Le Conseil privé a rejeté, le lundi 31 octobre, l’appel du Dr Maharajah Madhewoo. Les Law Lords ont maintenu la validité de la carte d’identité biométrique. Ils ont aussi corrigé une incohérence dans le jugement en première instance de la Cour suprême.
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La validité de la carte d’identité biométrique avait été affirmée, le 29 mai 2015, par un full bench de la Cour suprême composé du Senior Puisne Judge Eddy Balancy et des juges Ah Foon Chui Yew Cheong et Asraf Caunhye. Le full bench avait, cependant, accédé en partie à la demande de Maharajah Madhewoo et qui avait ordonné la destruction de la base de données sur laquelle étaient sauvegardées les empreintes digitales et les données biométriques des détenteurs de la nouvelle carte d’identité. Insatisfait, le Dr Madhewoo a fait appel au Judicial Committee of the Privy Council. Ses hommes de loi évoquent plusieurs violations de la Constitution.
Le droit à la vie privée et à la propriété
Les Law Lords estiment que la prise des empreintes et des données constituent une violation au droit à la vie privée et à la propriété sous l’article 9 de la Constitution. Néanmoins, de telles ingérences sont justifiées sous l’article 9 (2) sous la rubrique de l’ordre public et de la protection des droits et des libertés des autres individus. Un raisonnement qui épouse celui de la Cour suprême.
Droits et libertés fondamentaux de l’individu
Le Privy Council note que l’article 3 de la Constitution, qui a trait aux droits et aux libertés fondamentaux de l’individu, requiert une interprétation généreuse. Il ne peut créer des droits qui sont, au préalable, inexistants. Les Law Lords font ressortir que la remise des empreintes digitales n’engage en aucune façon le droit à la vie privée de l’individu.
Présomption d’innocence
Pour Maharajah Madhewoo, l’introduction de la carte d’identité biométrique est une flagrante violation de son droit constitutionnel à la présomption d’innocence. Les Law Lords sont d’un avis contraire, car la remise de ses empreintes digitales ne donne lieu à aucune présomption de culpabilité.
Dangers potentiels
Le Conseil privé note, toutefois, que l’état actuel de la carte d’identité biométrique peut donner lieu à des interrogations. Premièrement, l’absence d’une base de données pourrait être un obstacle pour le gouvernement dans son combat contre l’usurpation d’identité (identity theft). Mais ce point n’a été soulevé ni devant la Cour suprême, ni en appel.
Deuxièmement, les droits fondamentaux de l’individu peuvent être affectés dépendant de l’usage futur de la carte d’identité et des informations qui y seront sauvegardées, comme les données médicales du titulaire. Mais les Law Lords expliquent que dans sa forme actuelle, la carte d’identité n’a pas de mémoire adéquate pour accommoder de telles données.
Incohérence
Les Law Lords en ont profité pour corriger une incohérence dans le jugement de la Cour suprême. Le full bench avait statué que la rétention des empreintes digitales et des données biométriques est permissible sous une des dérogations à l’article 9 de la Constitution, tout en affirmant, un paragraphe plus loin, que cette pratique est anticonstitutionnelle. Les Law Lords ont ainsi apporté les corrections appropriées.
La liberté de mouvement
Maharajah Madhewoo avait aussi évoqué ses craintes concernant une restriction à sa liberté de mouvement sous l’article 15 de la Constitution. Un argument rejeté par les Law Lords qui considèrent que celui-ci est « mal conçu ». Selon le Conseil privé, seules les personnes habilitées par la loi, à l’instar des policiers, peuvent exiger la production de la carte d’identité biométrique.
Me James Guthrie, Queen’s Counsel, représentait l’État mauricien. Il était assisté par Me Kamlesh Kumari Domah, State Counsel. Quant au Dr Madhewoo, il était défendu par Mes Sanjeev Teeluckdharry, Erickson Mooneapillay, Germain Wong Yuen Kook et David Miles, Solicitor. L’appel avait été entendu par cinq membres du Privy Council, en l’occurrence Lord Anthony Clarke, Lord Jonathan Mance, Lord Nicholas Wilson, Lord Jonathan Sumption et Lord Patrick Hodge.
Étienne Sinatambou : « L’argument avancé par Pravind Jugnauth a été maintenu »
Il attendait le verdict du Conseil privé avant de s’enregistrer pour l’obtention de sa carte d’identité biométrique. Étienne Sinatambou, ministre de la Technologie, de la communication et de l’innovation, fait partie de ces quelque milliers de Mauriciens qui n’ont pas encore complété les formalités nécessaires en ce sens. Mais il compte le faire avant la date butoir, soit le 31 mars 2017. « Je ne voulais pas avoir de carte d’identité qui aurait pu être invalidée par la Cour », soutient-il.
