Interview

Pierre Dinan, économiste : «‘Un feel-good factor’ a été ressenti après le Budget 2016-2017»

Est-ce que le ‘feel-good factor’ ressenti après le Budget 2016-2017 est toujours présent ? Est-ce qu’une croissance revue à 4 % est-elle porteuse d’espoirs ? Pierre Dinan, économiste, répond à ces interrogations et passe en revue les conditions qui ont favorisé le ‘premier miracle économique’ mauricien.

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Les éloges fusaient à Budget 2016-2017 à l’endroit du ministre des Finances, Pravind Jugnauth. Est-ce qu’il y avait des raisons de croire à un retour du ‘feel-good factor’?
Pour moi, c’est un Budget qui s’inscrit dans la lignée habituelle des budgets qui nous ont été présentés durant ces dernières années, c’est-à-dire qu’il y en a un peu pour tout le monde. Un ‘feel-good factor’ a été ressenti après le Budget 2016-2017. Ça a été un Budget enrubanné ça et là d’ouvertures susceptibles de plaire au secteur des affaires ou à certains intérêts particuliers, et enfin, aux plus pauvres.

Avant sa présentation, ce Budget s’annonçait comme une rupture avec celui de Vishnu Lutchmeenaraidoo. A-t-il été le cas ?
Il ne faut pas oublier que le titre de ce Budget 2016-2017 était une nouvelle ère de développement. Déjà donc, dans ce titre, on sentait une tentative d’une approche nouvelle par rapport au Budget précédent, qui avait été largement construit autour des smart cities. Il faut toutefois rappeler, en toute justice, que le Budget Lutchmeenaraidoo essayait de voir grand, avec des projets visant à la renaissance de Port-Louis.

Est-ce qu’il fallait une approche différente de celle-ci ?
Oui, dans la mesure où l’emphase mise sur les smart cities donnait, au moins, l’impression que les idées de développement manquaient au gouvernement et qu’il fallait se rabattre sur les smart cities, dont plusieurs étaient déjà envisagées par les entreprises privées.

« (...) il y a une inégalité des revenus qui semble se creuser et c’est la partie basse de la classe moyenne qui en fait les frais. »

La croissance a été revue à la hausse, supérieure à 4 %, par le ministre des Finances. Est-ce que ce taux suffira-t-il pour relancer l’économie ?
Voyons la première chose : Au niveau macroéconomique, une croissance de 4 % en moyenne par an ne nous mènera pas de sitôt au niveau des pays à revenus élevés, objectifs que nous nous sommes pourtant fixés dans Vision 2030. Tout le monde sait qu’une croissance de 5 % en moyenne serait favorable, car elle nous mènerait plus rapidement vers ce but visé. Deuxièmement, au point de vue fiscal, avec 4 % de taux de croissance, le ministre des Finances aura des moyens additionnels dans la mesure où le taux de déficit budgétaire serait réduit, compte tenu d’une division du déficit par un des plus gros dénominateurs, c’est-à-dire, un Produit intérieur brut plus grand.

À chaque échéance budgétaire, le gouvernement demande au secteur privé de participer davantage à l’effort d’investissement. Est-ce que ce dernier ne le fait pas suffisamment ?
Je crois que la chute des investissements durant ces dernières années est un signe que le secteur privé, aussi bien local qu’étranger, a été assez timide. Évidemment, une question se pose : À qui la faute ? Cette timidité est-elle due uniquement à un refus du secteur des affaires de prendre des risques ou bien serait-elle, au moins, due en partie à un environnement général n’invitant pas à la prise des risques ?

