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Metro express : la grande pagaille

Cris, larmes, mobilisation policière, confrontations, récupération politique… L’émotion était à son comble, vendredi, à Barkly, à Beau-Bassin et à La Butte, Port-Louis, pour ce qui devait être le dernier jour d’une quinzaine de familles dans leur demeure. Finalement, grâce à un ordre de la Cour, elles ont obtenu un sursis jusqu’à lundi. Mais durant une bonne partie de la journée de vendredi, on a eu droit à un long moment d’incompréhension générale quand l’ordre en question a mis plusieurs heures à être appliqué par des policiers qui ne l’avaient pas encore reçu des mains de l’huissier.

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Résidence Barkly : des maisons et des vies détruites

Larmes, colère et indignation… Résidence Barkly a vécu au rythme de ces sentiments le vendredi 1er septembre. Une demi-douzaine de structures situées sur le tracé du Metro Express ont été démolies par la police. Un face-à-face entre les habitants et le gouvernement est prévu lundi devant un juge.

La police s’est rendue dans la région pour exécuter un ordre du gouvernement : enlever les structures qui empiètent sur le tracé du Metro Express. Elle a interrompu l’exercice lorsqu’elle a reçu, tardivement, un ordre de la Cour suprême.

L’ordre intérimaire demandant le gel des démolitions a été faxé au poste de police de Résidence Barkly à 15 h 05. Ce n’est que vers 17 heures que les démolitions ont cessé. Les habitants disent ne pas comprendre.

Les pelleteuses de la police accompagnées de la Special Support Unit et de la Special Mobile Force sont descendues tôt à la rue Nelson Mandela. Elles ont frappé aux portes d’une quinzaine de familles pour les informer qu’il fallait évacuer les lieux. Selon un ordre de démolition émis par le ministère du Logement et des Terres, ces structures sont illégales et empiètent sur les terrains appartenant à l’État.

Des voix se sont élevées contre cette décision soudaine. « Lundi, les inspecteurs du ministère des Infrastructures publiques nous ont dit qu’ils prendraient contact avec nous jeudi. Au lieu de cela, ils viennent démolir nos constructions. » Atmanand Morar ne comprend pas cette décision hâtive. Le bâtiment abritant son commerce se trouve sur le tracé du Metro Express.

C’est Jonathan Gafoor, un habitant de la localité, qui a décidé de faire appel au cabinet de l’avoué Kaviraj Bokhoree. Tandis qu’ils formulaient une demande d’injonction contre l’ordre de démolition, les habitants se regroupaient et se préparaient à affronter la police.

Entre-temps, des politiciens sont arrivés : Rajesh Bhagwan, Franco Quirin, Patrick Assirvaden, Guito Lepoigneur et le conseiller municipal Zaed Nanhuck. Le Parliamentary Private Secretary Alain Aliphon a, lui, dû quitter les lieux après une altercation avec les habitants et Rajesh Bhagwan.

L’ordre de la Cour est tombé vers 11 heures. C’est Me Kaviraj Bokhoree lui-même, accompagné par l’avocat Assad Peeroo et Jonathan Gafoor, qui a remis le document à la police. L’ordre signé de la juge Rita Teelock convoque les représentants du ministère du Logement et des Terres et de celui des Infrastructures publiques de même que le bureau du Premier ministre à venir défendre leurs prises de position en Cour.

« Ce n’est pas possible qu’on vienne détruire une partie des maisons sans parler de compensations et sans donner le temps aux gens de négocier », affirme Jonathan Gafoor. Ce dernier croyait avoir un répit jusqu’à lundi. Ce sentiment a été d’ailleurs accentué par le départ des policiers à la mi-journée.

Les choses ont pris une autre tournure vers 14 heures. La police est revenue avec ses fusils et ses pelleteuses. Les démolitions ont débuté. Zaed Nanhuck et Guito Lepoigneur ne cessaient de dire aux policiers qu’il y avait un ordre intérimaire de la Cour et qu’ils ne pouvaient pas démolir les maisons. « L’ordre a été faxé au poste de police de Résidence Barkly », a affirmé Zaed Nanhuck.

