L’amélioration du pouvoir d’achat des Mauriciens est devenue bien plus qu’une simple préoccupation économique ; c’est désormais une arme politique. En cette année marquée par la tenue des élections générales prochaines, les politiciens misent davantage sur des mesures visant à favoriser le niveau de vie des électeurs dans le but de gagner des votes.
Autrefois, les discussions sur le pouvoir d’achat étaient principalement confinées aux cercles économiques et aux tables des négociations salariales. Mais au fil du temps, cette question a émergé comme un thème central dans le discours politique mauricien. Les politiciens ont compris que les électeurs se préoccupent davantage de leur capacité à subvenir à leurs besoins quotidiens que des nuances de politiques monétaires.
Ainsi, les partis politiques ont choisi de mettre en avant des propositions visant à améliorer le pouvoir d’achat des citoyens pour gagner leur confiance et leur soutien lors des élections. Que ce soit par des promesses de réduction des taxes, d’augmentation des salaires ou de subventions pour les produits de première nécessité, l’amélioration du pouvoir d’achat est devenue un pilier essentiel des plateformes électorales.
Une économiste concède d’ailleurs que le pouvoir d’achat a été en chute libre ces derniers temps. En dépit de la révision du salaire minimum, elle fait l’amer constat que le panier ménager subit de plus en plus l’impact de l’inflation. « Les gens galèrent. Il suffit de se rendre au supermarché pour voir la différence entre le contenu des caddies d’aujourd’hui et ceux d’un passé pas trop lointain », argue l’économiste. De quoi donner des idées aux partis politiques ?
Le président de l’Association pour la Protection des Consommateurs et de l’Environnement (APEC), Suttyhudeo Tengur, est d’avis que c’est l’argument le plus facile pour embobiner le peuple. « En touchant à la poche du consommateur, donc les Mauriciens en général, cela demeure un point très sensible pour jouer avec leurs sentiments et les attirer à travers cet appât pour gagner leurs votes dans la prochaine joute électorale », dit-il. Cependant, il pense que les politiciens jouent un jeu dangereux qui risque de se retourner contre eux. « Attention à la démagogie et au retour de bâton », prévient-il.
Pour sa part, l’observateur économique et le CEO d’Anneau, Amit Bakhirta, affirme qu’en mettant le cap sur l’amélioration du pouvoir d’achat, cela nous permet d’être conscient de l’un des plus grands problèmes auxquels les Mauriciens sont confrontés dans la réalité. « C’est la paupérisation », déclare-t-il. Selon lui, cela va de soi, car en raison de la dévaluation de la roupie et d’un environnement inflationniste cumulatif galopant, le pouvoir d’achat de la population mauricienne s’est effondré à un rythme sans précédent dans l’histoire récente.
Mais est-ce une bonne stratégie pour gagner des votes ? Amit Bakhirta précise que la politique d’entreprise, chez Anneau, l’interdit de commenter la politique. « Mais ce que je peux personnellement dire, c’est que l’altruisme se rapporte à un respect désintéressé ou à un dévouement au bien-être des autres et/ou au comportement d’un animal qui n’est pas bénéfique ou peut lui être nocif mais qui profite aux autres de son espèce », soutient-il. Pour lui, il sert à aborder à bon escient et à résoudre les problèmes de vie réels des Mauriciens.
Risques
Toute mesure comprendra des risques. Encore faut-il que ceux-ci soient mesurés ! C’est en somme l’idée qu’avance un économiste sous le couvert de l’anonymat. Il préconise d’éviter que les élections ne deviennent une surenchère. « Il ne faudrait pas que les élections ou du moins les annonces précédent les élections ne prennent la tournure d’une vente à l’encan, où l’on mise ce dont on n’a pas en poche », explique-t-il. Il poursuit en argumentant que chaque personne est content de recevoir un cadeau. Cependant, toute mesure visant à améliorer le pouvoir d’achat pourrait comporter des risques.
« Nous sommes tous contents de recevoir un cadeau électoral, mais nous ne devons pas être égoïstes. Les politiciens utilisent notre égoïsme. Comment va-t-on financer les mesures populistes irréfléchies ? Un gouvernement peut être généreux si l’économie de son pays génère une bonne croissance. Il ne faut pas ruiner l’avenir de la génération qui suit, alors que les réserves du pays sont en baisse. La question qui mérite d’être posée est la suivante : quel est le degré d’égoïsme nécessaire pour gagner les élections ? », avance l’économiste.
