Interview

Pradeep Roopun : «Il faut éviter le piège de l’assistanat»

L’extrême pauvreté est-elle une particularité mauricienne ? « Non, elle existe partout ailleurs et ne se réduit pas à sa simple expression monétaire », répond Pradeep Roopun, ministre de l’Intégration sociale et de l’autonomisation économique.

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Pourquoi l’extrême pauvreté persiste-t-elle à Maurice ?
Il ne faut pas tomber dans l’exagération et dire que ce type de pauvreté n’existe qu’à Maurice. Elle existe partout dans le monde, et dans certains pays développés, comme la France, des associations doivent organiser des soupes populaires quotidiennes en hiver pour les sans-abri.

« La pauvreté n’est pas localisée, elle peut être tant en milieu urbain que rural. »

Mais cela ne signifie pas que tout va bien chez nous. Maurice est un des rares pays qui a une dotation budgétaire sociale très importante et qui prend en compte les couches les plus vulnérables de la société. Mais le problème est complexe et il n’est pas du ressort du gouvernement uniquement de trouver des solutions à cette situation qui touche 1 % de notre Île.

Comment un individu arrive-t-il à une situation d’extrême pauvreté qui ne lui laisse entrevoir aucun espoir ?
Les raisons sont multiples. La pauvreté elle-même prend différentes significations et formes selon les pays. À Madagascar, elle peut s’exprimer sous forme d’obstacle à l’accès à l’eau potable, et en Inde, elle peut être la difficulté de l’accès à l’éducation. À ce titre, elle ne ressemble pas à celle qui peut prévaloir à Maurice. Nous n’avons pas encore de benchmark ici. Parfois, nous constatons que la pauvreté est d’ordre matériel, en raison de bas salaires, parfois à cause de la solitude, d’une mauvaise santé ou encore du chômage et d’un endettement chronique. D’où la nécessité d’adopter une approche pluridimensionnelle pour traiter le problème. Mais il faut se garder de passer de jugements hâtifs et sélectifs.

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que la pauvreté est un phénomène complexe, pluridimensionnel, ne pouvant être réduit à sa simple expression monétaire, c’est-à-dire à un niveau insuffisant de ressources économiques pour vivre de façon décente. Pour y faire face, il faut des solutions multisectorielles intégrées.

Existe-t-il un profil de l’individu dans l’extrême dénuement ?
Non, et il faut se méfier des stigmatisations. Il y a des pauvres dans toutes les communautés à Maurice, certaines sont peut-être plus apparentes que d’autres et ont des attentes différentes. Il y a des personnes qui n’attendent pas de l’argent mais l’expression d’une solidarité de leurs amis, de leurs familles, de la communauté. Celles-là ressentent profondément le sentiment d’avoir été exclues.

Existe-t-il des poches de pauvreté à Maurice ?
La pauvreté n’est pas localisée, elle peut être tant en milieu urbain que rural. En fait, on peut trouver dans des villes ou des villages des familles très pauvres, mais leur situation ne caractérise pas les localités où elles résident. Mais il est possible qu’il subsiste encore des endroits où sont concentrés des cas d’extrême pauvreté. Toutefois, le registre social de 2005 a indiqué l’existence de familles vulnérables éparpillées à travers toute l’Île.

Mais l’extrême pauvreté ne serait-elle pas plutôt le dénuement matériel total ?
C’est certainement sa forme la plus visible, c’est la raison pour laquelle notre gouvernement a porté la pension nationale à Rs 5 000, alors que nos adversaires pensaient que cette décision allait nous contraindre à augmenter la TVA. Et nous n’avons pas aboli  non plus d’autres formes d’aides qui existaient déjà. Mais, il faut éviter le piège de l’assistanat, où les bénéficiaires d’aides sociales se complairaient dans l’inactivité et l’attente. Il faut, donc, chercher plutôt à leur donner les moyens nécessaires de sortir de leurs conditions de précarité extrême.

Comment s’attaquer à cette pauvreté avant qu’elle ne prenne des proportions alarmantes ?
Il faut l’attaquer à sa source, qui est l’éducation. À ce niveau, le gouvernement déploie toute son énergie et ses moyens pour identifier les écoliers qui montrent les signes extérieurs de dénuement. C’est à ce niveau que le travail des ONG est déterminant en ce sens qu’elles travaillent au sein même des groupes ou localités, où elles peuvent identifier en amont ces signes. Mais, il faut se dire que ce combat ne se gagne pas seul : il faut la synergie entre les pouvoirs publics, les Ong et la communauté, qui englobe amis, parents et autres voisins. Le combat et la vigilance doivent être de mise pour que personne ne développe l’indifférence à l’égard des personnes pauvres.

Des voix se sont souvent élevées pour dénoncer des ONG qui percevaient des dons de partout, mais sans jamais être actives sur le terrain…
J’ai entendu citer des noms, mais personnellement, je ne les connais pas. J’ai toujours travaillé avec des gens sérieux, qui ont à cœur les causes pour lesquelles ils se battent.

Est-il avéré que des individus issus de la communauté afro-mauricienne sont les plus nombreux parmi les plus pauvres de Maurice ?
Oui, cela est vrai et son explication tient à l’histoire de notre pays, remontant à la période de l’esclavage. Mais, cela ne doit pas être perçu comme une fatalité. La philosophie de notre gouvernement est aussi axée sur orientation économique et sociale inclusive où il faut mettre en place un environnement favorable au développement harmonieux de toutes les communautés. Je vous ai dit que cela commence par l’éducation, mais cela ne suffit pas.

Il faut mettre sur pied un environnement propice à cela, notamment des logements décents, mais aussi des emplois aux salaires honnêtes, sans oublier l’accès aux soins de santé, à l’eau potable, à l’électricité et aux services publics, entre autres. Tout cela existe à Maurice, mais il faut constamment les améliorer. En ce qu’il s’agit des logements sociaux, le gouvernement a encore abaissé les critères d’éligibilité à ces maisons, et a augmenté l’allocation versée dans le cadre du programme Social Register of Mauritius. Il ne faut pas non plus oublier les aides à la formation professionnelle et les nombreux stages en entreprise.

Existe-t-il des dénominateurs communs qui conduisent des familles à l’extrême pauvreté ?
Oui, on a noté que l’éducation était très moyenne, parfois n’atteignant pas le CPE, ou très peu le niveau secondaire. Parfois, ce sont des familles monoparentales qui vivent dans des logements précaires, insalubres, dans la promiscuité et percevant des salaires dérisoires, qui sont sans emploi. Ce sont des facteurs qui génèrent souvent les violences domestiques, l’instabilité familiale et le concubinage. C’est à nous de réunir toutes nos forces et notre volonté pour dégager une stratégie multisectorielle afin de combattre ce type de pauvreté extrême.

Est-ce qu’un gouvernement qui semble fragilisé peut envoyer de bons signaux dans cette direction ?
Ce gouvernement, je vous le rappelle, a réussi à désamorcer la bombe de la BAI qui allait nous éclater à la figure. C’est vrai qu’il y a eu des moments difficiles, mais quel est ce gouvernement qui n’en a pas connu. Le MSM a connu une longue traversée du désert. Pour certains parlementaires et pour moi, cela a été difficile. Sir Anerood a quitté le Réduit pour revenir dans l’arène politique. Je comprends que certains parlementaires de la majorité n’ont pas connu cette période hors du pouvoir, mais maintenant, il faut saisir cette opportunité que la population nous a donnée pour travailler et non pas trahir.

 

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