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Pauvreté : un fléau à la peau dure

Pauvreté

Tous les ans, l’État investit des sommes colossales pour essayer d’éradiquer la pauvreté avec le concours de diverses Organisations non-gouvernementales. Mais celle-ci semble avoir la peau dure. Comment briser le cercle infernal de la pauvreté et en même temps changer le regard des gens sur les pauvres ? Quelques éléments de réponse.

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« Il faut changer notre façon de voir les pauvres. On verra alors les efforts et les sacrifices que font les familles pauvres pour arriver chaque jour, contre vents et marées, à faire bouillir la marmite et à élever leurs enfants », indique Cassam Uteem, président d’ATD Quart Monde International. Il est d’avis que nous souffrons de « pauvrophobie », soit le rejet des pauvres. « Il faut veiller au respect des droits humains et fondamentaux des plus pauvres. »

Reza Damaree, de la Société Masjid-an-Nawabi, reconnaît également que de nombreuses personnes qui vivent en situation précaire font des efforts pour sortir du cercle infernal de la pauvreté. Mais certaines demandent à être accompagnées et encadrées. Selon elle, à travers certaines formes d’aides, la pauvreté est perpétuée. « Nous ne pouvons rester les bras croisés mais il ne faut pas trop en faire car cela encourage l’assistanat », explique-t-il.

La Société Masjid-an-Nawabi, par exemple, a trouvé le bon compromis, selon Reza Damaree. L’ONG vient en aide à toutes les familles nécessiteuses sans aucune distinction. Elle leur accorde ce dont elles ont besoin, mais cette aide est à durée limitée, le temps que la famille arrive à se prendre en charge. Pour que celle-ci arrive à s’en sortir, l’ONG encourage l’entrepreneuriat et soutient les entrepreneurs en herbe en cas de besoin. De plus, elle mise beaucoup sur l’éducation des enfants afin que ceux-ci puissent, par la suite, avoir un emploi stable et subvenir aux besoins de la famille.

Pascal Herry, coordinateur national de Caritas Île Maurice, estime qu’il est « important d’accompagner les familles afin qu’elles puissent se prendre en charge ».

Cassam Uteem, Reza Damaree et Pascal Herry, s’accordent à dire que donner aux pauvres de la nourriture ou un logement social ne suffit pas pour combattre la pauvreté. « Il faut une politique nationale pour sortir les gens de ce cercle infernal », disent-ils. Il faut également qu’ils aient accès aux loisirs et à des occupations diverses pour ne pas tomber dans la délinquance, souligne Reza Damaree. Et à Cassam Uteem d’ajouter que ce qui fait cruellement défaut, « c’est l’accès à la culture pour les familles pauvres ».

Selon l’ancien président de la République, « ils ont des droits sociaux et économiques dont ils sont aujourd’hui dépourvus ». Et d’ajouter que les droits sociaux fondamentaux doivent être inscrits dans la Constitution.

« La pauvreté est comparable à un monstre à plusieurs têtes. Pour arriver à le terrasser, il faut toutes les couper, en même temps de préférence », soutient Cassam Uteem. Combattre la pauvreté, dit-il, « est une lutte de tous les instants et qui se fait sur plusieurs fronts à la fois ».

Harmonisation

Pascal Herry, partage cet avis. Il insiste que les services proposés par les différents ministères (de la Sécurité sociale, de l’Éducation, du Logement et Terres, de la Santé ou du Travail) qui sont destinés aux personnes nécessiteuses doivent prendre en considération plusieurs dimensions.

Pascal Herry plaide également en faveur d’une « harmonisation des services » mais il insiste aussi sur l’importance « de revoir les critères de chaque ministère afin d’éliminer les barrières administratives ».

Cassam Uteem souligne que pour venir à bout de la pauvreté, « il faut de la volonté politique et des mesures qui permettraient aux plus pauvres d’intégrer la société ». Et d’ajouter qu’il ne faut surtout pas décider pour eux, mais avec eux, en les impliquant dans le processus décisionnel. Pour le président d’ATD Quart Monde International, « c’est en allant vers eux pour les écouter qu’on pourra les aider ».


Alain Wong : « Certains se complaisent dans leur situation »

On a beaucoup fait pour venir à bout de la pauvreté mais elle perdure. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
Depuis que le ministère de l’Intégration sociale a été créé et que la National Empowerment Foundation (NEF) a été fondée en 2009, le nombre de bénéficiaires aux programmes d’aide a augmenté. De 9 000, ce chiffre est passé à 40 000 au début de cette année. Il y a un problème. Nous avons un ministère pour le soutien des familles pauvres mais le nombre ne cesse d’augmenter.

