Chaque année pendant la période sèche, l’eau est un casse-tête pour les autorités et les consommateurs. Cet été, la sécheresse incite particulièrement à s’interroger. Quels sont les obstacles à une gestion optimale de cette ressource ? N’est-il pas hasardeux de ne compter que sur la pluie ? Ne faudrait-il pas exploiter d’autres sources d’approvisionnement en eau potable ? Éléments de réponse avec des spécialistes.
Jusqu’ici, la promesse d’un accès permanent à l’eau potable n’a pas pu être tenue. Le même scénario se répète tous les ans pendant la période sèche (octobre à novembre). La fourniture d’eau devient irrégulière dans plusieurs régions de l’île. Ce qui ne manque pas d’exaspérer les habitants chez qui le robinet peut rester à sec pendant des jours. Cette année, la situation a pris une autre dimension. Un déficit de pluviométrie provoque une sécheresse sévère à extrême selon les zones du pays. Résultat : l’ensemble de la population subit un rationnement depuis fin décembre alors que les services météo ne prévoient pas l’arrivée des fortes pluies avant la mi-janvier.
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Prem Saddul, ancien président de la Central Water Authority (CWA), concède qu’année après année, le problème reste entier. « Non seulement la situation perdure mais elle s’aggrave. Il y a plusieurs raisons pour expliquer cela, dont les facteurs climatiques. On observe un décalage de la pluviométrie dans le temps et l’espace. Avant, décembre était le mois le plus humide. Il semble que ce soit décalé à janvier, février voire mars. »
Changement climatique
En avril dernier, poursuit-il, on a eu beaucoup de pluie. Ce qui démontre un décalage temporel dû au changement climatique. Pour ce qui est du décalage géographique, il explique qu’auparavant, Curepipe était l’endroit le plus arrosé avec 4 000 mm de pluie par an. « Maintenant, il y a le phénomène de ‘high intensity rainfall of short duration’, autrement dit les flash-floods. Cela devient fréquent et localisé. On l’a vécu à Port-Louis mais cela peut se produire n’importe où. Ce phénomène est erratique. »
Le géomorphologue estime qu’on ne peut pas se contenter de blâmer le climat, car le monde entier subit les conséquences du dérèglement climatique. « On aurait dû se montrer plus proactif en sachant que le changement climatique allait nous affecter. Cela nous aurait aidés à être résilients. Il y a hélas un manque de vision, de préparation et de prévoyance. On n’a pas fait ce qu’il fallait, en sus du fait que la ressource en eau est mal gérée. » Prem Saddul précise que notre approvisionnement en eau provient à 50 % des nappes phréatiques, 30 % des réservoirs et 20 % des rivières.
1 000 millions de mètres cubes à la mer
Cependant, une grande partie de l’eau disponible nous échappe, soutient-il. « Quelque 1 000 millions de mètres cubes d’eau se déversent dans la mer. C’est une perte considérable. Il y a 17 endroits sur nos côtes où les eaux souterraines partent dans les lagons. On aurait dû exploiter ces ressources. »
Prem Saddul pense que le dessalement de l’eau de mer n’est pas la solution à l’île Maurice. « Ce n’est pas économiquement et écologiquement viable, contrairement à Rodrigues. » Le traitement de l’eau douce, indique-t-il, coûte environ Rs 5 par mètre cube alors que le dessalement peut coûter entre Rs 24 et Rs 27. À la limite, dit-il, Maurice pourrait avoir recours au dessalement partiel.
L’ancien président de la CWA avance que d’autres initiatives peuvent être prises. « À Séoul, par exemple, on capte l’eau de pluie qui est dirigée dans des drains puis dans des réservoirs souterrains. C’est une piste à exploiter. Le bétonnage effectué partout constitue certes un obstacle. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire d’augmenter la capacité de stockage. »
Mini-barrages
Le Rivière-des-Anguilles Dam devrait voir le jour pour améliorer la distribution d’eau dans le Sud. Prem Saddul aurait néanmoins préféré que ce projet, repoussé à plusieurs reprises, soit abandonné. « Dans le Sud, il y a six rivières majeures et 15 agglomérations importantes. On aurait pu construire des mini-barrages pour récupérer toute l’eau qui part à la mer. Ces infrastructures coûteraient moins cher et seraient prêtes plus rapidement. On peut également utiliser des unités de traitement d’eau portables pour injecter l’eau dans le réseau de la CWA », propose-t-il.
