Economie

Passeport et nationalité aux étrangers : l’enjeu économique sur fond de riposte sociale

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La mesure budgétaire visant à octroyer la nationalité mauricienne ou le passeport mauricien aux richissimes investisseurs étrangers semble voler la vedette à d’autres mesures populaires. La polémique enfle sur ce sujet sensible, avec la résistance de la société civile qui s’organise et l’opposition voulant damer le pion au Premier ministre. Mais pourquoi cette mesure fait mal ?

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La grande ouverture de l’économie aux étrangers, surtout dans le secteur immobilier durant la dernière décennie, a toujours suscité des débats passionnés. Alors que l’économie dépend énormément sur l’influx des investissements étrangers, l’idée de voir des étrangers acquérir des biens immobiliers ou encore contrôler des secteurs d’activités n’a pas toujours plu à tout le monde.

Et, maintenant l’annonce de l’octroi de la nationalité mauricienne ou du passeport mauricien aux riches étrangers qui peuvent contribuer des dizaines de millions de roupies au Mauritius Sovereign Fund interpelle à la fois la classe politique et la société civile. Est-ce une bonne décision ? D’un côté, le pays a besoin d’investissements et de talents, de l’autre, il faut mesurer les conséquences socio-économiques.

La spéculation foncière, la concurrence du marché, l’émergence des zones résidentielles exclusives à forte concentration de ressortissants étrangers, le recours aux salariés étrangers par des entreprises locales et le recrutement des étrangers par des entrepreneurs étrangers opérant à Maurice sont autant de facteurs qui expliquent la réticence de beaucoup de personnes à accueillir l’ouverture de nos frontières économiques. Et l’octroi éventuel de la nationalité à quiconque disposé à débourser un million de dollars US ou le passeport mauricien à 500,000 dollars semble être la goutte d’eau qui va déborder le vase.

C’est quoi la mesure ?

La stratégie du Premier ministre et ministre des Finances vise à accorder  la nationalité mauricienne à des investisseurs étrangers qui peuvent contribuer un million de dollars dans un fonds de l’État. Pour transmettre la nationalité à un membre de sa famille, le détenteur devra débourser une somme additionnelle de 100,000 dollars.  À noter que l’obtention de la nationalité donnera au détenteur le droit de travailler, le droit de vote, l’éligibilité à une élection et le droit d’acquérir des biens immobiliers n’importe où à Maurice. Pour ceux qui ne veulent pas la nationalité, mais seulement le passeport mauricien, le gouvernement impose une contribution de 500,000 dollars à la caisse de l’État. Cette catégorie de citoyens étrangers n’aura pas le droit de voter ou d’acquérir des biens immobiliers.

Pourquoi demander un passeport et pas la nationalité ?

Certains pays, à l’instar de l’Inde et de la Chine, n’accordent pas le droit à leurs citoyens de détenir une double nationalité. Les ressortissants de ces pays ne seront pas intéressés avec la nationalité à moins qu’ils acceptent de perdre leur nationalité d’origine. Par contre, détenir un passeport mauricien permet d’accéder à plus d’une centaine de pays du monde sans visa, ce qui facilite le déplacement des hommes d’affaires internationaux.

La double nationalité

Certains pays n’autorisent pas leurs citoyens à détenir une double nationalité. Par exemple, l'Azerbaïdjan, la Chine, la Géorgie, le Congo, le Japon, l’Ukraine, la Norvège, les Pays-Bas et l’Inde. Par contre, plusieurs pays ont mis sur pied de programmes d’octroi de la nationalité aux investisseurs. Saint-Christophe-et-Niévès fut le pionnier en 1984, puis Malte et Chypre ont franchi le pas, en 2012 et 2013. La Bulgarie et l’Autriche offrent également cette facilité, de même que l’Antigua-et-Barbuda, le Dominique, la Grenade, le Monténégro et le Vanuatu. À noter que depuis octobre 1995, les Mauriciens ont le droit de détenir une double nationalité. Ainsi, des dizaines de milliers de membres de la diaspora mauricienne détiennent une double nationalité. C’était une des conditions imposées par le PMSD à l’époque pour faire son entrée dans le gouvernement MSM.