En attendant que Me Kaviraj Bokhoree apporte, lui-même, l’ordre jusqu’à Résidence Barkly, une boutique et quatre murs avaient déjà été détruits. C’est à ce moment-là que la tension est montée d’un cran. En démolissant la boutique des Morar, la toiture en béton de la structure a percuté la maison familiale. Or, celle-ci ne figure pas sur la liste des structures à être rasées. Les habitants se sont rués sur les pelleteuses en proférant des injures et en demandant aux policiers d’être vigilants. Le calme est revenu, mais les policiers n’ont cessé de subir les injures des habitants.

Vers 17 h 15, Me Kaviraj Bokhoree est arrivé avec le deuxième ordre intérimaire d’Eddy Balancy, chef juge par intérim. Toutefois, certaines structures avaient déjà été détruites, dont la boutique des Morar qui n’était plus qu’un amas de béton.


Témoignages : des débris et des larmes

Les habitants contestent l'illégalité de structures construites.

Le traumatisme est palpable. Certains tremblent et arrivent difficilement à parler. D’autres ne cessent de proférer des injures à l’encontre du gouvernement. Les habitants de la rue Nelson Mandela ont vécu une journée épuisante vendredi.

De leur côté, les propriétaires des structures détruites consigneront une déposition à la police ce samedi. Ils contestent le fait que les démolitions se soient poursuivies malgré un ordre de la Cour. 

« Maudit soit-il », a lancé à l’égard du Premier ministre Vipin Morar. Un bâtiment abritant le commerce familial, son mur et les toilettes de la résidence de son frère ont été démolis par la police. Son épouse, en larmes, ne cessait de maudire le gouvernement. Mari et femme habitent cette maison depuis plus d’une trentaine d'années. Chaque construction a été faite avec l’accord de la municipalité. « Nous avons nos permis. J’ai emprunté de l’argent à la banque. Mes frères ont travaillé dur pour construire ces maisons. »

Aujourd’hui, le gouvernement vient leur dire que ces structures sont illégales. Le frère aîné de Vipin Morar, qui a construit un bâtiment pour opérer un commerce, ne parle plus. Ses proches craignent qu’il ne tombe malade.


Embouteillage monstre : Port-Louis paralysée

Les événements de vendredi à La Butte auront été un cauchemar non seulement pour les habitants concernés, mais aussi pour les automobilistes qui devaient traverser Port-Louis ou circuler dans la capitale. Dès le matin, la rue Brabant et les rues latérales étaient bloquées. En fin d’après-midi, c’est toute une partie de la rue Labourdonnais et de l’avenue Mgr Leen qui a été fermée à la circulation. Ceci a eu des répercussions sur le trafic au niveau des rues Deschartes, Orléans, Brown Séquard, Lord Kitchener, pour ne nommer que celles-là.

En fin d’après-midi, à l’heure de la sortie des bureaux, c’est la quasi-totalité des rues du centre-ville qui étaient encombrées par des véhicules à l’arrêt, y compris la rue Sir Seewoosagur Ramgoolam. Cet embouteillage a eu des répercussions jusqu’à Ste-Croix et à la route des Pamplemousses. Au Sud de Port-Louis, même scène, avec des véhicules au point mort sur la chaussée. Ce n’est que vers 18 heures que la circulation est retournée à la normale.


La Butte : le calvaire des Rujubali

La fille d'Azam Rujubali s'est évanouie.

Une quinzaine de familles doivent évacuer de leurs maisons situées sur le tracé du Metro Express. Alors que certaines ont accepté l’offre de compensation du gouvernement, d’autres, toutefois, s’opposent à la démolition de leur domicile. À l’instar des Rujubali, qui vivent à l’avenue Mgr Leen.

Les cinq membres de cette famille croyaient pouvoir commémorer le sacrifice d’Abraham tranquillement à leur domicile. Ils sont toutefois tombés des nues vendredi matin, en voyant la forte mobilisation policière devant leur porte. Les officiers sont venus les expulser.

Après avoir vécu 38 ans sur ce terrain à bail, les Rujubali ne s’imaginaient pas devoir tout abandonner. « Aucune maison n’a été mise à notre disposition. La compensation proposée est loin d’être satisfaisante. On n’a donc pas pu trouver un terrain d’entente », confie Nizam Rujubali, âgé de 56 ans.