Étienne Sinatambou se réjouit de la décision du Conseil privé. Il note le fait que les Law Lords aient maintenu l’argument avancé par Pravind Jugnauth sur le stockage des données biométriques dans une base de données pour une durée indéterminée. Le ministre rappelle que cette base de données a été détruite conformément aux promesses faites par l’Alliance Lepep dans son manifeste électoral. « Nous sommes dans un État de droit. Le Dr Maharajah Madhewoo a eu sa chance », précise Étienne Sinatambou.
Me Neelkanth Dulloo : « Aucune décision à ce jour »
Le troisième contestataire de l’introduction de la nouvelle carte d’identité biométrique dit saluer le courage du Dr Maharajah Madhewoo dans son combat contre la carte biométrique. Me Neelkanth Dulloo souligne qu’il étudiera le jugement du Privy Council de concert avec ses conseils légaux avant de communiquer sa position à l’État et à la Cour, le 22 novembre. Date à laquelle le procès opposant l’avocat et l’État dans cette affaire sera appelé en Cour suprême.
Après le verdict du Conseil privé : Me Sanjeev Teeluckdharry pour un nouveau projet de loi
L’avocat et député de la majorité, Me Sanjeev Teeluckdharry, a déclaré lors d’une conférence de presse qu’il étudie l’option d’un Private Members Bill. Projet de loi qu’il présentera à l’Assemblée nationale pour reconsidérer certains aspects de la carte d’identité biométrique. Il est question d’enlever certains éléments « qui ne seraient pas en accord avec les principes d’un État démocratique ».
L’avocat souhaite trouver un terrain d’entente avec le gouvernement sur l’usage de la nouvelle carte d’identité. C’est ce qu’il a annoncé le lundi 31 octobre lors d’un point de presse à Port-Louis, en présence de son client, Maharajah Madhewoo, et d’autres membres engagés dans le combat contre la carte biométrique.
Bracelet électronique
« Selon nos informations, seuls 10 % de la population adulte n’ont pas encore leur nouvelle carte d’identité », fait ressortir Me Sanjeev Teeluckdharry. Il a fait un appel au Premier ministre sir Anerood Jugnauth, et au ministre de la TCI Étienne Sinatambou sur la question de retrait de l’option des empreintes digitales de la nouvelle carte d’identité. « C’est un bracelet électronique qu’on nous demande de porter dans nos poches. »
Par ailleurs, le député de la majorité a annoncé qu’il explore d’autres recours. Il a annoncé son soutien à son confrère du barreau, Me Neelkanth Dulloo, qui conteste également l’introduction de la nouvelle carte d’identité. L’affaire sera appelée le 22 novembre.
Me Germain Wong Yuen Kook, un des avocats de Maharajah Madhewoo, s’est dit « extrêmement déçu » du verdict. « Nous nous sommes battus à 100 %, mais comme l’a fait ressortir notre avoué David Miles, on wqui est sujette aux attaques terroristes et le contrôle de l’individu en Europe qui est devenu primordial. Le problème a été transposé au niveau international et nous avons eu droit à une approche conservatrice. »
Quant au travailleur social Eddy Sadien, il s’est demandé si Sanjeev Teeluckdharry ne devrait pas «démissionner» pour manifester son mécontentement.
Maharajah Madhewoo : « Une carte de surveillance »
Pour le Dr Maharajah Madhewoo, la carte d’identité biométrique est une « carte de surveillance » avec un dispositif permettant de retracer les mouvements du citoyen. S’agissant de la procédure de recueillir le consentement des demandeurs de la carte d’identité auprès des centres de conversion du Mauritius National Identity Scheme (MNIS), le Dr Maharajah Madhewoo estime que la manière dont ce consentement est demandé est « oppressive ». Il dit étudier l’option d’un recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme ou devant les Nations unies.
Que dit la loi…
Selon la National Identity Card (Miscellaneous Provisions) Act 2013, toute personne qui ne sera pas en possession de sa carte d’identité biométrique est passible d’une amende maximale de Rs 100 000 et d’une peine de prison ne dépassant pas cinq ans.
Info
- 950 000 Mauriciens ont obtenu, jusqu’à ce jour, la carte biométrique.
- La date butoir pour s’enregistrer : 31 mars 2017
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