Dick Ng Sui Wa : « C’est une mesure louable »

Dick Ng Sui WaL’avocat Dick Ng Sui Wa, qui est aussi conseiller juridique en matière d’investissements, trouve que c’est une bonne chose d’accorder la nationalité à des investisseurs étrangers. « Il y a des investisseurs qui n’investiront que lorsqu'ils se sentiront protégés par les lois du pays et la nationalité confère cette protection », explique l’avocat. Toutefois, il pense que les bénéficiaires doivent être assermentés à travers une cérémonie protocolaire où ils devront déclarer leur allégeance à la Constitution, aux lois du pays et aux valeurs locales.

« Je pense aussi qu’il faut avoir un quota par continent et également une limite annuelle. L’intention du gouvernement est bonne, car elle suit la mouvance adoptée par d’autres pays. » Il ajoute que l’État ne gagne presque rien avec les gros projets immobiliers du secteur privé, où les acquéreurs deviennent résidents permanents, mais au moins avec l’octroi de la nationalité, les fonds seront versés à l’État.


Dev Chamroo : « Il faut un système clair, transparent, équitable et prévisible »

Dev ChamrooDev Chamroo, consultant et ancien CEO d’Enterprise Mauritius, également ancien directeur du Board of Investment, révèle qu’il n’y a rien de nouveau dans la décision du gouvernement d’octroyer la nationalité aux investisseurs étrangers. « Dans le passé, le pays a octroyé la nationalité aux investisseurs, principalement des Hongkongais, Taïwanais et Singapouriens. La différence, c’est qu’il n’y avait aucun programme ou Scheme, mais que le bureau du Premier ministre utilisait son pouvoir discrétionnaire. » Ensuite, poursuit-il, il y a eu d’autres programmes, à l’instar du Permanent Residence Scheme (PRS) en vertu duquel des étrangers obtenaient une résidence permanente en apportant 500,000 dollars à Maurice. Bon nombre de ces bénéficiaires furent naturalisés par la suite, selon les dispositions de la Mauritius Citizenship Act et ils ont investi dans divers secteurs de l’économie.

« La résidence permanente à l’époque était à vie, contrairement à la résidence permanente octroyée depuis 2006, qui est d’une durée de 10 ans seulement », précise notre interlocuteur. Dev Chamroo explique que les résidents permanents pouvaient acquérir un bien immobilier sur une superficie de terrain ne dépassant pas 1,25 arpent, alors qu’aujourd’hui, ils n’ont droit qu’à un appartement dans un complexe de trois niveaux au minimum. « Cela a diminué l’attrait du permis de résidence permanent. Aujourd’hui, alors que le gouvernement lui-même ne construit plus de logements sociaux en hauteur, on force les détenteurs de PR à se contenter d’un appartement, ce qui décourage les investisseurs. »

Accueille-t-il l’octroi de la nationalité ? À cette question, Dev Chamroo répond qu’il n’y a rien de mal, aussi longtemps que le programme soit régi par un cadre légal approprié, avec tous les paramètres nécessaires. Cependant, il observe que, dans le passé, on préparait la loi et ensuite on lançait le Scheme, mais cette fois, on a déjà annoncé la mesure alors que le cadre légal n’est pas prêt. Il préconise un ‘rule-based system’ où les procédures sont clairement définies et met en garde contre toute tentative de pouvoir discrétionnaire du ministre ou du Premier ministre.

« Il faut suivre l’exemple de Rama Sithanen qui, en 2006, avait délaissé sa prérogative en tant que ministre des Finances en faveur d’un système clair et transparent. » Et qu’en est-il des dangers, comme soulèvent les critiques ? Dev Chamroo dit que l’enjeu est économique et qu’il n’y aura aucun risque si le système est bien défini, car on ne va quand même pas octroyer la nationalité ou un passeport sans un exercice de ‘due diligence’ et les vérifications d’usage par les services de l’immigration, comme cela se fait pour les permis de résidence. Il conseille aussi d’éviter des clauses de loi sujettes à des interprétations subjectives, laissant la porte ouverte aux abus.

Les avantages de la nationalité mauricienne

En acquérant la citoyenneté mauricienne, les investisseurs étrangers pourront mieux planifier leurs projets à long-terme à Maurice et bénéficier des avantages fiscaux. Actuellement, des investisseurs hésitent à investir dans des projets de grande envergure en raison de leur statut de résident qui est sujet aux changements fréquents de la politique du gouvernement.

Ils peuvent aussi acquérir des biens immobiliers hors des programmes PDS/RES/IRS. La qualité de vie à Maurice attire, car nous sommes un pays tropical, stable et démocratique. Le passeport mauricien est aussi largement reconnu dans le monde, offrant l’accès facile dans plus d’une centaine de pays.

 

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