La grossesse précoce est un phénomène mondial qui n’épargne pas Maurice. Mais la question demeure : y a-t-il suffisamment d’encadrement offert aux mères adolescentes avant, pendant et après l’accouchement ? Quelle prise en charge ? Les établissements scolaires sont-ils armés pour les accompagner dans leurs études ? Le point.
Elle s’apprêtait à prendre part aux examens du School Certificate (SC). Mais S. voit le ciel lui tomber sur la tête lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte. « Je n’ai pas eu mes règles pendant deux mois. J’avais peur d’en parler à ma mère. C’est quand j’ai eu des douleurs au ventre que j’ai été obligée de le lui avouer », raconte la jeune femme aujourd’hui âgée de 19 ans.
Comme dans beaucoup de cas, son petit ami disparaît malgré les promesses d’amour. « Je me suis retrouvée seule. Heureusement que mes parents m’ont beaucoup soutenue. J’ai arrêté temporairement l’école durant ma grossesse », poursuit-elle.
Après la naissance de son enfant, sa mère le prend à sa charge. « C’était pour que je puisse poursuivre mes études et devenir indépendante un jour en trouvant un travail », affirme cette habitante d’un faubourg de la capitale.
S. est ce qu’on appelle une fille-mère. Ce terme désigne une adolescente qui tombe enceinte et va au bout de sa grossesse. À Maurice, les grossesses précoces concernent majoritairement des jeunes filles de 15 à 19 ans. Pourtant, dans certains cas, les mamans ont moins de 15 ans. Bien que le nombre de cas soit en baisse, passant de 1 173 en 2017 à 982 en 2021, ce phénomène interpelle. D’autant que bien souvent, elles sont peu nombreuses à pouvoir reprendre leur scolarité.
D’ailleurs, les experts du Comité des droits des enfants des Nations unies, qui se sont réunis à Genève le mercredi 18 janvier dernier, se sont intéressés à ce sujet. C’était à l’issue de la présentation de la délégation mauricienne, menée par la ministre de l’Égalité des genres, Kalpana Koonjoo-Shah, des mesures prises pour assurer l’application de la Convention des droits des enfants.
A. Moulaye, qui fait partie des experts, a notamment fait remarquer que le nombre de filles-mères avait considérablement augmenté. Elle a interrogé la ministre sur les mesures prises pour s’assurer qu’elles puissent continuer leur scolarité, ainsi que l’encadrement dont elles bénéficient.
Selon la ministre Kalpana Koonjoo-Shah, « les jeunes filles enceintes peuvent continuer à aller à l’école ». Soulignant que des aménagements sont prévus à leur intention, notamment des pauses pour allaiter leur bébé. « Tous les enfants à Maurice, où qu’ils soient nés, ont le droit d’aller à l’école et de bénéficier des services publics », a-t-elle insisté.
Nous avons voulu en avoir le cœur net. Nous nous sommes ainsi tournés vers le ministère de l’Éducation dans un premier temps. Un préposé nous a fait comprendre que des psychologues sont à l’écoute des jeunes filles. « Quand un cas de grossesse précoce est recensé, on offre un soutien psychologique. Le cas est aussi référé à la brigade des mineurs car il s’agit d’un délit. Aussi, on réfère le cas au ministère de l’Égalité des genres pour qu’il prenne le relais », indique-t-on.
Sauf que du côté du ministère de l’Egalité des genres, nous nous sommes heurtés à un silence assourdissant. Les questions demeurées sans réponse sont :
- Le nombre recensé parmi les collégiennes
- Combien reprennent l’école ?
- Quel suivi ?
- Quelles sont les facilités offertes aux collégiennes qui décident de mener leurs études pendant la grossesse et après l’accouchement ?
