L’augmentation du salaire minimum et de la compensation salariale inquiète les entreprises, particulièrement les petites. Intervenant dans l’émission « Au cœur de l’info » vendredi, Pradeep Dursun, COO de Business Mauritius, a suggéré une révision des mécanismes de fixation des salaires, adaptés au coût de la vie et aux compétences.
L’impact combiné de la hausse du salaire minimum et celle de la compensation salariale à payer dès l’année prochaine exercera une pression non négligeable sur des entreprises qui remontaient encore la pente après la COVID-19. Tel est l’avis exprimé par Pradeep Dursun, Chief Operations Officer de Business Mauritius, durant l’émission « Au cœur de l’info » du vendredi 8 décembre 2023 sur Radio Plus.
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Durant son intervention, il a indiqué que le « Wage Determination Mechanism » en vigueur a fait son temps. « Aujourd’hui, il est opportun de réfléchir à la manière dont les salaires doivent être fixés, révisés et ajustés. Pas uniquement en fonction de l’inflation mais aussi par rapport au niveau de vie, aux compétences et à d’autres critères. Cela doit se faire en consultation. Nous pouvons, pour cela, nous inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays », a-t-il suggéré.
Interrogé par Nawaz Noorbux et Jugdish Joypaul, le COO de Business Mauritius a expliqué que ce sont les petites entreprises évoluant dans différents secteurs qui auraient jusqu’ici exprimé des appréhensions par rapport à l’effet combiné de la hausse du salaire minimum et celle de la compensation salariale. « L’impact sera plus grand pour les entreprises qui sont ‘labour intensive’ et où la masse salariale représente un coût substantiel du coût des opérations. Parmi, il y a le secteur du commerce, du Retail, du nettoyage et du gardiennage, de même que des institutions sociales et des organisations non gouvernementales », a-t-il dit.
Il se demande s’il n’aurait pas été plus judicieux d’introduire différents montants du salaire minimum. « La loi fait provision pour cela. Mais nous avons décidé de donner un salaire minimum uniforme. À Rs 15 000, il y aura des pressions sur la politique de rémunération des entreprises, c’est-à-dire une pression additionnelle à gérer. Nous ne nous attendions pas à un tel chamboulement », a-t-il ajouté.
Le représentant du patronat a dit espérer que ces entreprises n’iront pas jusqu’à licencier des employés. Cela dit, il est d’avis que les entrepreneurs auront néanmoins le réflexe de préserver les emplois existants. « Au pire, si l’entreprise n’arrive pas à payer, les demandes pour une augmentation de salaire ou des ‘fringe benefits’ seront peut-être passées à la loupe et de nombreuses firmes ne pourront pas faire plus pour leurs employés. Le scénario le plus néfaste est le licenciement. Mais je pense que ni le gouvernement, ni les entreprises ne souhaitent que cela n’arrive », espère-t-il.
Mesure d’accompagnement
Pradeep Dursun dit également craindre que cette situation n’engendre une poussée inflationniste. « Nous ne sommes pas sûrs que ce sera le cas, mais il se peut que ce soit l’un des effets collatéraux lorsqu’il y aura une hausse de la consommation, surtout quand il s’agit de produits importés. Ce sera un cercle vicieux, surtout s’il n’y a pas de contrôle au niveau des prix », a-t-il fait ressortir.
Pradeep Dursun a souligné que le rapport du National Wage Consultative Council fait mention d’un accompagnement de l’État pour les entreprises afin de financer cette hausse à travers des mesures de soutien. Le COO de Business Mauritius souhaite, de ce fait, que les consultations pour décider des modalités du soutien de l’État démarrent au plus vite. « Les entreprises ont besoin d’une visibilité de leurs coûts opérationnels. Elles ont besoin de savoir comment elles absorberont la charge de la masse salariale, combien elles devront contribuer et le montant auquel s’élèvera l’aide de l’État », a-t-il souligné.
« Choqués »
Maya Sewnauth, vice-présidente de SME Chambers, a dit estimer que les patrons des Petites et moyennes entreprises (PME) sont tombés des nues en prenant connaissance du montant décidé pour la hausse du salaire minimum et celui de la compensation salariale. « Beaucoup d’entrepreneurs ont été choqués. Nous ne savons plus où donner de la tête et ce que l’avenir nous réserve. ‘Nounn kontribie boukou dan lekonomi me an retour pa gagn nanie », a-t-elle déploré.
