preuve sont irrecevables devant les juges.

N’est-ce pas pour ralentir les procédures judiciaires et administratives en quelque sorte ?
Certes, la Prosecution Commission alourdira les procédures et surtout, il en coûtera beaucoup au contribuable. La commission, ce sont des commissaires bien payés, jouissant de certains avantages, un personnel et des locaux pour statuer sur une poignée d’affaires dans lesquelles le DPP a décidé de ne pas poursuivre. La commission ne pourra intervenir dans les affaires rayées ou des non-lieu prononcé par un juge.

Après l’affaire Sun Tan, le ministre de la Bonne gouvernance avait traité le DPP de « monstre constitutionnel ». Il y a aussi eu la sortie de plusieurs ministres contre Satyajit Boolell, dont celle d’Ivan Collendavelloo. Cela ne démontre-t-il pas un acharnement contre la personne du DPP ?
Il y a sans doute une fixation de la part du gouvernement sur la personne du DPP.

Pour un poste constitutionnel comme celui du DPP, le fait qu’il soit le frère d’un politicien a-t-il un impact sur la perception publique de son impartialité ?
Sur le plan des intérêts personnels et des rivalités, peut-être qu’Arvin Boolell aurait intérêt à ce que Navin Ramgoolam soit évincé de leur parti. Du coup, je ne pense pas que la décision du DPP soit politiquement motivée, mais après tout, ce sont des cours de justice qui ont mis fin aux poursuites dans les affaires concernant Navin Ramgoolam, pas le DPP.

Ces amendements sont-ils dus au fait que des charges contre l’adversaire politique du jour, en l’occurrence Navin Ramgoolam, ont été rayées ?
C’est ce que l’actuel gouvernement veut faire croire. En réalité, ce n’est pas le DPP qui a ordonné l’arrêt de toutes les poursuites dans les affaires touchant de loin ou de près Navin Ramgoolam, mais principalement des juges, dont un juge italien.

 

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