Les grossesses précoces en baisse
Selon Statistics Mauritius, le nombre de grossesses chez les filles de 15 à 19 ans est en baisse. | |||||
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Année | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 |
Nombre | 1 173 | 1 153 | 1 144 | 1 125 | 982 |
Un rajeunissement des filles-mères
Auparavant, le phénomène de maternité précoce concernait des jeunes de 16 à 18 ans. Aujourd’hui, il est question de jeunes de moins de 16 ans. Constat de Vidya Charan, directrice de la Mauritius Family Planning and Welfare Association (MFPWA).
Elle indique qu’un programme de réhabilitation est offert aux jeunes filles. Elle les encourage à se tourner vers des institutions pour être épaulées, comme le « drop-in centre » de son association, qui travaille en étroite collaboration avec le ministère de l’Égalité des genres. « Nous leur offrons un suivi médical, un soutien psychologique et légal jusqu’à l’âge de 18 ans, si nécessaire avec l’aide d’autres institutions comme la Child Development Unit (CDU) », explique Vidya Charan.
Et ce n’est pas tout. « Nous suivons la maman après la grossesse pendant quelques mois pour nous assurer que l’enfant est pris en charge et nous encadrons les garçons qui sont aussi désemparés ainsi que les parents des filles-mères qui ont également besoin d’accompagnement. »
Témoignages
S. A. : « Cela n’a pas été facile »
À 38 ans, elle est maman de quatre enfants âgés de 12 ans à 21 ans et grand-mère de trois petits-enfants. La vie n’est pas rose pour S. A., qui peine à joindre les deux bouts. « J’ai eu mon premier enfant à l’âge de 18 ans. Je travaillais comme marchande de légumes pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Cela n’a pas été facile. Mais j’ai persévéré malgré les difficultés de la vie », raconte-t-elle.
Jenita : « J’ai cru au grand amour »
Issue d’une famille brisée, Jenita (prénom d’emprunt) est maman d’une fillette de deux ans. Elle est tombée enceinte à l’âge de 15 ans. « J’étais au collège quand j’ai rencontré mon copain. Il n’y avait personne pour me comprendre. Je voyais en lui mon salut. J’ai cru au grand amour. J’ai déchanté quand je suis tombée enceinte et qu’il m’a tourné le dos, soutenant que sa famille n’allait jamais m’accepter. J’étais au bord de la dépression », confie la jeune maman. Elle s’est finalement tournée vers une ONG qui lui accordé tout le soutien nécessaire dans cette épreuve.
Où sont les solutions durables ?
La Country Manager de Gender Links prend la ministre Kalpana Koonjoo-Shah à contre-pied. « Je connais de nombreux cas où les filles-mères n’ont pas les aides nécessaires pour élever leurs enfants », lance Anushka Virahsawmy, pour qui l’encadrement laisse clairement à désirer. Ce phénomène, dit-elle, ne concerne pas que les pauvres mais toutes les couches de la société. « Ceux qui ont les moyens savent quoi faire alors que ceux qui sont dans la précarité ne savent pas. »
Bien des fois, les filles doivent abandonner leurs études. C’est le début d’un engrenage. Car elles n’arrivent même pas à trouver un emploi, la loi interdisant le travail des mineurs. « Il faut vraiment trouver des solutions durables. Il ne s’agit pas seulement de soutien psychologique mais de toute une panoplie de mesures pour que les filles-mères s’éduquent, trouvent du travail afin d’élever leurs enfants », insiste Anushka Virahsawmy.
Même son de cloche du côté de Me Mokshda Pertaub, fondatrice et présidente de Mpower. Elle plaide pour un meilleur encadrement des filles-mères. « Nous devrions travailler pour éviter que ce problème ne se pose. Ce n’est ni biologiquement ni psychologiquement le bon moment pour qu’une adolescente devienne mère. Il est important qu’elle soit consciente de sa propre sexualité et des conséquences d’un rapport sexuel non protégé », affirme-t-elle.
