Ce lundi 22 mai, la Cour suprême fera savoir si elle compte donner suite à la Private Prosecution dont fait l’objet le ministre Maneesh Gobin et le Parliamentary Private Secretary Rajanah Dhaliah. Déposée par le prêtre Vivay Pursun au tribunal de Curepipe le 5 mai dernier, cette Private Prosecution a été gelée par la Cour suprême en réponse à une motion de contestation de l’Attorney General Maneesh Gobin. Le Défi Plus passe en revue les issues possibles de ces actions légales. Mais avant cela, notre dossier revient sur les différentes personnes dont les noms ont été cités dans cette affaire d’allégation de pot-de-vin d’un montant de Rs 3,5 millions pour l’octroi du bail d’un terrain de l’État de 250 hectares à Grand-Bassin. Un terrain de chasse sur lequel l’entourage de Jean Hubert Celerine, dit Franklin, avait l’habitude d’organiser des soirées festives.
LES PROTAGONISTES
Shaan Kumar Choolun, alias « Mithun »
Dans le cadre de l’enquête sur le réseau de prête-noms de Jean Hubert Celerine, dit Franklin, plusieurs véhicules ont été saisis par l’Independent Commission against Corruption (Icac). Parmi ceux-ci, une BMW appartenant à un certain « Mithun », soupçonné d’être un maillon du réseau Franklin. Il s’agit plus exactement de Shaan Kumar Choolun. Celui-ci, à travers The Eco Deer Park Association dont il est le président, est le détenteur du bail d’un terrain de l’État de 250 hectares situé non loin de Grand-Bassin. Depuis son arrestation le vendredi 3 mars et son inculpation de blanchiment d’argent, les enquêteurs se sont intéressés aux activités, notamment des « soirées », organisées par l’entourage de Franklin dans le ranch se trouvant sur ce terrain.
Rajesh Ramnarain, le « conseiller »
Ancien président du Sugar Investment Trust et Principal Inspector au Registrar of Associations, Rajesh Ramnarain est arrêté à l’issue de son audition « under warning » par l’Icac le mercredi 3 mai. Il était attendu au Réduit Triangle depuis que Keegan Etwaroo et « Jeetoo » l’avaient désigné comme étant celui qui était venu récupérer les Rs 3,5 millions et comme l’un des participants à la soirée du 12 septembre 2020 au ranch.
Dans un premier temps, Rajesh Ramnarain a tenté d’obtenir l’immunité en échange de sa collaboration, en vain. Interrogé en tant que suspect, il a fait valoir son droit au silence. Inculpé de trafic d’influence par le tribunal de Port-Louis, il a passé huit jours derrière les barreaux avant d’être libéré contre le versement d’une caution de Rs 100 000.
Le dénonciateur « Jeetoo »
Pour faciliter l’octroi du bail à The Eco Deer Park Association, un pot-de-vin aurait été réclamé par le « conseiller » d’un ministre. C’est du moins l’allégation faite par un certain « Jeetoo » à l’Icac. Il affirme avoir été désigné comme intermédiaire pour remettre le dessous-de-table au « conseiller ». Si initialement, Rs 4 millions auraient été réclamés en guise de pot-de-vin, au final, les demandeurs du bail n’auraient réussi à réunir que Rs 3,5 millions.
Ces déclarations ont mené à l’interpellation de Keegan Etwaroo, l’ancien détenteur du bail. À l’Icac, il a confirmé les allégations portant sur l’implication dans cette affaire du « conseiller » d’un ministre, mais aussi du ministre lui-même, d’un Parliamentary Private Secretary (PPS) et de certains de leurs proches collaborateurs.
Des négociations concernant le montant du dessous-de-table et les modalités de son paiement auraient eu lieu en septembre 2020, lors d’une rencontre entre ces différents protagonistes à l’occasion d’une soirée dans le ranch du terrain de Grand-Bassin. Une soirée durant laquelle de la viande de cerf grillée et des boissons alcoolisées auraient été consommées. Il y aurait même des photos de cette rencontre, selon « Jeetoo ».
