Interview

Milan Meetarbhan : «Les Mauriciens ont un ADN démocratique»

Milan Meetarbhan

Même sous des allures de bon enfant, les Mauriciens sont foncièrement démocrates, selon Milan Meetarbhan. Il vient de lancer son livre ‘Constitutional Law of Mauritius’ dans lequel il commente plusieurs chapitres de notre pilier dénocratique.

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Pourquoi un livre sur notre Constitution (Constitutional Law of Mauritius) ?
Notre Constitution existe depuis un demi-siècle et il était temps qu’on fasse un survol de ce qui s’est passé, tant au niveau de la pratique qu’à celui de la jurisprudence. Certains estiment qu’ils peuvent tout faire du moment la Constitution le leur permet.

Donc, selon votre lecture, il y a l’esprit de la Constitution qu’il ne faut pas négliger…
Quelque chose est constitutionnel s'il est à la fois conforme au texte et aux valeurs. Quand on n’est pas démocrate, on se réfugie allègrement derrière le texte uniquement. Il nous faut une société démocratique, une classe politique et une opinion publique avertie qui s’imprègnent de cette culture.

N’est-ce pas trop demander ?
Pas du tout. L’île Maurice et les Mauriciens ont une tradition démocratique. Les Mauriciens ont un ADN et un instinct démocratique et réagissent très mal aux dérives.

Est-ce sur le dos de la modernité que certains s’amusent à tripoter avec notre Constitution et lui donner une ‘licence to kill’ ?
Quand je dis moderniser, cela ne veut pas dire tripoter avec notre Constitution, même si elle n’est pas immuable. Dire qu’aller dans cette direction est une ‘licence to kill’ de la part des législateurs, c'est aller vite en besogne.

Vous dites que les Mauriciens sont frileux quand on touche à leurs droits fondamentaux. On les voit plutôt endormis…
On parle ici d’une culture démocratique et les Mauriciens réagissent au quart de tour quand ils jugent qu’il y a abus, même s’ils ne recourent pas à des manifestations de rue. Souvent, ce mécontentement se manifeste dans les urnes.

Quelle est votre analyse des jeunes par rapport à tout ce qui se passe autour d’eux ?
Les temps ont changé. À un moment donné, il y avait une génération attachée aux débats d’idées et d’idéologies et s’identifiait à une cause. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Tout est cyclique. Un exemple : l’année dernière, les jeunes aux États-Unis se sont identifiés à Bernie Sanders, et en Angleterre à Jeremy Corbin, considéré pourtant comme de la mouvance de l’extrême gauche. Cela montre un retour à ce débat idéologique.

Pourtant, et Sanders et Corbin sont qualifiés de «dinosaures   »…
Les valeurs et les idées n’ont pas d’âge.

Revenons au judiciaire : faut-il toujours avoir un ‘locus standi’ pour contester une décision de l’exécutif en cour ?
La règle générale veut qu’une personne qui se sent lésée ou visée par une décision ou l'application d'une loi se tourne vers le judiciaire, si elle a un locus standi. Au cas contraire, même si sa démarche est faite en tant que contribuable ou de simple citoyen, elle sera mise de côté.

À Maurice, le législateur peut s'assurer que c’est la Constitution qui se conforme à la loi»

Qu’est-ce qui prime, selon vous, la souveraineté de l’Assemblée nationale ou celle de la Constitution ?
L’interprétation stricte porte à croire que notre régime constitutionnel repose sur le principe de la suprématie constitutionnelle. La Constitution est la loi suprême ; ce faisant, toutes les lois votées par l’Assemblée nationale doivent être conformes à la Constitution. Théoriquement, Maurice serait considéré comme une suprématie constitutionnelle. Toutefois, dans la pratique, on constate que l’Assemblée nationale peut modifier la Constitution, soit après l’interprétation soit en anticipation d’une décision de la Cour suprême dans le cas d’une contestation.