Cela passe notamment, fait comprendre Me Mokshda Pertaub, par l’éducation sexuelle. « L’éducation sexuelle dans les écoles, selon moi, est un impératif, même si nous appelons le cours par un autre nom. »
Sauf que la volonté politique fait défaut, regrette, elle, Nelly Beg, présidente de l’Accueil des femmes et des enfants en difficulté (AFED). « On a des nominés à la tête des institutions. C’est un gros souci. Si on veut des changements en profondeur, on doit commencer à avoir des personnes compétentes qui puissent prendre les décisions qui s’imposent », martèle-t-elle.
Nelly Beg insiste : il faut en finir avec les « solutions pansement ».
« On doit faire un travail en amont et non pas, après la mort la tisane. On doit présenter des solutions durables. Pour cela, il faut cette volonté politique. »
Clive Anseline du SeDEC : « L’encadrement est important »
Du côté du Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC), le responsable de communication Clive Anseline indique que lorsque des collégiennes se retrouvent enceintes, un accompagnement leur est proposé. « Au niveau du collège où est scolarisée la fille, on essaie de l’encadrer et on compte aussi sur le soutien et la collaboration des parents. Dans le cas des grossesses précoces, l’encadrement est important. »
Il concède que plusieurs cas sont recensés dans les établissements scolaires tombant sous le SeDEC. « Nous essayons d’offrir une attention particulière aux filles. Les collèges disposent de ‘counsellors’ qui leur prodiguent des conseils. Nous encourageons les filles à poursuivre leurs études malgré la grossesse. Pour cela, nous faisons de sorte qu’elles sont à l’aise et ressentent un sens d’appartenance. Nous offrons ce même service à celles qui ont déjà donné naissance et qui continuent leurs études », fait savoir Clive Anseline.
Les jeunes filles qui deviennent mamans ont besoin de soutien moral et physique, poursuit-il. « Nous essayons de leur faire comprendre que la vie ne s’arrête pas là. Nous les encourageons à devenir des mamans exemplaires dont les petits seraient fiers. C’est un travail délicat, qui mérite une attention particulière », avance-t-il.
Clive Anseline s’appesantit également sur l’importance de ne pas stigmatiser les filles-mères. « Nous offrons un programme sur la sexualité pour que nos collégiennes disposent de toutes les connaissances à ce sujet. »
Ces papas absents
La féminisation du phénomène de grossesse précoce nuit à la mise en œuvre de solutions durables, regrette Anushka Virahsawmy. « C’est trop facile que ce soit la fille qui porte le chapeau alors que le garçon a aussi sa part de responsabilité. »
Pour la Country Manager de Gender Links, il faut mettre les papas devant leurs responsabilités, car ils sont nombreux à jouer aux abonnés absents. « Y a-t-il des statistiques sur ce qui arrive aux garçons ? Quelle éducation pour eux ? » se demande-t-elle.
Vidya Charan confirme que c’est souvent un véritable défi de trouver un arrangement avec les petits copains qui, dans beaucoup de cas, refusent d’assumer leurs responsabilités envers les filles-mères et leurs enfants. « Nous suivons la situation de près et nous nous assurons que les papas jouent leur rôle. Ce qui n’est pas toujours le cas », fait savoir la directrice de la MFPWA.
Nelly Beg met, elle, l’accent sur un autre problème auquel font face de nombreuses filles-mères. Soit, le fait que les papas ne déclarent pas leurs enfants. « À cause de cela, elles sont nombreuses à ne percevoir aucune aide. Elles ne savent pas où donner la tête. Elles abandonnent leurs études avec un nourrisson sur les bras. Elles ont du mal à joindre les deux bouts », déplore la présidente de l’AFED.
Face à cette situation, quelle solution ? Il est impératif inclure l’éducation sexuelle dans le cursus scolaire avec les jeunes qui ont aujourd’hui des relations sexuelles précoces, plaide Anushka Virahsawmy. « Face au fait que les jeunes ont des relations précoces, il faut leur proposer les différents types de contraception et leur donner les outils nécessaires pour que cela n’arrive pas. »
Rita Venkatasawmy : « Cibler les enfants à risque »
Combien de mineures qui tombent enceintes choisissent de poursuivre leurs études ? C’est « au cas par cas », répond l’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasawmy.