Keegan Etwaroo, l’ancien locataire
L’enquête de l’Icac a établi que le terrain de 250 arpents à Grand-Bassin était, avant 2021, géré par Keegan Etwaroo à travers R.K.S Deer Ranch Ltd. Il avait obtenu le bail sous le gouvernement travailliste (PTr). Le contrat lui a momentanément été retiré en 2015 quand le Mouvement socialiste militant (MSM) est arrivé au pouvoir, ce dernier s’étant engagé à reprendre les terrains que le PTr avait accordés à ses partisans. Mais par la suite, le terrain aurait été restitué à Keegan Etwaroo, qui se serait arrangé pour que le bail soit alloué à The Eco Deer Park Association. Au niveau des autorités, on laisse entendre que Shaan Kumar Choolun et Keegan Etwaroo ont des liens de parenté.
Contestation en Cour suprême
Le 10 mai 2023, Maneesh Gobin dépose une motion devant la Cheffe juge, Bibi Rehana Mungly-Gulbul, pour contester la « private prosecution ». Motion dirigée contre Vivay Pursun et la magistrate du tribunal de Curepipe. Dans son affidavit, l’Attorney General, qui a retenu les services de Me Ravi Chetty et de l’avouée Shamila Sonah Ori, soutient que les allégations du pandit ne sont que « ouï-dire ». Il ajoute que celui-ci n’est pas habilité à le poursuivre et que l’acte d’accusation déposé contre lui ne fait état d’aucun délit connu en droit.
Le 12 mai 2023, Rajanah Ravi Dhaliah emboîte le pas au ministre. Il dépose, lui aussi, une motion devant la Cour suprême, réclamant l’annulation de la « private prosecution » retenue contre lui de même que sa convocation devant le tribunal de Curepipe.
Le PPS demande également que les procédures de la « private prosecution » soient gelées jusqu’à ce qu’une décision soit prise par la Cour suprême. L’affaire sera appelée devant la Cheffe juge ce lundi 22 mai 2023. Le PPS a retenu les services de Me Ravi Rutnah et de l’avoué Didier Pursun (avoué).
Le 15 mai 2023, la motion de Maneesh Gobin est entendue en Cour suprême. Les avocats du pandit présentent des objections préliminaires, en disant notamment que la motion du ministre est « mal conçue ». L’affaire sera, de nouveau, appelée ce lundi 22 mai 2023 devant la Cour suprême.
What’s next ?
L’avocat Taij Dabycharun explique qu’il y a différents scénarios possibles à partir du gel de la « private prosecution » obtenu par l’Attoney General Maneesh Gobin jusqu’au 22 mai. C’est la date à laquelle la contestation du PPS Rajanah Daliah devant la Cour suprême sera aussi écoutée.
« [Dans un premier temps] la Cour suprême aura à écouter les arguments des différentes parties pour déterminer si cette « private prosecution » a sa raison d’être ou pas devant le tribunal de Curepipe », explique-t-il.
Pour l’ancien magistrat Raj Pentiah, la Cour suprême devra adresser cette « private prosection » de deux façons. « D’abord, elle aura à déterminer si Vivay Pursun dispose du ‘locus standi’ et qu’il soit bien une ‘aggrieved party’. Ensuite, la Cour suprême devra vérifier si les accusations qui ont été logées contre Maneesh Gobin et Rajanah Dhaliah tombent bien sous la juridiction de la cour où cette « private prosection » a été logée [ndlr, le tribunal de Curepipe] », a-t-il déclaré.
Scénario 1 : Maintien du gel
Si la Cour suprême maintient le gel de la « private prosecution », Me Taij Dabycharun avance que celle-ci n’aura pas sa raison d’être devant le tribunal de Curepipe.
Scénario 2 : Poursuite de la « private prosecution »
L’autre scénario possible, poursuit l’avocat, est que la Cour suprême décide que la « private prosecution » a sa raison d’être. Dans ce cas figure, dit-il, l’affaire sera écoutée devant le tribunal de Curepipe.
Est-ce que la Cour suprême peut elle-même décider d’écouter la « private prosecution » ? Me Dabycharun répond par la négative. Selon ses explications, le fait qu’elle a été déposée devant le tribunal de Curepipe, c’est à celle-ci d’écouter et de trancher dans l’affaire. Un avis que ne partage cependant pas l’avocat Kailash Trilochun qui est persuadé du contraire. « La juridiction de la Cour suprême est illimitée (…). Elle peut aller plus loin [que traiter les contestations] et décider d’écouter elle-même cette affaire », a-t-il déclaré.