Est-ce une tendance générale dans le monde ?
Oui, elle se manifeste depuis le déclenchement de la crise financière et économique de 2007-2008. Mais, je crois que nous devons, nous à Maurice, faire notre examen de conscience et ne pas mettre tout le blâme uniquement sur les facteurs externes. Il est de notre devoir d’examiner, dans quelle mesure, les facteurs internes négatifs ont contribué à la faiblesse des investissements privés. N’ayons pas peur d’énumérer quelques-uns de ces facteurs internes : des remous politiques persistants, un manque de sérieux et de productivité dans le travail et la gestion, une administration publique qui tatillonne, les gaspillages de fonds publics et j’en passe.

Pourtant, lors de toute élection générale, les partis d’opposition au gouvernement sortant promettent religieusement une gestion saine des affaires publiques…
Fondamentalement, c’est du, malheureusement, au fait que l’homme politique, par définition, a une vue à court terme des choses, alors que les problèmes d’un pays requièrent des solutions à moyen et à long termes. C’est aussi parce que le pouvoir est anxieux d’engranger les dividendes de sa victoire le plus vite possible. Ce qui l’empêche malheureusement de prendre des mesures parfois difficiles d’un point de vue électoral, alors qu’elles seraient bénéfiques au bien du pays.

Que faut-il pour rappeler aux hommes politiques leurs engagements pris durant les campagnes électorales ?
Nous avons besoin d’une éducation des citoyens et des électeurs, car il faut bien se dire que les électeurs ont le gouvernement qu’ils méritent. Il leur appartient de donner le pouvoir à des personnes qui ont vraiment à cœur le bien du pays. Mais, je crains que nous ne soyons encore bien loin de cet idéal. Il n’y a qu’à voir les réactions générales au discours du Budget chaque année. Dans la majorité des cas, la réaction est la suivante : « Li bon », « Li pas mauvais », ou encore : « Un bon budget favorable à nos intérêts », ou bien « Défavorable ». Ce genre de réactions indique bien qu’on juge les propositions d’un Budget selon ses intérêts personnels alors qu’on devrait le faire selon ses aspects positifs ou négatifs vis-à-vis de l’économie et du social du pays.

On n’entend plus parler de « deuxième miracle  économique », promis par l’Alliance Lepep. Que renfermait ce terme ?
Je pense que l’Alliance Lepep pensait vraiment que l’équipe gagnante des années 80, menée par sir Anerood Jugnauth et Vishnou Lutchmeenairadoo, pourrait éviter l’exploit, mais l’erreur a été de croire que les conditions de l’économie mondiale et de la société mauricienne seraient pareilles à celles de la deuxième décennie du XXIe siècle.

« Nous avons besoin d’une éducation des citoyens et des électeurs, car il faut bien se dire que les électeurs ont le gouvernement qu’ils méritent. »

S’agissant de l’économie mondiale, une partie des années 80 avait bénéficié notamment d’une baisse du dollar américain, ce qui avait aidé à la maîtrise de l’inflation à Maurice. Ensuite, dans la société mauricienne, il y avait dans les années 80, il y avait un grand réservoir de travail féminin qui avait alimenté les besoins de la zone franche industrielle. Que voyons-nous en ces années 2015-2016 ? Une crise économique mondiale qui fragilise un petit pays comme le nôtre et une population mauricienne qui a connu une certaine prospérité pendant les trente dernières années et qui n’est pas toujours prête à consentir à des efforts et à des sacrifices pour revigorer le moteur de l’économie mauricienne.

Depuis ces dernières années, on met en avant un certain appauvrissement de la classe moyenne. Cela se voit-il ?
Je commencerai par une boutade. Quand vous êtes aux abords d’un supermarché, vous pouvez être tenté de vous dire : « Il n’y a pas de pauvres à Maurice ». Mais faut-il encore se poser la question : combien sont-ils à ne jamais pouvoir mettre les pieds dans un supermarché ? Cela dit, il y a une inégalité des revenus qui semble se creuser et c’est la partie basse de la classe moyenne qui en fait les frais. D’où le besoin du gouvernement d’en prendre acte et aussi des mesures qu’il faut pour les tirer d’affaire.

 

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