Société

Pêcheuses au casier: Vivre des fruits de la mer

Depuis la nuit des temps, la mer nourrit l’homme. Maurice étant entouré d’eau, les femmes au foyer mauriciennes ont également choisi d’en tirer avantage. Rencontre avec ces dames pour qui la mer est un gagne-pain. La pêche a toujours fait partie de la vie de certains Mauriciens. C’est un métier qui se transmet de génération en génération. Il n’y a pas d’âge pour aimer la mer. Et Marie Ricky Cindy Scott en est la preuve vivante. Cette mère de 38 ans ne jure que par la mer et en a fait son gagne-pain. Avec des parents qui sont aussi pêcheurs, elle a forcément grandi dans cet environnement. « Quand j’étais enfant, je me rendais en mer avec mes parents. C’est de là que vient ma passion. Je suis pêcheuse à plein temps, depuis la naissance de ma fille. Les plus âgés que moi me conseillent de changer de métier, tandis que d’autres m’encouragent. J’aime la mer et être sur l’eau me procure une sensation indescriptible », explique cette habitante de Bambous-Virieux. « Je pêche au casier avec ma mère en haute mer, parfois sous un soleil de plomb et d’autres fois sous une pluie battante », raconte la pêcheuse. « Nous sortons, quand la mer le permet, dès 6 heures. C’est dur, mais assister au lever d’un soleil incandescent qui danse sur les flots est une belle récompense », ajoute-t-elle.

Modus operandi

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"17642","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-29976","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"peche"}}]]Il est 7 heures. La pêcheuse s’apprête à prendre le large. « Je prends avec moi un gilet de sauvetage, un imperméable, une canne à pêche, une ligne et le repas, entre autres », raconte la pêcheuse. Elle emporte aussi des casiers fabriqués avec du fer et largue les amarres. Elle a des appréhensions : celle de ne pas rentrer avec de belles prises, voire de ne pas rentrer tout court. « Je pose les casiers en fer dans ma pirogue et je me dirige vers Grand-Sable, tantôt à Pointe-aux-Feuilles, tantôt à Vieux-Grand-Port, dépendant de la marée », ajoute-t-elle. « Le lendemain, je vais chercher les appâts, soit des goémons, et le jour d’après, je vais à nouveau poser des casiers », relate-t-elle. À bord de la pirogue, l’organisation est bien huilée. La pêcheuse est à la barre et sort les casiers de l’eau. Sa mère récupère les poissons, homards et crabes. Munie de sa règle, elle fait le tri et garde ce qui est réglementaire. « On remet à l’eau les prises en dessous de 87 mm. C’est important pour la gestion des ressources marines. En faisant cela, on assure la survie même de notre métier. » Dans la foulée, la mère de Cindy réinstalle les appâts dans les casiers qu’elle remet à l’eau, au signal de sa fille. Elles répètent ces gestes des dizaines de fois, jusqu’à environ midi. « Chacun a son rôle. On sait ce qu’on doit faire et à quel moment. D’ailleurs, on se parle très peu pendant les manœuvres. Il faut rester concentré pour éviter tout accident », explique la pêcheuse. « Je pose mes casiers et je relève ceux de la veille. Nous pêchons des cordonniers, des cateaux, des rougets, des vieilles, des capitaines, parfois des homards et des crabes », dit-elle. Sa journée ne s’arrête pas là, car elle cueille des algues sur la côte près de Le Bouchon. Selon Marie Ricky Cindy Scott, les prises rejoindront ensuite les marchés de la région. « Je ne regrette absolument pas mon choix ! On travaille à l’air libre, avec des paysages magnifiques, dont je ne me lasse pas », confie-t-elle. « L’hiver, comme on sort moins en mer, je nourris des pondeuses », poursuit-elle. Cindy n’est pas la seule pêcheuse dans sa région. « Nous sommes sept pêcheuses ici. Mais je peux dire qu’il n’y aucune animosité, jalousie ou compétition entre nous. Nous collaborons et quand le temps n’est pas terrible, nous nous regroupons au débarcadère », explique-t-elle. « Ce métier ne me fait pas peur et je ne vais pas arrêter de pêcher, car c’est ma seule source de revenus à l’heure actuelle. Travailler en mer n’est pas facile. Il faut vraiment le faire par amour. Il faut être toujours accompagné. Je travaille sept jours sur sept, avec une routine bien établie. J’ai grandi avec la mer. C’est toute ma vie. Pour moi, c’est plus une passion qu’un travail. J’espère faire ce métier le plus longtemps possible », dit la pêcheuse.

Une femme surprenante

Lajwantee Seesahye, aussi connue comme Surekha, possède sa carte de pêcheur professionnel depuis plus de 15 ans. C’est une femme surprenante. Elle est l’une des premières à exercer le métier de pêcheur dans le village de Chemin-Grenier. Aujourd’hui, à 50 ans, elle est toujours là, tous les matins au Morne, prête à embarquer. Pendant des années, cette mère de deux enfants a accompagné son époux Bijay en mer. Ce n’est pas par challenge que Lajwantee s’est lancée dans ce métier. « Ce n’était pas pour faire comme mon mari, mais on avait besoin de l’argent », raconte-t-elle. « L’usine pour laquelle mon époux et moi travaillions a fermé ses portes. On a estimé que cela ne valait pas la peine de continuer dans une autre usine pour connaître le même sort », poursuit-elle. Bijay décide alors de faire comme ses frères et se tourne vers la pêche. Sa femme le suivra par la suite.