Pourtant, des juristes se targuent que notre Constitution ne porte pas d’œillères pour éviter tout abus…
Une Constitution prévoit les limites des pouvoirs,  mais si un de ceux-là sont modifiés au bon vouloir du législateur, la Constitution ne peut plus jouer son rôle de chien de garde.

On en vient alors au départ du PMSD du gouvernement par rapport aux dispositions du Prosecution Commission Bill…
Ce que le gouvernement a tenté de faire en décembre 2016 était de proposer l’adoption d’une loi qui, manifestement, était contraire à la Constitution et qui risquait d’être cassée en Cour suprême. Le gouvernement voulait ainsi modifier au préalable la Constitution pour éviter toute contestation judiciaire possible. Le PMSD a refusé de cautionner une telle démarche.

Est-on arrivé à une situation où les rôles sont inversés entre le législateur et le judiciaire, selon le bon vouloir de ceux qui nous gouvernent ?
Le paradoxe vient du fait que, dans un régime démocratique, toute loi doit être conforme à la Constitution mais, chez nous, le législateur a les moyens de s’assurer que c’est la Constitution qui doit se conformer à la loi.

À vous entendre, la séparation des pouvoirs n'existerait que sur le papier…
Dans mon livre, je cite un des jugements de sir Maurice Rault quand l’Assemblée nationale avait voté une loi pour invalider un jugement de la Cour suprême. C’était un jugement ferme de sa part et qui démontrait, s’il le faut, la séparation des pouvoirs.

En clair, c’était du «  rotin bazar»
Quand le législateur avait décidé d’enlever le droit d’une remise en liberté conditionnelle à quelqu’un trempé dans un trafic de drogue allégué, la Cour suprême avait fait savoir que l’Assemblée nationale avait enlevé ce pouvoir du judiciaire et qu'il revenait à cette instance de décider d’une telle motion de remise en liberté provisoire et non le législateur.

Est-ce qu’un juge devrait-il décliner son appartenance à une quelconque loge maçonnique avant d’entendre une affaire ?
Si un juge a un conflit d’intérêts, par exemple, s’il détient des actions dans une entreprise dont l’affaire est devant lui en Cour, en règle générale il se récuse.

Une question qui taraude toujours : où commence la vie privée d’un homme public et où s’arrête-t-elle ?
La Constitution prévoit le droit à l’intimité chez soi, mais il n’existe actuellement aucune loi par rapport à la protection de la vie privée. Dans le cadre d’une révision de notre Constitution, il faudra prévoir cette protection spécifique du droit à la vie privée et prévoir des dérogations qui pourraient être nécessaires dans l’intérêt public.

Ce serait alors un boulevard pour nos politiques de brandir cette dérogation…
Si on inclut cette disposition dans notre Constitution, il faudra aussi définir les circonstances dans lesquelles ces dérogations peuvent être autorisées par la loi.

Lors du lancement de votre livre, vous avez cité comme cas d’école l’affaire Khoyratty v/s State. Expliquez-nous ?
C’est un cas de référence, car pendant plus de 40 ans, il a été dit que le seul test de validité d’un amendement à la Constitution était un procedural test. En clair, qu’il suffisait au juge de vérifier si la majorité requise pour adopter cet amendement avait été obtenue ou non à l’Assemblée nationale. Si tel est le cas, cet amendement ne peut être contesté devant la justice.

Ce qui, manifestement, n’a pas été le cas dans l’affaire Khoyratty ?
Le jugement des juges Bernard Sik Yuen et Paul Lam Shang Leen dans l’affaire Khoyratty, entériné par le Conseil privé de la reine, vient  affirmer que, dans certains cas, on peut aller au-delà des questions de procédures pour décider si, sur le fond, l’amendement constitutionnel était conforme à la notion d’un État démocratique. Dans le monde, un débat est en cours sur l’Unconstitutional of Constitution Amendments. Cela nous intéresse au plus haut point quand on sait qu’il est facile au pouvoir exécutif de faire adopter par sa majorité parlementaire un amendement constitutionnel.

 

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