Sans vouloir blesser qui que ce soit, les gens sont attirés par ce qu’ils peuvent gagner. Mais nous avons constaté que certains refusent de travailler ou de déclarer qu’ils travaillent de peur de perdre l’allocation. Nous nous retrouvons alors dans une situation où nous avons créé un secteur informel où certains préfèrent ne pas travailler afin de bénéficier du Subsistence Allowance Scheme sous le Social Register of Mauritius. Car en raison d’un surplus de Rs 200, par exemple, sur leur salaire, ils n’obtiennent pas l’allocation.

Vous voulez dire que le gouvernement a créé des assistés en donnant trop d’allocation ?
Je ne dirais pas que nous avons trop donné car nous nous devons d’aider ceux qui sont dans le besoin. Mais il faut savoir comment le faire. Certaines personnes se complaisent dans leur situation de pauvreté en se disant que l’État sera toujours là pour les soutenir.

Comment changer cette mentalité d’assistanat ?
Il y a plusieurs méthodes que je souhaite mettre de l’avant. Parmi, il y a l’encadrement familial qu’il faut revoir afin que les enfants puissent vivre dans un milieu sain et sécurisant. S’il est témoin de violence entre ses parents, il ne pourra, par exemple, pas étudier convenablement.

Je pense à la mise sur pied d’internats (Boarding schools) pour les enfants qui vivent dans des poches défavorisées. Ils pourraient rester à l’internat du lundi au vendredi et rentrer chez eux le week-end.

Ils seront alors coupés d’un milieu où ils n’ont pas la possibilité de faire leurs études et cela leur permettra de vivre dans un environnement où ils seront mieux encadrés.

Il faut également trouver une formule pour promouvoir le sens de la responsabilité au sein des familles.

Qui va encadrer ces enfants dans les internats ?
C’est une idée que je propose. Il faut réfléchir à l’encadrement que nous allons offrir à ces enfants. Des officiers de mon ministère travaillent déjà dessus. Nous allons trouver les moyens de réaliser ce projet, avec la collaboration du ministère de l’Éducation bien évidemment. Nous devons former des éducateurs solides pour soutenir ce projet afin de ne pas nous retrouver dans une situation où nous n’arrivons pas à gérer les enfants indisciplinés.


Ruby : « Sityasyon bien komplike parfwa »

Ruby* et sa famille ont sombré dans la pauvreté au fur et à mesure que le coût de la vie a augmenté. Avec des emplois précaires, son conjoint et elle arrivent difficilement à joindre les deux bouts.

« Kot nou gayne nou batt bate », explique Ruby, mère de quatre enfants âgés entre 4 et 15 ans. Son conjoint et elle arrivent difficilement à trouver Rs 6 000 pour nourrir la famille. Elle « travay kot madam » en faisant du repassage ou le ménage et ne touche que Rs 2 500 quand elle arrive à trouver du travail. Son compagnon, lui, est aide-chauffeur et perçoit Rs 2 000 par quinzaine.

Dans leur modeste maison dans un faubourg de la capitale, la famille tente de survivre. Ce qui leur sert de maison n’est qu’une case d’une pièce faite de bois et de tôle qu’il a fallu séparer en deux : la cuisine et l’unique chambre où dorment tous les membres de la famille. Pour les toilettes et la salle de bains, ils doivent compter sur le bon vouloir de leurs voisins.

Cela fait plusieurs années déjà que la famille habite cette maison et tous les mois, il lui faut trouver de quoi payer le loyer, l’eau et l’électricité. Mais en dépit de leurs conditions modestes, la famille fait de son mieux pour s’en sortir. D’ailleurs, tous les enfants sont scolarisés. Ils bénéficient pour cela du soutien de Caritas Île Maurice. « Zot donn nou kan nou pena manze me sitiasyon bien komplike parfwa », concède-t-elle. Grâce à cette ONG, les enfants ont de quoi manger le matin avant d’aller à l’école et à l’heure du déjeuner.

Ruby précise qu’elle aurait bien aimé pouvoir s’en sortir et avoir un logement décent mais elle réalise qu’avec leurs emplois précaires, ce sera très difficile. « Si nous avions un travail stable, cela aurait été plus facile pour nous de subvenir aux besoins de notre famille », reconnaît-elle.

*Prénom modifié

 

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