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Musique : des troubadours dans la capitale

Gérard fait aussi dans la ‘tirolienne’, un style hérité de son papa. Gérard fait aussi dans la ‘tirolienne’, un style hérité de son papa.

Sans jouer l’Almaviro du Barbier de Séville de Beaumarchais, voilà deux hommes qui ont choisi une façon bien à eux de plaire aux passants en chantant. Certains d’entre ceux-ci s’attardent pour leur jeter une petite tune dans leur escarcelle. Plus qu’une aumône, c’est un clin d’oeil amical.

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En parcourant les rues John Kennedy et La Chaussée à Port-Louis, surtout aux heures de pointe, l’on ne peut s’empêcher de s’attarder sur de douces notes musicales que charrie le vent. Ces mélodies viennent de deux p’tits bonshommes. Ces deux gars s’asseyent à même les trottoirs à regarder les gens passer, tant qu’il y en aura. Gérard Milate et Vayoudh Futta sont les deux joyeux lurons que ceux qui les croisent ne peuvent louper. Chacun a son répertoire musical, l’un européen et séga, l’autre du bhojpuri pur et dur,  avec souvent un zeste de mix hip-hop et des tubes à la Mike Brant.

Ces deux troubadours épousent bien le principe de captiver et de plaire sans compassion le public pour, finalement, le subjuguer au point que cet auditoire de quelques secondes leur rend hommage pour ce qu’ils font et ce qu’ils sont : d’honnêtes gens apostrophant les passants avec pour toute arme leurs instruments de musique et leur voix. Un peu à la Édith Piaf qui a démarré sa carrière dans le métro en chantant avant de devenir l’icône que l’on sait.

Toutefois, ni Gérard ni Vayoudh n’ont cette prétention démesurée. « Moi, je chante pour le plaisir et si je peux me faire quelques roupies en fin de journée, elles m’assureront au niveau de la cuisine, ma compagne et moi », dit d’emblée cet homme de 56 ans, qui a roulé sa bosse en tant que technicien-électricien. Et, surtout, qui a connu les rues de Londres avec sa guitare en bandoulière.

Pour quelques sous de passants, histoire d’arrondir les fins de mois.

Chanteurs de rue

A voir Gérard assis devant le ‘outlet’ de KFC de La Chaussée, tout de noir vêtu, snickers aux pieds, une barbe drue de deux jours lui parsemant un visage tiré, chapeau feutre vissé sur le crâne, il est typé chanteur de rue. Il nous accueille avec un vibrant ‘Redemption Song’ du roi Bob Marley. Il fait du picking, arrange à sa sauce quelques passages critiques du refrain, entonne d’une voix grave, mais précise quelques autres paroles et s’arrête net en nous voyant.

Pourquoi ce choix ? « J’avais mon boulot, mais un accident ne me permet plus de le faire, alors j’ai tenté ma chance à Londres où je me faisais du fric dans les rues en jouant, certaines fois je grappillais jusqu’à plus de Rs 1 000 par jour. Je suis resté trois ans là-bas et j’ai décidé de rentrer », lâche cet homme, qui vit dans une chambrette à la rue Desroches, avec toilettes et salle-de-bains communes. « Je ne me plains pas, je chante, je joue de la guitare et les gens aiment ça, c’est comme une bouffée d’air frais que je leur offre dans cette vie à la TGV », nous dit cet homme d’une voix saccadée et rauque de temps en temps.

Son répertoire ? Eu égard  son physique, cela laisserait à penser qu’il fait dans du Bob Dylan, du Emmylou Harris, du The Boss (Bruce Springsteen), du Sia, du Hozier ou encore du Black M. Au pis aller dans du Renaud avec son fameux ‘Mistral Gagnant’. Non, pas du tout. Gérard fait dans du Désiré François, du Babalé, du Bam Cuttayen avec son ‘Pou la liberté’, qui donne encore des frissons. Et aussi des chansons en anglais. « Je chante pour le plaisir des autres avant tout, des chansons populaires pour des passants toujours pressés et qui n’ont d’oreille que pour quelques secondes avant de poursuivre leur route. Comme le dit si bien Black M : ‘Sur ma route, il y a du move, des aventures, des moments de doute et, quand tu touches le fond, tu ne sais où te réfugier’ ».

La reconnaissance

Lui, il a trouvé un doux cocon, pas sur La Manche de Paris, mais au Ruisseau du Pouce sur le parvis de KFC de La Chaussée, là où passent des gens simples et qui lui tendent la main, lui offrent un refuge. Et aussi quelques piastres. Une bonne journée peut lui rapporter en moyenne Rs 300, surtout les week-ends et les jours de fête.

L’autre est un pur produit de celui qui a rondement mené sa vie de mari, de père de deux filles et surtout de helper dans une entreprise privée et de gardien de sécurité. Vayoudh Futta a mis quelque temps avant de se jeter dans la rue avec son tambour ‘chamane,’ son tambourin, sa graine de baobab nouée au pied droit et qui fait office de batterie et sa flûte de pan. Il faut dire qu’il vient d’une famille conservatrice où le qu’en dira-t-on a pignon sur rue. « Je jouais de mes instruments à la maison et dans des fêtes familiales, mais pas question d’aller exercer mes talents en public contre quelques roupies, cela ferait tache, mais il fallait améliorer ma retraite », dit cet habitant de Triolet de 63 ans.

Comme il lui était difficile de faire bouillir la marmite à sa satisfaction et qu’il devait à tout prix arrondir ses fins de mois, Vayoudh a mis de côté la médisance pour se lancer : « J’ai planté mon territoire devant le LIC Building, là où se pressent des centaines de Mauriciens de tous âges. Au départ, ma présence avait plus une allure folklorique, un gars qui jouait du Lambada en séga ou qui faisait du remix de chansons de films en bhojpuri en hip-hop, c’est anecdotique. Après l’étonnement, place à la reconnaissance. »

La musique, une religion

Ainsi, Vayoudh s’implante au passage obligé de ces nombreux passants. Là, il leur sort ce qu’il y a de mieux dans son escarcelle de musique entre 10 et 15 heures, surtout des bandes originales de films. « Je ne m’arrête que pour aller manger, sinon je joue pour le plaisir avant tout, c’est quelque chose d’inné, un don », lâche-t-il tout sourire. Son répertoire, hormis du bhojpuri, cet habitant de Triolet fait dans du Mike Brant, du Beatles, du Denis Roussos, pour ne citer que cela.

Voilà un destin croisé de deux êtres pour lesquels la musique transcende des barrières car elle est avant tout universelle. Pour paraphraser, la musique est, tant pour Gérard que pour Vayoudh, une religion.

 

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