Quel est l’état de l’Église mauricienne à la veille de la visite du pape François à Maurice et quels sont ses défis ? Membre de la Compagnie de Jésus, le père Georges Cheung, ministre de la Résidence Saint-Ignace, à Rose-Hill, évoque les réalités de l’Église mauricienne dans le contexte de cette visite et fait ressortir la complexité, ainsi que les exigences de l’engagement spirituel dans un monde en perpétuelle mutation.
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Quelle peut être la pertinence du message du pape François dans un monde où les valeurs traditionnelles sont mises à mal par la recherche à tout prix de la réussite, lui qui est issu des rangs des jésuites comme vous ?
être jésuite ne le distingue pas nécessairement de ses prédécesseurs. C’est surtout le fait d’être originaire de l’Argentine, un pays ayant connu des bouleversements socio-économiques et politiques au moment où il a été évêque. Il porte en lui une très forte conscience sociale, comparé au pape Benoît qui, lui, était issu du milieu de l’enseignement, et dont les textes, que j’ai pu lire, reflètent surtout une véritable qualité intellectuelle. Quant au message du pape à Maurice, j’imagine que ce sera un texte d’encouragement, compte tenu du fait qu’il sait que l’île Maurice est un pays pluriethnique et pluri-religieux. Il sait que le monde a besoin d’encouragement face aux problématiques de tout ordre, mais aussi à l’intérieur même de l’Église, dont la perte des vocations et les cas de pédophilie.
Est-ce que ces deux problématiques sont inquiétantes à Maurice ?
C’est vrai que le clergé est vieillissant et la chute des vocations fait partie d’une réalité sociale générale liée au vieillissement de la population. L’Église, comme institution faisant partie de la société mauricienne, n’y échappe pas. En ce qu’il s’agit de la pédophilie, il n’y a eu qu’un cas avéré à Maurice, mais c’est toujours un cas de trop et je ne m’en réjouis pas. Mais nous ne sommes pas dans la même ampleur que les États-Unis ou l’Irlande. Cela dit, il faut se demander comment une personne qui s’engage dans la prêtrise, avec des intentions louables, arrive à se perdre. Cette question nous donne à réfléchir sur notre formation. Dans cette période de pénurie de prêtres, cela se complique avec d’autres problèmes qui, en temps normal, ne sont pas liés. Toutefois, à cause de cela, on risque d’accabler les prêtres, en oubliant le fait qu’ils peuvent avoir des moments de faiblesse. Moi, j’essaie de comprendre.
Il porte en lui une très forte conscience sociale, comparé au pape Benoît qui, lui, était issu du milieu de l’enseignement »
Comment l’Église compose-t-elle avec un monde hyper-connecté par les réseaux sociaux, où l’information est diffusée en temps réel et souvent sans filtre ?
C’est un véritable défi posé à chacun d’entre nous, car l’individu, dont le catholique, est un être solitaire devant son ordinateur. Il est libre de visiter tous les sites qui s’y trouvent. Le Web, c’est comme un couteau : ça sert à couper les légumes, mais aussi à commettre des crimes ; c’est à l’individu de savoir s’en servir. L’Église n’ayant pas de vocation tyrannique ou totalitaire, comme certains pays dirigés par des religieux, ne compte pas demander le bannissement de ces sites, mais nous demandons constamment à nos membres de faire un bon usage de leur temps.
Est-ce que la catéchèse réussit à séparer le bon grain de l’ivraie ?
Oui, mais hors des cours, l’enseignant n’a aucun contrôle sur l’élève. D’ailleurs, il ne tente même pas de le faire, son rôle étant de mettre en garde sur la nocivité de certains sites. Cela dit, je ne sais pas s’il y a un projet destiné à l’éducation précise des jeunes.
De nos jours, les paroles d’un pape peuvent-elles peser sur les consciences ?