L’eau, essentielle en permanence pour toute activité, ne peut pas être fournie aux habitants quelques heures par jour, pense-t-il. « On ne peut pas continuer ainsi. L’eau est importante. Il faut donc un service 24/7 avec une bonne planification et non un laisser-aller. À ce jour, la CWA joue les pompiers. Cela ne doit pas être le cas. Il faut plus de proactivité que de réactivité. »
Réduire les pertes
Farook Mowlabucus, hydrologue et ex-cadre de la Water Resources Unit, explique que la fourniture d’eau demeurera un problème tant qu’on ne prendra pas le taureau par les cornes. Pour lui, la première chose à faire est de travailler et investir pour réduire les pertes dans le réseau de la CWA. « Cela va perdurer aussi longtemps que les pertes, qui sont de 50 %, ne seront pas réduites. Si ces pertes diminuent, il y aura plus d’eau pour la distribution. Ces pertes sont sur tout le réseau de la CWA et affectent donc toute la population. »
Pour lui, il faut commencer quelque part pour obtenir une amélioration. « La réparation des fuites doit être une priorité. Si l’on arrive à réparer un certain pourcentage, cela apportera un gros soulagement en attendant la construction du Rivière-des-Anguilles Dam qui ne devrait pas être prêt avant quatre ou cinq ans étant donné que le chantier n’est pas entamé. »
Augmenter la capacité
Comme le réservoir de la Nicolière peine à fournir la population du Nord, Farook Mowlabucus se prononce en faveur de la construction du Calebasses Dam, qui avait été suggérée dans un plan proposé il y a déjà plusieurs décennies. « Il faut peut-être revoir la capacité et d’autres détails pour être en phase avec les besoins d’aujourd’hui. Pour la région de Rivière-Noire, on pourrait envisager le Mon-Vallon Dam. Évidemment, ce n’est pas dans 20 ans qu’il faudra réaliser ces projets. »
En ce qui concerne les régions les plus affectées par le manque d’eau, l’hydrologue plaide pour l’organisation d’une table ronde avec divers acteurs concernés pour voir comment améliorer la situation. « De l’eau de certains réservoirs peut être canalisée vers ces endroits. Il y a un plan à faire. »
Dessalement
Pour Harry Bauluck, ancien directeur général de la CWA, on ne doit pas être dépendant de la météo mais, au contraire, dompter la nature. « La seule solution est le dessalement de l’eau de mer. On a trop tardé dans ce domaine. Certes, le dessalement a un coût mais tôt ou tard, il faudra y avoir recours pour pouvoir assurer une fourniture d’eau 24/7 à la population. » À titre d’exemple, à Hong Kong, 90 % des besoins en eau sont couverts par le dessalement.
Moyens et compétences
Prem Saddul se montre très critique vis-à-vis de la gestion de la CWA. « Il faut ‘the right man in the right place’ si l’on veut voir du changement. Au poste de General Manager, on a besoin d’un expert en hydrologie et géologie. C’est cela le plus grand mal à Maurice : on nomme des personnes même si elles ne sont pas compétentes. »
Il déclare, de plus, qu’il faut donner les moyens financiers à la CWA. « Il faut injecter de l’argent si l’on veut voir une amélioration. Il faut aussi doter l’organisme de nouvelles technologies, dont les ‘smart meters’ », souligne le géomorphologue.
Responsabiliser la population
Parallèlement, Farook Mowlabucus insiste sur la nécessité de sensibiliser les citoyens à une utilisation judicieuse de l’eau. « On a tendance à gaspiller l’eau et à ne réaliser son importance que lors des périodes sèches. Il y a un travail à faire en amont pour responsabiliser les gens. » Il rappelle que le tarif de l’eau à Maurice est bas comparé à beaucoup de pays du monde. Selon lui,
augmenter le prix permettrait non seulement de lutter contre le gaspillage, mais aussi d’avoir plus de fonds pour l’amélioration du réseau. « Seulement, pour augmenter le tarif, la CWA a besoin de l’aval du gouvernement. C’est là que commencent les problèmes car ce serait une mesure impopulaire. Mais si l’on n’augmente pas le tarif, on n’a pas de revenus pour améliorer et renouveler le réseau. Le financement du gouvernement n’est pas suffisant. La question est : veut-il soulager la population ou remporter les élections ? » demande l’hydrologue.
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