Pourtant, vendredi, leur destin semblait déjà scellé. Le ministère des Infrastructures publiques, celui du Logement et des Terres et la police avaient déjà décidé de leur sort. Un haut gradé de la police répétait avoir reçu l’ordre de procéder à l’évacuation, ce qui a conduit Nazoomah, l’épouse d’Adam Rujubali, et leur fille, à l’hôpital. « Mon père a bâti cette maison de ses mains. L’État nous traite comme des criminels et nous oblige à partir. Ma fille et mon fils avaient leur business sur cette propriété. Ils sont les soutiens financiers de ce foyer », déclare le père de famille.  Pour les Rujubali, la vie loin de La Butte ne sera plus jamais pareille. La décision du gouvernement a chamboulé leur quotidien, les plongeant dans le désarroi.


En attendant lundi…

Parents et proches font de la résistance lorsque le marteau-piqueur de la Special Mobile Force se présente au domicile des Rujubali. Des badauds font bloc pour empêcher la police de faire sa besogne. La machine doit rebrousser chemin. Elle reviendra une heure et demie plus tard. Entre-temps, la police a fort à faire : elle établit un cordon humain pour bloquer le passage des badauds. Quelques instants plus tard, la fille d’Azam Rujubali s’évanouit. Elle allèguera avoir été malmenée par des policiers, avant d’être transportée à l’hôpital.

Vers 17 h 30, des hauts gradés de la police informent la famille Rujubali que son domicile ne sera pas démoli. « Nous partons, mais cela ne signifie pas que vous pourrez rester dans votre maison. Le travail doit se faire. Pa zordi, pa demin, pa lindi… vous devrez partir. Prenez vos précautions… » lance le haut gradé à Azam Rujubali.

Le travailleur social Salim Muthy ne mâche pas ses mots : « Ce n’est pas logique qu’un ordre de la Cour ne soit pas respecté. Le commissaire de police doit prendre ses responsabilités. La police a fait preuve d’un excès de zèle condamnable.  Le dialogue doit prédominer. Il n’y a pas eu de rencontre entre ceux qui sont expulsés et le Premier ministre. »

Azam Rujubali s’est confié qu Défi-Plus : « Je ne sais que faire de mes affaires, car je n’ai pas trouvé de véhicule adéquat pour y mettre mes effets. Leur valeur marchande s’élève à Rs 1 million. Qui va m’indemniser ? C’est inacceptable. Ces gens seront maudits ! » lâche le père de famille.


Robin Appaya :  «Ils réclament de l'argent pour des maisons illégalement construites»

Le conseiller du ministère du Logement et des Terres a mis certains faits au point vendredi sur Radio Plus. Robin Appaya a dit qu’il y avait plusieurs cas de figure parmi les expulsions de ceux qui sont propriétaires, ceux qui louent des terres de l’État à bail et ceux qui squattent les lieux en parfaite illégalité. « Certains ont un bail en bonne et due forme. Ils seront compensés conformément aux conditions du bail. D’autres personnes sont des squatters et n’ont pas droit à une compensation. Un garage a été construit sur les terres de l’État. Ils demandent une compensation pour des maisons illégalement construites. »

Nando Bodha évasif

Alors que les habitants de La Butte et de Résidence Barkly vivaient le choc de l’éviction forcée, le ministre des Infrastructures publiques ne semblait pas beaucoup s’en préoccuper. Nando Bodha était attendu par la presse à la sortie du Conseil des ministres vendredi pour commenter la situation. Mais il s’est contenté d’un : « Monn fini travay. Les mo al lakaz ».


Les politiciens s’en mêlent

L’opposition était en force sur le terrain. Si certains étaient venus soutenir les familles évacuées, d’autres, en revanche, y étaient pour faire opposition à l’action policière. Navin Ramgoolam demande à la population de réagir. « La solidarité doit primer. Ce gouvernement ne comprend que le langage de la force », , a déclaré le leader du Parti travailliste. « Si on croise les bras en attendant les élections, rien ne changera. J’invite la population à réagir. Nous voulions nous aussi introduire le métro à Maurice, mais pas de cette manière. Ils ont changé le projet. »

De son côté, le député travailliste Shakeel Mohamed s’est vivement opposé à l’intervention policière chez Azam Rujubali et sa famille. « Vous n’avez pas le droit d’entrer dans la maison d’une personne sans sa permission.», a-t-il lancé dans une colère noire.

Salim Abbas Mamode, député du Parti mauricien social-démocrate (PMSD), déplore l’attitude du gouvernement et de la police.

 

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