Private Prosecution
Le 5 mai 2023, Vivay Kanum Pursun, un pandit de 62 ans, dépose une « private prosecution » au tribunal de Curepipe contre l’Attorney General et ministre de l’Agro-industrie Maneesh Gobin ainsi que contre le Parliamentary Private Secretary (PPS) Rajanah Ravi Dhaliah. Ces derniers sont accusés d’entente délictueuse et d’avoir perverti le cours de la justice. Le religieux souhaite que le tribunal convoque le ministre et le PPS pour qu’ils répondent de ces accusations.
Dans un affidavit qu’il jure, Vivay Pursun leur reproche d’avoir agi de concert, le 12 septembre de 2020, pour attribuer des terres de l’État à Dayot et Mangin, d’une superficie de 250,76 hectares, à l’Eco Deer Park Association contre un pot-de-vin de Rs 2,9 millions. Somme qui aurait été versée à l’Attorney General et au PPS en plusieurs tranches par le truchement de Rajesh Ramnarain, leur agent principal dans la circonscription n° 7 (Piton/ Rivière-du-Rempart).
Le pandit accuse Maneesh Gobin de vouloir pervertir le cours de la justice en ne démissionnant pas de son poste de ministre et d’Attorney General. Le sexagénaire parle également de la tenue d’une « rave party » à proximité du lac sacré de Grand-Bassin et de prête-nom du présumé caïd, Jean Hubert Célérine, aussi connu comme Franklin. Le prêtre a retenu les services de Mes Sanjeev Teeluckdharry et Akil Bissessur.
Pessimisme autour de la Private Prosecution
Les avocats sont nombreux à afficher leur pessimisme concernant l’aboutissement de cette « private prosecution ». Plusieurs raisons sont avancées.
Déposition des protagonistes. Me Taij Dabycharun est d’avis que dans cette affaire, la « private prosecution » ne tient pas la route. « (…) Il faut, en premier lieu, consigner la déposition des personnes concernées dans cette affaire, en l’occurrence, l’AG Maneesh Gobin et le PPS Rajanah Ravi Dhaliah et d’autres témoins [si nécessaire] », souligne-t-il. Or, à ce jour, affirme-t-il, la version de ces derniers n’a toujours pas été consignée par l’ICAC, ni par la police. « Et on ne sait pas ce qui leur est reproché », dit-il.
Enquête en cours. L’avocat Ashley Hurhangee rappelle que dans le cas de l’affaire Kistnen, le DPP avait déposé un arrêt de procédure de la « private prosecution » logée par son épouse, Simla Kistnen, contre l’ancien ministre Yogida Sawmynaden parce qu’il y avait toujours une enquête en cour. « Il en est de même pour le cas de Maneesh Gobin », indique-t-il.
Juridiction. L’ancien magistrat Raj Penthiah estime qu’une « private prosecution » ne peut être logée pour un cas qui est devant l’ICAC. « Car, de facto, un possible délit qui fait l’objet d’une enquête de l’ICAC tombera soit sous la Prevention of Corruption Act (PoCA) ou la Financial Intelligence and Anti Money Laundering Act (FIAMLA). Ce qui est en dehors de la juridiction de la cour de district [où cette « private prosecution » a été logée]. Vous devrez vous rendre à la cour intermédiaire, mais cela n’est pas possible sous la section 112 de la Courts Act », avance-t-il.
Aggrieved Party. Me Raj Penthiah fait ressortir que, selon un jugement rendu par un Full Bench de la Cour suprême en 1994, l’ « actio popularis » à travers une « private prosecution » sous nos lois locales n’est pas acceptable. « En d’autres mots, une personne qui est affectée indirectement par une situation ne peut loger une « private prosecution ». (…) vous devez être la personne qui a été directement affectée. Ce qui m’amène à dire qu’il sera difficile pour Vivay Pursun de se qualifier comme un Aggrieved Party dans le cas logé contre Maneesh Gobin et Rajanah Dhaliah », conclut-il.
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