Oui et non. Oui, en sa capacité de chef spirituel. Lorsqu’il s’adresse aux chrétiens et catholiques, il leur rappelle les valeurs fondatrices du christianisme, leurs engagements liés à leur foi. Mais, nuance, il n’est pas dans l’endoctrinement ou le bourrage de crâne, car l’Église ne force personne à devenir chrétien. L’Église appelle au dialogue avec toutes les autres confessions, y compris le monde athée. Dès lors que ce dernier éprouve des sentiments humanistes, le dialogue devient possible.
Comme chef d’État, lié par le caractère temporel de son ministère, le pape connaît aussi les contraintes de la vie, face aux choix en matières sociale, économique, écologique, pédagogique ou culturelle. Il est bien présent dans ces réalités. Aussi, lorsqu’il se rend d’un pays à l’autre, comme en ce moment en Afrique, c’est pour s’imprégner de ces réalités. Souvenez-vous que c’est grâce aux bons offices du Vatican qu’il y a eu le réchauffement des relations entre Cuba et les États-Unis.
Le Vatican n’a pas toujours eu ces soucis-là…
Chaque pape a été confronté aux réalités de son époque, de Saint Pierre aux temps modernes en passant par l’époque des Borgia… Lorsqu’est survenue la chute de l’empire romain, il a échu au Vatican de défendre la cité. C’était un Vatican « militaire », comparé au caractère spirituel de la papauté sous Saint Pierre.
Le Web, c’est comme un couteau : ça sert à couper les légumes, mais aussi à commettre des crimes ; c’est à l’individu de savoir s’en servir »
Les Borgia ont aussi apporté leur lot de scandales…
Il faut faire la part du vrai et du faux, s’agissant de la famille Borgia. Leur vie scandaleuse est malheureusement un lieu commun dans la société de l’époque, comme les débordements du Mardi gras. Cela dit, et ce n’est en rien une excuse, il faut aussi essayer de comprendre le contexte historique de leur vécu.
Qu’en est-il des relations du pape Pie XII ? A-t-il eu une position ambigüe face aux Nazis ?
Ici aussi, il faut essayer de comprendre la position du Vatican face aux Nazis. Fallait-il condamner le nazisme ouvertement au risque de mettre en péril les catholiques qui se trouvaient en Allemagne ? Je pense que le pape Pie XII s’était retrouvé dans un étau, face à des enjeux qui dépassaient les frontières du Vatican. A-t-il fait des erreurs lui valant d’être accusé de complicité avec les Nazis ? Je pense qu’il s’était retrouvé dans une situation inconfortable.
Que restera-t-il de la deuxième visite d’un pape à Maurice ? Un privilège, une fierté ?
S’il vient à Maurice, - le voyage n’était pas à son agenda, c’est à l’invitation du gouvernement et de l’évêché -, ce n’est pas par opportunisme. Il a été bien briefé sur la réalité de Maurice, qui doit certainement l’intéresser, mais en même temps, sa présence à Maurice doit être une opportunité pour nos gouvernants d’être mieux à l’écoute des voix discordantes, de dépasser la politique partisane. Maurice gagnera davantage de visibilité, mais en même temps, elle appelle notre classe politique à davantage de tolérance, de respect et de justice sociale. Fierté et privilège, certes, mais il faut saisir cette occasion pour motiver les Mauriciens. Le pays a accompli des progrès notables dans ces registres, mais aussi en termes de « vivre-ensemble ». Nous ne sommes ni au Liban ni dans certains pays africains toujours en proie aux guerres civiles, aux dictatures militaires ou à une corruption qui tue tout développement. Nous avons survécu à deux émeutes, celle de 1967 et celle plus récente liée au sort du chanteur Kaya. Mais cette folie est toujours possible. Nous devons rester vigilants.
Cette visite servira-t-elle à l’Église face à ses défis ?
Le défi de l’Église, c’est de s’inscrire dans son temps, de n’être ni tyran ni esclave de la réalité. Elle doit éduquer les consciences. Il fut une époque où l’Église gouvernait sur tous les aspects. Aujourd’hui, la foi fait corps avec l’intelligence. Elle n’est plus aveugle, comme on le disait autrefois, elle est liée à la raison. La foi doit être en équilibre avec l’intelligence, c’est difficile, mais tout équilibre est difficile.
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