« Certaines poursuivent leurs études, d’autres non. Dans certains cas, la famille entre en jeu pour protéger la fille-mère et dans d’autres cas, non », souligne-t-elle.
Rita Venkatasawmy fait observer que la grossesse précoce est « une tendance mondiale » du fait que les enfants sont engagés dans des activités sexuelles de plus en plus tôt. Selon elle, cela concerne en particulier ceux qui viennent de familles fragilisées ou brisées. « Beaucoup d’enfants recherchent de l’affection à travers une relation copain/copine. Les barrières finissent par tomber et cela tourne en relations sexuelles précoces », dit l’Ombudsperson for Children. Elle parle d’un problème profond qu’on doit essayer de résoudre à travers la consolidation de la cellule familiale.
Elle se désole que dans de nombreux cas où des mineures tombent enceintes, l’enfant finira par répéter le même scénario. En particulier, dans les cas d’abandon du père. « Il faut identifier les régions à risque, cibler les enfants de familles monoparentales qui sont à risque et les encadrer à travers l’éducation et la sensibilisation. »
Pour elle, les travailleurs sociaux ont un grand rôle à jouer, de même que les enseignants. Ils ont toutefois besoin d’une formation, fait-elle comprendre.
« Qui va prendre soin du bébé ? »
Les collégiennes sont peu nombreuses à se tourner vers le Mouvement d’aide à la maternité (MAM). « Celles que MAM a accompagnées doivent obligatoirement prendre un minimum de quatre mois d’absence pour l’accouchement et les premiers mois de soins à leur nouveau-né », indique la fondatrice, Monique Dinan.
Elle raconte qu’une des filles qu’elle a accompagnées a pris part aux examens du SC trois mois après son accouchement. « Elle a bien réussi et a pu faire son HSC. »
Monique Dinan dit ne pas savoir combien de filles-mères reprennent le chemin de l’école après avoir donné naissance. Concernant les facilités offertes aux collégiennes enceintes qui choisissent de mener malgré tout leurs études pendant la grossesse et après l’accouchement, la fondatrice de MAM soutient qu’elles sont encouragées à poursuivre leurs études et se former à un métier pour gagner un salaire.
« Le grand problème est qui va s’occuper du bébé qui a besoin d’être encadré. C’est pour cela que MAM offre, sur une année, des cours reconnus de puériculture dans son centre à Rose-Hill, qui permettent aux mamans de bien s’occuper de leur bébé d’une part et d’autre part de travailler dans une garderie dans leur village. »
Grossesse précoce : conséquences et recommandations
Les grossesses précoces ne sont pas sans conséquences :
- Des problèmes de santé (des risques plus élevés d’éclampsie, d’endométrite puerpérale et d’infections systémiques).
- Les bébés des filles-mères sont exposés à un risque accru de faible poids de naissance, de naissance prématurée et de graves affections néonatales.
- Des risques accrus de MST et VIH.
- La déscolarisation.
- L’inégalité des genres.
- Le cycle de pauvreté.
- Le rejet et la stigmatisation.
- Les risques de dépression, de comportements suicidaires, de solitude et d’impuissance.
- Les risques d’être victimes de violence physique et psychologique.
- Les risques de développer des comportements addictifs (drogue, alcool) etc.
Selon l’OMS, les adolescentes doivent :
- Être informées des moyens de prévenir une grossesse (et du risque de contracter des infections sexuellement transmissibles, dont le VIH) et pouvoir les utiliser.
- Être informées des possibilités d’avortement médicalisé, là où c’est autorisé par la loi, et connaître les dangers de l’avortement non médicalisé.
- Acquérir des compétences psychosociales et améliorer leurs liens avec les réseaux sociaux et les systèmes de soutien social, qui peuvent les aider à refuser des rapports sexuels non désirés et à résister à la contrainte à cet égard, ce qui leur est souvent très difficile.
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