L’esclavage a été aboli à Maurice en février 1835. Mais cette abolition aurait dû avoir eu lieu 40 ans plus tôt, presque jour pour jour…
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Le 4 février 1794, la Convention nationale en France décrétait l’abolition de l’esclavage. Cette mesure concernait, bien évidemment, toutes les colonies françaises, dont l’Isle de France. Lorsque la nouvelle du décret d’abolition parvint dans l’île, l’Assemblée coloniale le rejeta aussitôt.
Dans une île où les colons n’avaient aucun accès à la gestion des affaires de la colonie avant 1789, la Révolution avait introduit le principe de représentation locale avec la mise en place des Assemblées coloniales, sur une base élective. Mais avec la Déclaration des Droits de l’Homme votée en août 1789, la possibilité d’une abolition était devenue réelle.
La société coloniale esclavagiste différenciait les groupes qui la constituaient à travers une ségrégation entre les Blancs, planteurs, négociants, administrateurs, et les autres groupes, les classes laborieuses, principalement constituées des « libres de couleur », et des esclaves noirs. Cette différenciation permettait de verrouiller l’accès à la propriété et de restreindre la participation politique au profit des Blancs. Ainsi, ce n’était pas simplement les implications économiques d’une telle mesure, avec une économie de plantation qui reposait exclusivement sur la main d’œuvre servile qui faisait trembler les colons, mais c’était aussi tout l’ordre issu de cette catégorisation sociale qui était désormais remis en cause avec la perspective d’émancipation des esclaves.
À cette époque, le contexte local était particulier. L’île était soumise au blocus anglais provoqué par la guerre entre la France et l’Angleterre. De plus, l’annonce des troubles survenus aux Antilles, en août 1791 n’avait fait qu’exacerber les tensions. En effet, une violente insurrection avait éclaté à Saint-Domingue, colonie française des Antilles la plus prospère d’outre-mer grâce à ses plantations de café, de canne à sucre et à ses nombreux esclaves. Esclaves noirs et affranchis revendiquaient la liberté et l’égalité des droits avec les citoyens blancs. Une longue et meurtrière guerre, qui fut aussi la plus grande révolte servile de l’Histoire, mena finalement à l’Indépendance de l’île.
L’insurrection de Saint Domingue fit craindre à l’Isle de France que la même chose puisse se produire dans la colonie, et les conduisit à durcir leurs positions envers les esclaves et à renforcer la chasse aux marrons. Et c’est cette même insurrection qui fut à l’origine du décret de la Convention de février 1794, visant à étendre l’émancipation à toutes les colonies et qui dans la foulée, abolit également la traite.
La question de l’abolition devint alors indissociable de la préoccupation de maintenir l’ordre public dans la colonie. Les colons craignaient même que l’Angleterre ne prenne avantage de l’abolition pour tenter de s’emparer de l’île. Pour eux, l’enjeu de l’abolition devint aussi un mode de différenciation face au pouvoir central. Les îles de l’océan Indien conservèrent donc l’esclavage, malgré l’illégalité de la pratique, sans toutefois avoir recours à la traite qui ne fut réinstaurée qu’une dizaine d’année plus tard, au début du 19e siècle, sous l’administration du général Decaen.
Entretemps, l’Assemblée coloniale était devenue toute puissante et sa mainmise sur l’administration de la colonie se traduisit par l’expulsion manu militari des agents du Directoire venus dans l’île en 1796 pour mettre à exécution le projet d’abolition.
Ainsi, le 18 juin 1796, une flottille de frégates constituée de La Forte, La Seine, La Vertu et La Régénérée, sous le commandement du contre-amiral marquis de Sercey, commandant des forces navales de l’océan Indien contre les Anglais, avec 800 hommes de troupe, fit son entrée dans la rade de Port-Louis. à bord d’un des navires se trouvaient René Gaston Baco et Etienne Burnel, agents du Directoire ayant pour instruction de dissoudre l’Assemblée coloniale et d’appliquer le décret d’abolition.
Dès leur arrivée, ils durent faire face à une foule de colons hostiles. Ils ne purent passer plus de trois jours dans l’île et furent forcés d’embarquer sur une frégate à destination des Philippines. L’Assemblée coloniale justifia le renvoi de Baco et Burnel par le motif qu’ils auraient été en réalité des agents de l’Angleterre, devant permettre à cette dernière d’investir l’île sans avoir recours à une prise armée… De son côté, le contre-amiral marquis de Sercey, probablement convaincu de cet argument, avait assuré l’Assemblée coloniale de son soutien.
Les colons esclavagistes avaient ainsi réussi ce qui peut être considéré comme un véritable coup d’état. Un autre coup d’état, celui de Napoléon Bonaparte celui-là, perpétré quelques années plus tard, instaurait l’ordre impérial et avec lui, le rétablissement de l’esclavage dans les colonies en 1802. Mais avec le passage de Maurice sous tutelle britannique, la poussée abolitionniste allait à nouveau prendre de l’ampleur dans l’île, jusqu’à son introduction finale en février 1835.
Sources : « Les abolitions de l’esclavage à Maurice et la construction d’une identité franco-mauricienne », par Catherine BOUDET, in « Esclavage et abolitions dans l’océan Indien » (1723-1860) - UNIVERSITE DE LA REUNION
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