La pêche au casier est utilisée, dans le lagon et en dehors des récifs, pour attraper poissons et crustacés. Des appâts attirent les petits poissons qui, eux-mêmes, attirent de plus gros. Une fois dans le casier, ceux-ci ne peuvent plus s’enfuir. Les casiers sont placés à des points stratégiques et peuvent rapporter beaucoup de poissons aux pêcheurs expérimentés. La seule règle à respecter est une taille de maille supérieure à quatre centimètres de diamètre, afin de ne pas capturer de trop petits poissons. Cette méthode n’est pas aussi performante que la pêche à la senne, mais elle ne dégrade pas l’environnement marin, tant que le casier n’est pas posé sur des coraux.

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[row custom_class=""][/row] Dans un premier temps, elle épaule son époux en nattant les casiers. « Il était très difficile pour nous d’arrondir les fins de mois, puisqu’on devait subvenir aux besoins de nos enfants qui grandissaient. C’est là que je me suis résolue à accompagner mon époux en mer », relate-t-elle.  « Au début, les parents m’ont fait peur avec leurs appréhensions, mais j’ai réfléchi à ce que ce travail pourrait rapporter à la famille. » En attendant 6 h 30, l’heure à laquelle elle s’occupe de son fils et de sa fille, Lajwantee se lance dans ses tâches ménagères. « Je commence tôt pour avoir un peu plus de temps pour natter mes casiers », indique-t-elle. C’est avec de longs bambous trouvés dans les bois et des branches de goyave de Chine qu’elle natte les casiers. Selon Lajwantee, sans son époux, elle n’aurait jamais songé à devenir pêcheuse. Elle a appris à prédire les conditions de la mer, du haut du toit de sa maison. « Nous regardons aussi la marée en fonction de la lune. S’il y a nouvelle lune ou par temps de pleine lune, il existe de gros courants, tandis que si la lune est à moitié visible, les courants seront normaux », fait-elle observer.

Rituel

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Chez les Seesahye, la journée de travail commence aux aurores, soit à 4 h 30. Chaque jour avant d’aller pêcher, ce constat est devenu un rituel obligatoire. La mer, que Lajwantee et son époux observent pendant quelques secondes, est celle de Sainte-Marie, tout près de Rivière-des-Galets. « Nous écoutons les prévisions météorologiques, mais on ne s’y fie pas tout le temps », dit-elle fièrement. L’époux de Lajwantee monte sur le toit de sa maison et scrute attentivement l’horizon avant de donner son avis. « La mer est houleuse. Regardez, dit-il en expert, la mer est forte, ça ‘roule’ derrière les brisants. Mais devant, c’est un peu plus calme. On peut y aller. » Pour Lajwantee, pas question de porter des pantalons. Vêtue d’une robe troquée contre un jogging, un t-shirt et un sweat-shirt, la pêcheuse s’assure que le matériel, les masques, les paniers et l’essence sont prêts. La formation, organisée par le ministère de la Pêche, qu’elle a suivie en 2001, lui a été fort utile. Elle sait manœuvrer la pirogue, à la voile et à moteur, pour entrer et sortir du lagon. Elle accompagne chaque jour son mari. Elle pêche à la ligne, tandis que son époux utilise le harpon ou le casier. Elle relate que le mal de mer a été l’étape la plus difficile à surmonter. Elle ne sait pas nager. Toutefois, ce handicap n’est pas trop préoccupant, car elle reste dans la pirogue. Pêcheur dans les eaux du Morne, à l’approche des brisants, Bijay se jette à l’eau. C’est Lajwantee qui se charge de jeter l’ancre. Elle suit les mouvements de son mari. Quand ce dernier ramène le casier, elle le récupère et le vide dans la pirogue. « À chaque fois que mon époux s’avance en mer, je lève l’ancre et je dirige le bateau. Je ne me protège jamais le visage ou les mains en triant les poissons. Je sais maintenant quels sont les poissons toxiques. Je jette à la mer certaines prises non comestibles ou blessées », dit-elle.
 

Difficultés

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Lajwantee souligne que quand le temps est mauvais ou en saison hivernale, il est plus sage pour le couple de fabriquer les casiers qu’il stocke que de se croiser les bras en attendant une compensation. « Durant les grosses averses, nous sommes contraints de rester à la maison. C’est toujours décourageant, car l’argent ne rentre pas et les casiers sont entre les coraux. Il peut arriver qu’un autre pêcheur trouve l’un de nos casiers et les prises. Cela équivaut à une grosse perte. Nous percevons une somme de Rs 210 en guise de compensation, quand la mer n’est pas bonne. » Lajwantee fait observer que les revenus de la pêche ont financé la construction de leur maison et ont amélioré leur confort. « Aujourd’hui, je suis fière du succès de mes deux enfants. Mon fils est un gradué en Graphic Design et ma fille est dans la force policière. » Son époux la considère comme une coéquipière, un bras droit qui lui inspire courage et volonté. Il estime que, sans elle, ses prises seraient moins nombreuses. « Ma femme est exceptionnelle. Elle a vite appris le métier, que ce soit en mer ou pour faire les casiers. J’ai de la chance de l’avoir », dit-il fièrement. « Je n’aurais pas songé à faire ce métier si mon époux n’était pas là. Il y a une belle complicité entre nous. C’est mieux qu’on fasse le même métier. L’un aide l’autre. Cela nous permet de surmonter toutes les épreuves. » La pollution et le changement climatique font que ces derniers peinent à gagner leur vie. Toutefois, ils continuent à exercer ce métier difficile.  
 

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