Interview

Poorranarnenden Sungeelee, ingénieur : «Le Metro Express creusera la dette publique de notre pays»

Le projet de Metro Express, entré dans sa phase d’exécution préliminaire depuis son lancement le vendredi 10 mars 2017, soulève davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses. Dans l’interview qui suit, l'ingénieur Poorranarnenden Sungeelee, remet en question la viabilité du projet.

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Le métro léger, ou encore le Metro Express, a toujours été un projet de tout nouveau gouvernement à la tête de Maurice et aussi souhaité par les hommes d’affaires. Pourquoi êtes-vous contre ?
Parce que depuis que je suis les moindres étapes de cette véritable lubie, je constate que c’est un projet qui va creuser la dette publique de notre pays, sans pour autant résoudre la problématique de notre mode de transport en commun. À ce jour, je constate qu’on n’a fait que brouiller les pistes avec des discours sans jamais examiner les détails techniques du projet, qui ont un rapport direct avec le coût du projet.

Mais ne faut-il pas attendre les différentes études relatives au projet, avant d’émettre une opinion valable ?
Une première étude, confiée à la firme Singapore Corporation Enterprise sous l’ancien gouvernement, avait coûté environ un demi-million de roupies, et s’était soldé par un rapport dans lequel les consultants avaient déclaré qu’ils ne garantissaient absolument rien. Le nouveau gouvernement a engagé les services des mêmes consultants. Pour quel rapport ? On n’en sait rien, c’est l’opacité totale. Ajoutez à cela le scepticisme de Nando Bodha qui, en 2012, alors qu’il était ministre au sein du gouvernement PTr-PMSD-MSM, avait déclaré que le coût du projet était passé à Rs 24 milliards et avec un coût additionnel de plusieurs milliards, des variations supplémentaires et des subventions de l’État, on aurait au final un projet qui dépasserait Rs 35 milliards. Nando Bodha avait alors déclaré ceci : « Dans ces conditions, le projet n’est pas viable et mérite d’être revu. » 

Est-ce que vous remettez en question la  viabilité du projet ?
L’essentiel c’est de savoir qu’un métro léger, à l’exemple de celui de Strasbourg, ne fait que 19,1 km/h : le temps d’un aller-simple est de 1 heure 26 minutes. À Maurice, avec un dénivellement de 600 m entre Port-Louis et les hauts plateaux, il faut déjà compter 1 h et 45 minutes, détours de Sodnac et autre inclus.

Celui qui laisse sa voiture à la maison devra marcher jusqu'à un arrêt d’autobus, attendre l’arrivée de celui-ci, faire avec la congestion intra-urbaine, et attendre, enfin l’arrivée du métro. N’oublions pas qu’une fois à Port-Louis, par exemple, il lui faudra de nouveau voyager par un bus intra-urbain pour arriver à son lieu de travail. On empire donc tout le système de transport.

Mais, le coût du projet a été nettement revu à la baisse avec l’aide financière du gouvernement indien…
Le diable est dans les détails, dit le proverbe. Moi, je suis ingénieur, pas politicien. La démagogie compte très peu pour moi. Le gouvernement cache la vérité des chiffres aux Mauriciens. Quels sont ces chiffres ? Depuis la déclaration de Bodha, il s’est écoulé plus de deux ans. Le coût de la main-d’œuvre indienne a plus que doublé. Le gouvernement mauricien doit prendre à sa charge à la fois la main-d’œuvre indienne de même que les techniciens indiens hautement qualifiés. En raison de la durée des travaux, ils bénéficieront d’une compensation étendue à leurs familles. Venons-en maintenant aux coûts du projet à Maurice. Le Metro Express fonctionnera à l’électricité, or à ce jour, il existe un silence inquiétant du gouvernement sur cette question : le CEB n’est pas en mesure d’augmenter sa production pour alimenter le Metro Express, alors va-t-il rouler ? Tout laisse croire qu’il faudra construire d’autres centrales thermiques, mais rien n’est indiqué à ce sujet.

Le deuxième point est non pas des moindres, puisque le Metro Express a pour mission de nous faire gagner du temps. À ce jour, lorsque la circulation est dense, le bus express partant de Curepipe met 1 heure 15 minutes pour rallier Port-Louis. Lorsque le trafic est fluide, le trajet est effectué en 45 minutes. Je ne vois pas comment le Metro Express, avec ses arrêts aux 19 - 20 stations, ses détours par Ébène, les dénivellements de terrain, parviendra à faire mieux. Ajoutez à cela la demande de Médine pour que sa future cité soit, elle-aussi, desservie. Je me pose la question de savoir si le gouvernement s’y opposera. Moi, je suis catégorique : un Metro Express qui coûtera Rs 47 milliards au bas prix ne pourra pas faire mieux que les bus.

Comment en arrivez-vous à ce coût ?
Le prix en Inde en 2006 était de Rs 0,85 milliards (roupies mauriciennes) par km. Pour un trajet de 27,3 kms, le prix revient à Rs 23,2 milliards. L’inflation de plus de 8 % en Inde pendant les 10 dernières années gonfle le prix de plus de deux fois – on dépasse donc les Rs 47 milliards, même en ne prenant pas en considération le coût de l’assurance et du fret.

Quel rôle se verront confier les autobus, à coté du Metro Express ?
Voilà une autre interrogation. À ce stade, on n’en sait absolument rien. On parle de ‘feeder buses’, mais à Curepipe, ce sont essentiellement les bus individuels qui assurent ce service. Je n’ai rien entendu à propos de planning ou de construction concernant le service intra-urbain autour des 19 ou 20 stations. Un bus roulant au ralenti n’est ni intéressant  à un passager, ni au propriétaire du véhicule. Je ne vois pas comment Maurice en bénéficiera. Est-ce que les bus, de même que le Metro Express, feront voyager les passagers, essentiellement debouts,  avec  huit  personnes dans un espace d’un mètre carré ?

 

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