Pour la vice-présidente de SME Chambers, ces hausses auraient été acceptables si la situation économique avait été plus favorable. « Si ti ena boom ekonomik, nou tia kapav konpran. Me la pe pas par moman difisil », soutient-elle.
À cet effet, elle rappelle que les PME sont passées par des moments compliqués avec la pandémie de COVID-19. Si elle concède que l’État a offert une assistance pour le paiement des salaires, Maya Sewnath souligne néanmoins que c’est sous la forme de prêts que des PME seraient toujours en train de rembourser.
Maya Sewnath se désole d’ailleurs que les PME soient représentées par Business Mauritius durant les réunions du comité tripartite. « Bizin met PME separe ek Business Mauritius ki [li] reprezant gran lantrepriz », exhorte-t-elle.
Vince Rungasamy, négociateur syndical, se réjouit que le gouvernement ait appliqué « presque à la lettre » les recommandations de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP). « Nous étions descendus dans la rue pour réclamer une hausse du salaire minimum à Rs 15 000 », a-t-il fait ressortir.
Pour lui, le patronat ne peut pas prétendre « ki li pa ti kone » puisqu’il était partie prenante des discussions. « Il était aussi présent lors des discussions au sujet de la compensation salariale. D’ailleurs, une proposition entre Rs 450 et Rs 800 avait été faite. Ce n’est donc pas une surprise. Le patronat reconnaissait le besoin d’offrir une compensation. »
Le négociateur syndical a reconnu que des petites entreprises pourraient éprouver des difficultés à payer une hausse cumulée d’environ 43 % pour le salaire minimum et la compensation salariale. « Nous pensons que le gouvernement devrait venir avec des mesures d’accompagnement. ‘Me pa kapav donn bonavini », a-t-il nuancé.
Vince Rungasamy déplore le fait que des sociétés, dont certaines figureraient dans la liste des « Top Companies », aient bénéficié de l’aide de l’État pour le paiement des salaires. « Kan pe fer sa, pe gard bann saler ba pou benefisie sibvansion leta », a-t-il prévenu.
C’est la raison pour laquelle il a réclamé un exercice de « background check » de ces entreprises. « Pa kapav pran kas lepep apre pe pey aksioner ‘dividend’. »
Money illusion
Pour l’économiste Rajeeve Hasna, il y a eu un « changement drastique » de la philosophie économique pour le pays alors que le « gâteau national » serait resté le même. « Le problème aujourd’hui est qu’il y a une ‘inflation tax’ », estime-t-il.
Il a mis en avant les divers revenus de l’État, lesquels sont en hausse, qui sont collectés à travers la Taxe sur la valeur ajoutée. Il s’est aussi penché sur d’autres sources de revenus, telles que la Contribution sociale généralisée, la Profit Tax et l’Income Tax. « Donc en ce qui concerne la capacité financière de l’État à offrir une assistance, la question ne se pose pas. Le réel débat devrait plutôt tourner autour du fait qu’il s’agit de l’argent des contribuables. ‘Li pa sorti deor. Li sorti ek nou mem’ », a précisé Rajeeve Hasna, en utilisant les termes « money illusion » car, selon lui, l’économie n’a pas vraiment grandi.
Pour l’économiste, une grande partie de l’inflation serait due à une dépréciation de la roupie. « Depuis juin 2020, le taux d’inflation est de 27 %, alors que la dépréciation de la roupie pour la même période est à 23 %. Ce qui fait que presque 85 % de l’inflation sont dus à la dépréciation de la roupie. (…) On voit donc clairement pourquoi la roupie a été dépréciée », a-t-il dit.
Rajeeve Hasna considère que le pays ne sortira pas de sitôt de la « spirale inflationniste » dans laquelle il se trouve. « Si vous allez sur Internet et que vous faites une recherche sur les pays qui ont eu recours à cette pratique (money illusion ; NdlR), vous verrez par vous-même comment c’était lorsque cela a commencé et comment cela s’est terminé », a-t-il conclu.
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