Les gagnants et les perdants
Amit Bakhirta est d’avis qu’avec une amélioration du pouvoir d’achat, les consommateurs, les jeunes professionnels et le secteur privé seront les gagnants. « À condition que ces mesures n’aggravent pas notre situation budgétaire et n’accentuent pas la tendance de la faiblesse de la roupie ainsi que notre notation de crédit souverain par Moody’s et S&P », prévient-il. Toutefois, il avance que si ces mesures ne sont pas intelligemment contrebalancées du côté des recettes fiscales, il est très plausible que les perdants seront les finances du gouvernement. « C’est-à-dire tous les Mauriciens, à l’exception de ceux qui gagnent et détiennent un portefeuille substantiel de leur patrimoine actif en devises fortes », appuie-t-il.
Pour sa part, Suttyhudeo Tengur estime que les manifestes électoraux sont principalement destinés à la poubelle après les élections générales. « Toutes les promesses dans ces documents que personne ne prend au sérieux ne sont, pour la plupart, jamais tenues. Alors, il n’y a pas de gagnants », déplore-t-il. Et d’ajouter que les perdants sont ceux qui se laisseront leurrer et berner par les promesses faites sur les caisses de savon. « Les politiciens de quelque bord que ce soit viennent jouer sur les sentiments du peuple et une fois élus, ils disparaissent pour cinq années et on les voit revenir quémander des votes pour la présente joute électorale », fait ressortir notre interlocuteur.
Les risques associés aux mesures favorisant le pouvoir d’achat
Selon nos interlocuteurs, les mesures visant à améliorer le pouvoir d’achat peuvent être politiquement populaires et bénéfiques à court terme. Cependant, ils comporteraient également des risques économiques et financiers à long terme. Et ceux-ci doivent être pris en compte.
« On ne peut pas s’adonner à un jeu qui risque de vider les caisses publiques. C’est pourquoi il faut tenir compte des réalités économiques du pays et avoir une vision claire et nette à court, moyen et long terme », dit Suttyhudeo Tengur.
De son côté, Amit Bakhirta estime qu’il est important qu’on distingue les annonces des mesures concrètes et réalisables. Il est aussi utile de déterminer l’impact multiplicateur « aller-retour » sur le plan budgétaire et, éventuellement, sur la valeur de la monnaie du pays. Pour lui, des mesures visant à améliorer le pouvoir d’achat des Mauriciens peuvent mener vers une aggravation du fardeau budgétaire du pays.
« Nous pourrons voir une dégradation de la notation de crédit souverain vers une classification « junk » et une roupie encore plus faible », confie-t-il. Ce qui pourrait contribuer à une détérioration du pouvoir d’achat.
Face aux répercussions qui pourraient découler de ces annonces, des personnes s’interrogent sur le financement. Selon une économiste, les gens se demandent comment le transport gratuit pour tous sera financé. « C’est une mesure extraordinaire. Mais, elle suscite des craintes. Beaucoup de personnes ne sont pas favorables, car elles craignent que cette gratuité soit payée autrement », fait-elle ressortir.
Ces mesures annoncées le 1er-Mai visant à améliorer le pouvoir d’achat des Mauriciens
Suttyhudeo Tengur : « Je ne pense pas que la baisse des prix des carburants améliorera le pouvoir d’achat des Mauriciens. Quant au transport public, cela peut sembler une option, mais nos personnes âgées et les élèves voyagent déjà gratuitement. Les fonctionnaires du public comme du privé sont eux déjà remboursés pour les coûts du voyage. Ainsi, je pense que c’est juste de la démagogie ».
Amit Bakhirta : « Les allégements fiscaux, notamment sur le carburant et l’impôt sur le revenu pour certains travailleurs, ainsi que la proposition d’internet gratuit et l’exonération des frais d’enregistrement, sont des mesures susceptibles d’améliorer le pouvoir d’achat à leur valeur nominale. Cependant, à moins que nous ne comprenions clairement et empiriquement l’impact sur l’équilibre budgétaire du pays (notamment les revenus fiscaux abandonnés), toutes ces mesures pourraient détériorer davantage le solde budgétaire, ce qui pourrait finalement contrecarrer toute tentative visant à récupérer la dévaluation de la monnaie ».
D’autres questions plus importantes à aborder
Au-delà de l’amélioration du pouvoir d’achat, Suttyhudeo Tengur est d’avis qu’il y a d’autres sujets sur lesquels les politiciens peuvent miser pour gagner des votes. « Augmenter le pouvoir d’achat est une démarche purement financière. Cependant, il y a d’autres enjeux qui sont plus importants que la protection du pouvoir d’achat », fait-il ressortir. Parmi eux, il cite la lutte contre la drogue, la lutte contre la violence qui se généralise à tous les niveaux, la lutte contre la corruption, entre autres.
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